Le Brexit mis derrière, les deux questions qui vont tarauder les investisseurs sont d’abord celle du degré de proximité entre les économies britannique et européenne et ensuite celle des implications, en termes de croissance, des choix effectués. Si on s’intéresse moins à la phraséologie du moment en vogue chez les Conservateurs et davantage aux contraintes qui pèsent sur le Royaume-Uni, les forces centrifuges de l’Île vers le Continent seraient alors déterminantes.
Le dernier jour de présence du RU dans l’UE ne durera que vingt-trois heures. Est-ce le signe d’une impatience si grande qu’il faille raccourcir cette « journée particulière » ? En fait, pas du tout. Les institutions de Bruxelles restent le « maître des horloges » jusqu’au bout. Et donc « il ne sera pas minuit PM Johnson » quand votre pays s’éloignera du Continent. 11h00 du soir, c’est très banal ; n’est-ce pas à minuit que les ruptures s’opèrent, au moins symboliquement ?
Le propos peut sembler badin et décalé. Nous allons pourtant voir que la métaphore apporte un éclairage sur les relations futures entre l’Île et le Continent.
Revenons donc à une approche plus prosaïque et interrogeons-nous sur la question du degré d’éloignement demain du RU de l’UE. Rappelons les objectifs affichés du Cabinet britannique :
- L’autonomie réglementaire ;
- La capacité de mener une politique commerciale indépendante ;
- L’arrêt de toute contribution financière, autre que marginale ;
- Une politique indépendante en matière d’immigration ;
- Ne pas dépendre de la Cour de Justice Européenne.
Par ailleurs, l’ambition affirmée est que la phase de transition se termine le 31 décembre prochain. Quelles peuvent être les implications du choix (à aujourd’hui) d’un calendrier aussi court ? En sachant que celui-ci porte une fois encore (Cf. les objectifs rappelés ci-dessus) la marque d’une volonté de « rompre les amarres ».
- Se mettre d’accord sur l’absence de droits de douane et de quotas pour l’essentiel des marchandises échangées est sans doute possible ; encore faut-il que l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques soit maintenu et garanti ;
- De plus, toute conclusion « heureuse » dépendra des engagements britanniques en matière tant de normes sociales et environnementales que de fiscalité et d’aides publiques ;
- Sera-t-il possible que les « partis » se mettent d’accord rapidement sur le degré de divergence acceptable concernant les réglementations et les standards appliqués (pour les biens industriels, mais aussi pour les produits de l’agriculture) ? C’est sans doute ambitieux ;
- Dans quel cadre les échanges de services se feront-ils ? Quelle sera la portée du statut d’équivalence ?
On le voit ; dès qu’on intègre les desiderata des « Européens », tout devient compliqué et la netteté de la trajectoire présentée par Londres devient plus floue. Dans le but d’essayer d’apporter un peu de clarté, peut-être est-il utile de rappeler les contraintes avec lesquelles le gouvernement de Boris Johnson devra composer.
Il y a d’abord les contraintes géopolitiques :
- La population britannique se monte à 67 millions ; celle de l’UE, après le départ du RU, à près de 450 millions ; celle des Etats-Unis à 327 millions ; sans parler de celle de la chine (pas loin de 1400 millions).
- L’UE, qui « absorbe » près de 50% du commerce extérieur britannique, va vouloir imposer le principe du « zéro tarif, zéro quota et zéro dumping » ; les Etats-Unis vont faire miroiter un accord rapide de libre-échange, en contrepartie d’un « alignement » diplomatique ; bienvenu dans un monde davantage transactionnel que multilatéral !
- Pour l’instant Londres paraît « pencher » plutôt du côté de l’Europe (Iran, imposition de la Tech et Huawei) que des États-Unis : choix définitif ou réversible, à moins qu’il ne s’agisse que de « godillage » !
Il y a ensuite les contraintes économiques :
- Les deux points forts de l’économie britannique sont le secteur manufacturier exportateur, organisé avec un maillage serré de relations avec le Continent, et le secteur des services financiers et aux entreprises, qui dégage un excédent commercial avec l’UE 27 ;
- Dans les deux cas, une harmonisation réglementaire entre le RU et l’UE est nécessaire.
Il y a enfin les contraintes de politique intérieure :
- Une partie de la victoire du Parti conservateur à l’élection législative de décembre dernier provient des circonscriptions du Nord de l’Angleterre dans lesquelles des électeurs traditionnels travaillistes ont voté en faveur des candidats tories ;
- Ce choix pour le Brexit doit se lire comme un appel pour des politiques davantage centrées sur les besoins de communautés jusqu’à maintenant oubliées des choix faits à Bruxelles et … à Londres ! Les électeurs concernés aspirent à un interventionnisme public ciblé, facilitateur d’une croissance inclusive ; pas à un libéralisme échevelé, avec ses hauts et ses bas en termes de création de richesse et une répartition de celle-ci peu en leur faveur. Pour eux, la question n’est pas de changer de modèle économique, mais de renforcer le rythme de croissance et d’en assurer une distribution plus équitable.
On le sent ; les degrés de liberté pour quitter de beaucoup les « côtes européennes » ne paraissent pas très nombreux. Le bateau britannique n’est peut-être pas d’une taille suffisante pour s’éloigner très loin du rivage. Combien de temps faudra-t-il au Premier ministre pour le reconnaître et le faire accepter par les militants du Parti conservateur ? C’est ce point que les investisseurs devront suivre au cours des prochains mois. Il sera clé dans la formation de leurs anticipations sur le risque britannique.
A quelques heures d’un changement historique pour le pays, il était évidemment compliqué pour la Bank of England (BoE) de modifier son réglage monétaire ; sauf nécessité économique ou financière de première importance. Quelle signification politique donnée à une initiative de baisse du taux directeur (c’était l’hypothèse évoquée) ? Un « coup de pouce » pour aider l’économie britannique à entrer dans cette terra incognita ou alors un jugement négatif sur les conséquences en termes de conjoncture de la sortie de l’UE ? Par ailleurs, et dans un cadre analytique plus classique, cette impression que la confiance des milieux d’affaires s’améliore (meilleur balisage politique oblige) permettait de différer toute décision.
Sur le fond, l’analyse présentée par la banque centrale est la suivante :
- Les perspectives de croissance s’améliorent, même si le potentiel de celle-ci est revu à la baisse ;
- Dans ces conditions, dès le milieu de l’année prochaine un excès de demande apparaît ;
- Dans le courant de 2022, l’inflation passerait au-dessus de la cible de 2% de la BoE.
Dans un tel scénario, la besoin d’abaisser le taux directeur ne s’impose sans doute pas. Mais qui jurerait que les choses se passeront bien ainsi ? Le scepticisme et sans doute aussi le sentiment, qu’un soutien est nécessaire à la réalisation du scénario de la banque centrale, poussent le marché à considérer que baisse de taux il y aura.