Brexit : le battement d’ailes du cygne noir

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Par Philippe Béchade Publié le 30 juin 2016 à 5h00
Marches Financiers Consequences Brexit Bourse
@shutter - © Economie Matin
2,3 %Le Dow Jones a perdu 2,3 % la semaine du Brexit.

Tout a basculé avant minuit et demi, le vendredi 24 juin : 0h16 fut la minute de la stupeur. Une de ces minutes qui font basculer le monde, qui font que je rallume la machine à café, débouche une bouteille, relance mon ordi et m’apprête à une nuit blanche.

Le battement d’ailes du cygne noir : la crédibilité des banques centrales à l’heure du Brexit

Le Brexit pourrait confronter les banques centrales à l’épreuve ultime : la remise en cause de leur crédibilité. Il y aura un « avant » et un « après ». Un bouddhiste vous expliquerait que chaque seconde qui passe annihile un monde pour en faire advenir un autre. Mais il est rare qu’une différence de centaines de milliards de dollars de valeur boursière soit observée en une minute parce que les premiers dépouillements effectués dans une bourgade inconnue du Nord de l’Angleterre révèlent des résultats aux antipodes des attentes.

C’est ce petit grain de sable, cette « scorie » qui a déclenché une apocalypse monétaire à la vitesse de la lumière. C’est précisément la limite physique du fonctionnement des superordinateurs gérant les positions des intervenants sur le Forex. Ceci illustre à merveille le principe du battement d’ailes du papillon. Vu l’ampleur de la tempête financière et politique, on peut parler d’un battement d’ailes d’un cygne noir.

Certes, le référendum était risqué, mais la perception du risque de Brexit avait été anesthésiée par la quasi-totalité des sondages depuis le 16 juin et l’assassinat de Jo Cox qui défendait avec ardeur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.

L’anxiété des marchés était dissipée dès l’ouverture, le jeudi 23, par une succession de sondages donnant le Remain largement gagnant. Un pronostic unanime repris à l’unisson par les bookmakers qui boostaient alors la confiance de la City en affichant un 90/10. Ce qui rendait le piège du Brexit imparable.

Un piège, aussitôt qualifié de cygne noir, puisque pour la première fois depuis des décennies, les bookmakers se sont trompés. Une erreur à plusieurs centaines de milliards d’euros, de yen et de dollar et dont furent principalement victimes les divisions « Banque d’affaire » et les hedge funds qui étaient repassés longs sur la livre, qui s’étaient rués sur les actions et les ETF tout au long des cinq séances avant le scrutin, faisant flamber les indices boursiers de +8,5% d’une seule volée.

George Soros a dû pavoiser !

Ceux qui détiennent des dettes souveraines de type « bunker » également (T-Bonds, OAT, Bunds, etc.) ainsi que ceux ayant accumulé des métaux précieux sur nos conseils ont dû être soulagés. Car les centaines de milliards perdues par les uns ont été aussitôt gagnées par d’autres : non, la valeur totale de l’ensemble des actifs financiers (actions et obligations) ne s’est pas désintégrée comme le 15 septembre 2008. Il ne s’agit pas d’un « instant Lehman ».

Le Brexit a causé un flash krach

Il s’est bien produit un « flash krach » sur la livre, le CAC 40, le DAX, le MIB 30 et le FT 100 vendredi matin. L’onde de choc du Brexit parvenait cependant très atténuée en abordant les rives de Manhattan. Wall Street ne cédait au final que -4% contre plus du double pour les places européennes qui dévissaient de -8,5% en moyenne. Vu de Paris ou de Francfort, en tenant compte de l’effet dollar, le recul des indices américains ne fut pas de 4% mais de -2%, avec un billet vert en hausse de 2,2% face à un panier de divises mondiales.

Le Dow Jones n’a cédé que -2,3% sur la semaine, le S&P perdant -2,5% vendredi à et le Nasdaq -4,1%. Rien de spectaculaire ! Les gestions « équilibrées » justifiaient parfaitement leur dénomination, puisque les gérants ont engrangé des gains quasi symétriques sur les marchés obligataires. De quoi relativiser les discours catastrophistes !

Pourtant, ceux qui affirment qu’un séisme cause des dégâts dont la gravité n’apparaît qu’au cours des prochaines répliques n’ont pas totalement tort. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil du côté du VIX.

Les éléments qui restent inquiétants…

Le VIX a explosé vendredi de +50% à 25,76 points, à 10% des records de début janvier et du 11 février (à 28). Mais on est encore très loin des 53 du 24 août 2015 après la dévaluation du yuan.
Le S&P a clôturé sous le support technique des 2 040 points (mais de très peu).

Les volumes d’échanges ont explosé (+300%), trahissant une vague de dégagements massifs.
Le rendement du T-Bonds a plongé de 1,74 vers 1,44% (un plancher depuis juin 2013) en quelques minutes, soit -30 points de base. Ce qui représente l’équivalent d’une baisse de taux par la Fed.

Une telle contraction du rendement signifie que les anticipations de prochaines hausses de taux sont repoussées à fin 2017 – si un nouveau QE n’est pas annoncé en urgence d’ici les élections présidentielles de novembre !

Or, si la Réserve fédérale (la Fed), la BCE et la BoJ ont déjà fait savoir qu’elles approvisionneraient les marchés en liquidités de façon illimitée et de façon coordonnée, le duo magique des injections QE et des réductions de taux directeurs n’est plus considéré comme une solution crédible et engendre plus de problèmes qu’il n’en résout. Le net affaiblissement de l’euro vendredi, tandis que le yen subissait une remontée contre-intuitive au-delà des 100 dollars constitue le symptôme d’un débouclement massif des carry trades.

Cela signifie que des opérateurs ayant shorté la devise nippone (la stratégie la plus consensuelle depuis le début des Abenomics) en espérant faire un bon coup, sur la livre ou sur l’euro, essuient des pertes considérables et se retrouvent contraints de réduire au plus vite leurs leviers spéculatifs. Or, réduire les leviers, c’est synonyme de « chute de la liquidité » des marchés, « d’envol de la volatilité », et de « panique face à l’absence de contrepartie »… A moins que les banques centrales « se mettent en face » et s’exposent à leur tour à subir des pertes illimitées.

Une rechute du CAC 40 sous les 3 900, du DAX sous les 9 000, de l’Euro Stoxx 50 sous les 2 700, du S&P sous les 2 000 points prouverait que les interventions anticipées des banques centrales depuis vendredi, entre 0h16 et 3h30 heures du matin (quand les marchés ont acté la victoire du Brexit), ne suffisent plus à enrayer la spirale baissière. Peu importe que le motif soit la situation politique espagnole, les divergences franco-allemandes, une nouvelle dévaluation du yuan ou un phénomène de château de cartes sur les banques européennes et américaines.

Messieurs Kuroda et Draghi seraient contraints d’émettre encore plus de fausse monnaie, provoquant, cette fois, l’effondrement de la devise (l’euro notamment) et la fuite des détenteurs de dettes souveraines réputées fragiles bénéficiant du soutien artificiel des banques centrales, uniques acheteuses en dernier ressort depuis mars 2009 et dont la crédibilité est garantie par votre épargne, sans que vous ayez votre mot à dire. Les citoyens du Royaume-Uni ont eu l’occasion de s’exprimer sur l’état du système tel qu’ils le perçoivent, sans y participer pleinement depuis 40 ans, et le résultat est loin de celui espéré par les élites.

Tout n’est pourtant pas perdu : les indices tiennent bon sur leurs supports de long terme. Mais le pari qu’ils tiendront indéfiniment est plus que risqué… nous conseillons, encore et toujours, d’avoir de l’or.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la 'voix' de l'actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l'un des tout premiers 'traders' mais également formateur de spécialistes des marchés à terme. Rédacteur aux Publications Agora, vous trouvez chaque jour ses analyses impertinentes des marchés dans La Chronique Agora. Il est également rédacteur en chef de la lettre Pitbull.

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