Après avoir longtemps occupé le devant de la scène, les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne semblent avoir été éclipsées par la crise du COVID-19. Suspendues début mars du fait de l'urgence sanitaire, les négociations ont pourtant rapidement repris par visio-conférence afin de poursuivre la recherche d'un compromis sur un nombre important de désaccords.
Alors que fin juin était la date limite pour toute décision de l'UE et du Royaume-Uni de prolonger la période de transition, les parties prenantes ne se sont à ce jour pas accordées sur un tel prolongement, maintenant ainsi la date d'effet du Brexit au 1er janvier 2021. Un prolongement de la période de transition était en fait inacceptable pour le Royaume-Uni, qui souhaite dès le 1er janvier retrouver sa liberté de régulation et ne pas être lié aux mesures et couteux plans de relance de l'UE.
La perspective d'un no deal et ses incertitudes que cela engendre continuent pourtant de peser sur les économies de part et d'autre de la Manche. En ce qui concerne les services financiers, la City et les principales places européennes suivent de près les développements réglementaires et ajustent et mettent en œuvre leurs plans de continuité afin d'en limiter les impacts. Les régulateurs européens ont également anticipé ce scénario et mis en place un certain nombre de mesures, de sorte que les acteurs britanniques et continentaux ne soient pas durement impactés dans la fourniture de services d'investissements transfrontaliers. A ce stade la principale zone d'ombre porte sur les infrastructures de marché, et notamment sur la compensation des instruments dérivés de gré à gré (dits dérivés OTC). C'est en effet sur ce domaine d'activité que les places européennes peinent à s'accorder, faute d'une position commune.
Une volonté forte de la part des européens de relocaliser la compensation des dérivés OTC
Représentant plus d'un tiers du marché des dérivés de taux, qui pèse plus de 440.000 milliards de dollars, les transactions en euro sont encore aujourd'hui majoritairement compensées par des chambres de compensation londoniennes. En l'absence d'alternative en Europe continentale, ces chambres sont systémiques et vitales pour les institutions financières européennes. Ces établissements servent en effet de contrepartie unique et apportent une garantie en cas de faillite d'un adhérent. Elles participent ainsi à la stabilité du système financier. Faute d'accord entre le Royaume-Uni et l'UE et en l'absence de toute mesure prise par les régulateurs européens, un arrêt brutal de la compensation par ces établissements engendrerait des perturbations considérables sur les marchés.
La volonté des Etats continentaux de faire compenser les transactions OTC en euro à l'intérieur des pays de la zone euro ne date pas du Brexit et apparait comme évidente, et ce pour des raisons dépassant des considérations purement économiques. Dès la crise des dettes souveraines en 2011, la BCE appelait à localiser la compensation des dérivés OTC dans la zone euro. Cette volonté politique a été remise au premier plan durant les négociations sur le Brexit, notamment dans un scénario où les chambres de compensation londoniennes échapperaient à la réglementation financière européenne, scénario impensable pour Bruxelles. Une faillite de ces établissements ne serait en effet pas sans conséquence pour les acteurs européens.
Un certain nombre d'acteurs continentaux intéressés par une relocalisation des dérivés OTC
Le lobbying pour une relocalisation des positions OTC dans la zone euro est principalement porté par la France, l'Allemagne et l'Italie, qui comptent des chambres de compensation susceptibles d'accueillir ces transactions. C'est ainsi qu'Eurex, membre Deutsche Börse Group et localisé à Francfort, a adopté une stratégie commerciale agressive pour développer son offre de compensation des dérivés de taux. La chambre de compensation allemande a notamment proposé un partage des profits avec ses clients et leur association à sa gouvernance. Un certain nombre de grands acteurs préparent en ce sens leur Target Operating Model pour migrer à moyen terme leurs positions vers cet établissement. A Paris, LCH SA, filiale de LCH Clearnet accueille déjà les dérivés de crédit et de dettes d'Etats européens.
Mais une migration qui reste en pratique compliquée à mettre en œuvre
Cette volonté restera difficile à mettre en application sur le moyen terme, du fait de l'absence d'alternative réelle en Europe continentale et de la réticence des établissements financiers. A ce jour, la part de marché occupée par Eurex avoisine les 15%, le reste des transactions étant compensé à la City. Les clients et acteurs, comptant parmi eux les établissements les plus significatifs, souhaitent également poursuivre la compensation de leurs instruments dérivés auprès des chambres londoniennes afin de ne pas fragmenter leurs opérations. La compensation en un lieu unique permet en effet un meilleur netting des opérations et moins d'appel de marge pour les participants. Que ce soit aujourd'hui ou le lendemain du Brexit, ces établissements ne souhaitent traiter qu'avec un seul prestataire afin de simplifier leurs opérations et bénéficier d'économies d'échelle. Un travail important de lobbying est en ce sens réalisé auprès de l'ESMA pour maintenir un statut quo après le 1er janvier 2021.
Un cadre réglementaire encore flou et des prochaines semaines qui seront décisives
Afin d'éviter une perturbation des marchés, la Commission Européenne a d'ores-et-déjà prévu d'accorder un régime d'équivalence de 12 mois dans le scénario d'un no deal. Durant cette période, les chambres de compensation londoniennes resteront autorisées à traiter avec leurs clients établis dans l'UE. L'environnement réglementaire à l'issue de cette période reste néanmoins incertain. Plusieurs options sont à l'étude, dont la possibilité de créer un mécanisme de surveillance des contreparties centrales des pays tiers par l'ESMA. En tout état de cause, l'environnement du clearing post-Brexit sera sujet aux tractations des différentes places européennes.
Un accord entre le Royaume-Uni et l'UE n'est pas non plus à exclure et, tout accord nécessitant un délai raisonnable d'implémentation, le mois d'octobre est considéré comme le mois de la dernière chance. Les prochaines semaines seront donc denses et mouvementées pour les différentes parties prenantes. Si un accord est trouvé, cet accord sera probablement un accord de dernière minute, dont l'UE est maintenant coutumière. Comme le souligne une source européenne auprès de l'AFP, il ne faut "jamais sous-estimer l'ingéniosité des fonctionnaires quand il s'agit de trouver des solutions imaginatives" .