Brésil et Mexique, des expériences contrastées face à la pandémie

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Par Stéphane Monier Modifié le 3 février 2021 à 6h42
Impact Economique Covid19 Etude
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12000 MILLIARDS $Le FMI prévoit que la crise économique supprimera 12.000 milliards de dollars de richesse mondiale en 2020.

Les images de bouteilles d'oxygène vertes symbolisent l'effondrement du système de santé dans la ville brésilienne de Manaus, dans le nord de l'Etat d'Amazonas. Dans cette ville de deux millions d'habitants, des patients atteints de Covid-19 meurent en raison d'une pénurie de matériel médical. La gestion de la pandémie en Amérique latine met en lumière les différences en matière de politique, avec d'importantes conséquences sur la reprise économique.

L'impact économique du lent démarrage des campagnes de vaccination, associé à un risque d'inflation, génère des risques pour les investisseurs dans la région. En outre, l'Amérique latine fait l'objet de l'attention du reste du monde alors qu'elle tente de faire face à un nouveau variant du Covid-19.

Dans son ensemble, l'Amérique latine a souffert du plus grand nombre de cas de Covid-19 au monde proportionnellement à sa population, avec un taux de mortalité élevé. Un décès sur dix lié au Covid-19 dans le monde est brésilien. Le pays a enregistré le deuxième plus grand nombre de morts dus au coronavirus après les Etats-Unis, avec 224'504 décès recensés au 1er février et le troisième plus grand nombre de contaminations, avec 9,2 millions de cas. Le Mexique est le troisième pays au monde en termes de morts liés au covid-19, avec 158'536 décès et un peu moins de deux millions de contaminations confirmées.

Au Brésil, le programme de vaccination a été lancé dans un climat politique tendu. C'est un gouverneur d'Etat, plutôt que le gouvernement fédéral, qui a été à l'origine d'un partenariat avec le Chinois Sinovac. En conséquence, L'Etat de S?o Paulo a commencé les vaccinations le 17 janvier, avant la distribution des doses d'Oxford/AstraZeneca au niveau national. Dans un message destiné au président Jair Bolsonaro, les premiers vaccins ont été décrits par le gouverneur de S?o Paulo Jo?o Doria, comme « le triomphe de la science et de la vie contre les négationnistes ». Le président, qui a qualifié le Covid-19 de « petite grippe », a déclaré qu'il ne serait pas vacciné.

Au moment où nous publions, le Brésil a vacciné 1% de sa population alors que le Mexique en a vacciné 0,5%.

Au Mexique, le président Andrès Manuel López Obrador (« AMLO ») a annoncé la semaine dernière qu'il avait été testé positif au virus. Le 24 décembre, le Mexique est devenu le premier pays d'Amérique latine à lancer un programme de vaccination. Le pays achète les vaccins AstraZeneca et CanSino, ainsi que 24 millions de doses du traitement Spoutnik V mis au point par les Russes.

Des choix budgétaires différents

En termes de normalisation économique, les indicateurs à haute fréquence montrent que le Brésil et le Mexique ont retrouvé 80 à 85% de leurs niveaux d'activité pré-pandémique.

À première vue, l'activité économique ne semble pas varier beaucoup. Cependant, les choix budgétaires respectifs du Brésil et du Mexique ont laissé aux deux économies des réserves différentes en matière de force de frappe financière.

Le plan de relance du gouvernement brésilien, dont l'ampleur était en ligne avec celle de nombreuses économies développées, a amorti une contraction de -4,7% du PIB en 2020, ce qui paraît sain par rapport à certains de ses voisins (cf. tableau). Le pays a ainsi choisi de consacrer jusqu'à 9,3% de son PIB aux mesures de soutien, y compris des distributions mensuelles en espèces à ses populations les plus pauvres. Cela a permis à M. Bolsonaro de consolider sa position politique durant l'année 2020.

Cependant, le gouvernement outrepasse désormais les limites budgétaires qu'il s'était fixées et la dette publique a augmenté pour atteindre plus de 100% du PIB. En décembre 2020, l'inflation a excédé l'objectif de 3,75% fixé par la banque centrale du Brésil pour 2021. Dans un récent communiqué, cette dernière a laissé entendre qu'elle pourrait augmenter les taux directeurs à partir du niveau actuel de 2,0%, ce qui pourrait compromettre la croissance économique de 3,2% que nous prévoyons pour cette année.

Marge de manoeuvre mexicaine

En revanche, le Mexique a relativement peu dépensé en matière de soutien budgétaire. En conséquence, son économie a davantage souffert en 2020, se contractant de -8,5%, tandis que le déficit budgétaire du pays était inférieur à 3,5% du PIB. La dette publique exprimée en proportion du PIB devrait atteindre 54% en 2021. En outre, l'inflation se situe dans la fourchette cible de la banque centrale, ce qui laisse une marge de manœuvre pour baisser les taux directeurs de 25 points de base à 4%.

Le Mexique a vraisemblablement la possibilité de dépenser davantage pour sa relance en 2021, en fonction de la volonté politique. Toutefois, AMLO s'est toujours opposé à une augmentation de la dette publique, rejetant les appels du FMI et de la Banque mondiale.

Les défis de l'Argentine

D'autres économies de la région, comme l'Argentine, se trouvent dans une situation qui peine à convaincre les investisseurs. Les perspectives de croissance à court terme de l'Argentine restent médiocres, la pandémie exacerbant un environnement déjà complexe marqué par une forte inflation et une grande incertitude politique. En conséquence, la consommation, les investissements et les exportations demeurent faibles.

Le contrôle des capitaux par le gouvernement limite l'accès au dollar. Cela continue de creuser l'écart entre les taux de change officiels et le marché parallèle. Les investisseurs attendent toujours une politique crédible visant à générer une stabilité fiscale en tant que condition préalable à la croissance économique. Le Fonds monétaire international va exercer une pression supplémentaire en faveur d'une réforme fiscale, bien que ces efforts puissent rencontrer une certaine résistance dans un environnement politique volatil, notamment en matière de réduction des dépenses. L'inflation devrait avoisiner les 36% en moyenne en 2020.

Approche sélective des actifs émergents

Ces différences en matière de santé économique signifient que nous demeurons très sélectifs en matière d'allocation d'actifs. Dans le cadre de notre positionnement global, nous surpondérons les actifs des marchés émergents. Toutefois, cela découle en grande partie de notre surpondération des investissements asiatiques, et notamment chinois.

Les marchés boursiers d'Amérique latine sont dominés par les valeurs financières, les matières premières et l'énergie, et représentent plus de 60% de l'indice MSCI Brazil. Ils se négocient à des valorisations relativement bon marché sur douze mois, soit 12,5 fois le bénéfice par action, ce qui est conforme à leur moyenne sur dix ans.

Cependant, si cela représente une décote considérable par rapport au reste du monde, à court terme, les perspectives sont incertaines pour les actions LatAm. Plus tard dans l'année, une fois que la reprise économique sera installée, la rotation cyclique bénéficiera particulièrement aux entreprises actives dans les matières premières telles que le pétrole brésilien et mexicain, le soja brésilien et le cuivre chilien.

À très court terme, le marché mondial de l'argent a atteint cette semaine son plus haut niveau depuis 8 ans, faisant office de catalyseur pour les indices boursiers mexicains. Le Mexique est le premier producteur mondial d'argent, avec quelque 12% de l'indice MSCI Mexico composé de sociétés minières.

Le marché obligataire exige une approche d'investissement tout aussi prudente. En 2020, la dette souveraine de la région a sous-performé les marchés émergents d'Asie, du Moyen-Orient et d'Europe de l'Est. Dès lors, certains noms du segment du crédit à haut rendement permettent de générer plus de valeur, car, contrairement aux obligations d'Etat, la région a offert les rendements de crédit les plus élevés. Cet écart reflète les craintes d'une instabilité sociale dans la perspective des prochaines élections. Le crédit d'entreprise, un segment où de nombreux émetteurs bénéficient de fondamentaux solides, continue à offrir des opportunités de portage intéressantes dans un contexte de faibles rendements de la dette souveraine. Par ailleurs, un resserrement des spreads par rapport aux emprunts souverains est peu probable.

Tout au long de 2019 et 2020, nous avons conservé une certaine prudence vis-à-vis du real brésilien, en raison des niveaux d'endettement élevés du pays. Nous avons privilégié d'autres devises, comme le peso mexicain et le peso chilien. Aujourd'hui, nous pensons que le real brésilien ne bénéficiera que partiellement du rallye des marchés émergents par rapport au dollar américain. En effet, les marchés des changes ont commencé à intégrer une hausse des taux d'intérêt et nous restons prudents face aux incertitudes qui entourent la politique budgétaire et la distribution des vaccins.

D'autre part, si les fondamentaux du Mexique sont généralement solides avec des taux réels positifs, nous sommes récemment devenus plus circonspects; le peso est surévalué et pourrait souffrir des incertitudes à l'approche des élections de mi-mandat prévues cette année. Toute baisse des taux d'intérêt compromettrait également les rendements de portage pour les investisseurs.

Tests politiques à venir

Alors que la région lutte contre la dernière vague de contaminations au Covid-19, les investisseurs se concentrent également sur toute une série de tests politiques en 2021. Cette semaine, les parlementaires brésiliens ont élu un nouveau président de la Chambre des députés et un nouveau président du Sénat, en entérinant le choix de M. Bolsonaro pour ces deux rôles. Ce résultat consolide le mandat du président et pourrait ouvrir la voie à davantage de dépenses publiques liées au Covid-19. Il lui permet également de poursuivre les réformes structurelles qu'il a promises durant sa campagne. M. Bolsonaro ne sera pas confronté à des élections générales avant le 2 octobre 2022, et la victoire de ses candidats éloigne désormais toute menace de destitution.

En juillet, les élections de mi-mandat au Mexique constitueront un référendum sur la présidence d'AMLO lui offrant la possibilité de consolider son contrôle politique. Les prochaines élections législatives en Argentine auront lieu en octobre.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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