Le Brésil fait passer les hausses de taux et la stabilité financière avant la croissance

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Par Stéphane Monier Publié le 28 février 2022 à 5h22
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@shutter - © Economie Matin
91%Le ratio dette/PIB du Brésil a reculé à 91% en 2021.

Il y a un an, la banque centrale du Brésil, la Banco Central do Brasil (BCB), obtenait son autonomie politique. Presque immédiatement, elle est devenue la première grande économie à relever son taux directeur. Le cycle est presque terminé et le pays offre désormais aux investisseurs un rendement réel positif.

En février 2021, le Parlement brésilien a approuvé une loi protégeant le gouverneur de la banque centrale, Roberto Campos Neto, de toute menace de licenciement par le gouvernement ou de toute ingérence dans la politique monétaire. Le mandat de quatre ans du gouverneur est renouvelable une fois, à mi-parcours du mandat gouvernemental.

Presque immédiatement, la BCB a entamé son cycle de hausse des taux. Depuis mars 2021, alors que le taux d'intérêt du pays était de 2%, le comité de politique monétaire du Brésil a relevé les taux d'intérêt de 875 points de base (pb) au total. Si l'on inclut la hausse de 150 points de base effectuée ce mois, le taux directeur ou « Selic » atteint désormais 10,75%. En novembre 2021, la sécheresse historique et la hausse du prix des denrées alimentaires, des produits de base et de l'énergie, ont fait grimper de 10,7% les coûts pour le consommateur, un record jamais égalé depuis 18 ans. En 2021, la croissance économique du Brésil a ralenti pour se muer en récession technique, avec un deuxième et troisième trimestre ayant enregistré des contractions de -0,3% et -0,1%.

Le principal marché d'Amérique latine a entamé l'année en souffrant d'une inflation élevée et d'un ralentissement de son économie. En janvier 2022, l'inflation a progressé de 10,4% relativement à l'année précédente. Désormais, la BCB vise explicitement la stabilité des prix avec un objectif d'inflation annuelle de 3,5%. La banque centrale a déjà déclaré le 11 janvier qu'elle manquerait cette cible cette année. Compte tenu de la dette et des dépenses publiques historiquement élevées du pays, la banque centrale doit absolument empêcher toute dérive inflationniste.

Tandis que les pressions inflationnistes restent élevées au Brésil, les prix pourraient avoir déjà atteint un sommet, et la banque centrale gère activement les risques. Toutefois, si la BCB échoue à maintenir la stabilité des prix, elle risque de « désancrer » les anticipations, ce qui compromettrait l'efficacité de sa politique monétaire.

Nous prévoyons de nouvelles hausses lors des réunions de la banque centrale en mars et en mai, soit 150 points de base supplémentaires au total, ce qui porterait le taux final à 12,25%.
Le taux directeur du Brésil, corrigé de l'inflation, est proche de son plus haut niveau depuis trois ans et demi, ce qui donne un taux réel de 0,2% environ. La comparaison avec la plupart des marchés est favorable. Par exemple, le taux directeur des États-Unis corrigé de l'inflation est de -7,4% et le rendement des obligations du Trésor à dix ans indexées sur l'inflation (TIPS) est de -0,43%.

Au-delà du Brésil, les rendements nominaux et réels sont intéressants dans une poignée d'économies émergentes, comparativement aux marchés développés. Les cycles de resserrement monétaire sont bien avancés dans la plupart des économies émergentes, la Russie et le Brésil devançant les autres. Avec quelque 200 points de base de hausses supplémentaires à venir, la plupart des cycles de resserrement devraient culminer à mi-2022. Toutefois, alors que l'écart entre la croissance des marchés développés et celle des marchés émergents se réduit, l'inflation s'avère persistante et les gouvernements pourraient se montrer moins généreux sur le plan fiscal, créant un risque macroéconomique.

Panne de croissance

Du fait que l'inflation devrait rester élevée en 2022, la politique monétaire brésilienne restera restrictive et la croissance continuera à stagner en 2022. Son économie, très dépendante des matières premières, a bénéficié de l'essor de la demande dans le sillage de la pandémie, avec un excédent record de 61 milliards USD en 2021 de sa balance commerciale. La demande de son principal marché d'exportation, à savoir la Chine, devrait rester soutenue grâce à l'assouplissement de la politique monétaire destiné à encourager la croissance. Nous anticipons une croissance de 5% de l'économie chinoise cette année.

En 2020, le Brésil a exporté pour 67 milliards USD de marchandises vers la Chine, dont environ un tiers de soja, selon l'Institut de Recherche Économique Appliquée (Ipea). Les mauvaises conditions météorologiques de l'année dernière ont perturbé la récolte de soja, réduisant le volume des exportations brésiliennes alors que la Chine se tourne davantage vers les fournisseurs américains. Les deux autres principaux produits d'exportation du Brésil sont le pétrole brut et le minerai de fer. Le prix du Brent a gagné 24% depuis le début de l'année, tandis que celui du minerai de fer a augmenté de près d'un cinquième en raison de la hausse de la demande en vue de la production d'acier.

En octobre prochain, le Brésil organise ses élections législatives et présidentielles. La campagne va s'intensifier autour du mois de juillet, lorsque commencera la promotion des partis politiques, suivie d'un premier débat télévisé agendé au mois d'août. Les deux candidats principaux sont l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva et le président sortant Jair Bolsonaro. Les récentes campagnes électorales ont été agitées et l'agenda politique pourrait générer de la volatilité sur les marchés tout au long de l'année.

Durant cette année électorale marquée par une polarisation de la politique brésilienne, le gouvernement pourrait peiner à imposer des propositions de dépenses radicales. Les marchés se concentreront sur la politique budgétaire, le profil commercial du pays et plus particulièrement les exportations de matières premières.

Selon le Fonds monétaire international, le ratio dette/PIB du Brésil a reculé à 91% en 2021 contre 99% l'année précédente. Cette baisse s'explique principalement par le fait que la reprise a stimulé la croissance. Alors que la Réserve fédérale américaine s'apprête à implémenter ses hausses de taux, le risque d'importantes fuites de capitaux est faible grâce au différentiel de taux positif entre le Brésil et les États-Unis, ainsi qu'à un déficit courant limité et à une dette publique essentiellement détenue à l'intérieur du pays.

A l'instar de l'argumentaire soutenant l'initiation de notre exposition à la dette chinoise en 2020, nous pensons qu'il est judicieux d'exposer les portefeuilles au cycle monétaire avancé du Brésil, tout en les diversifiant pour les protéger des risques géopolitiques. La dette gouvernementale brésilienne en reais offre un potentiel intéressant, car elle permet d'obtenir un rendement de portage supplémentaire. Il convient de noter que cette vue ne se base pas sur une perspective devise, car le real affiche une tendance à la volatilité.

En 2022, parallèlement au soutien apporté à l'économie brésilienne par les prix des matières premières, la BCB est plus avancée que de nombreuses autres banques centrales dans son processus de normalisation monétaire. Par conséquent, l'inflation et les taux d'intérêt brésiliens devraient atteindre un pic avant mi-2022. Le taux d'intérêt corrigé de l'inflation du pays devrait ainsi figurer parmi les plus élevés des principales économies émergentes au second semestre 2022. Bien entendu, nous surveillerons de près les risques, liés dans ce cas précis au cycle électoral national de 2022.

En janvier, nous avons abaissé à 5,25 nos prévisions concernant le cours dollar US-real brésilien pour fin mars. Nous pensons que la juste valeur de la paire USD/BRL, basée sur le ratio dette/PIB du Brésil, est plus proche de 5,00, comparativement à l'actuel taux de change de 5,06.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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