Le rapport qui assassine Bpifrance

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Par Sébastien Laye et Gaspard Koenig Publié le 18 juillet 2014 à 2h25

Extrait du rapport "BPI Bureaucratie, Protectionnisme, Inefficacité Pour en finir avec l'interventionnisme public débridé" de Sébastien Laye et Gaspard Koenig

Paradoxes et limites d'une « banque publique »

Comme l'ont montré Augustin Landier et David Thesmar dans leur ouvrage « 10 Idées qui coulent la France », la relation Etat/banques/entrepreneurs est bien au cœur du théâtre politique français et de son cortège de drames. Si le grand patron est une figure honnie en France, la PME est, elle, l'acmé du développement économique et le centre de toutes les attentions. La banque est quant à elle le bras armé des ambitions économiques de l'Etat et de ses technocrates. Dès 1917, sur le modèle du Crédit Agricole, l'Etat radical-socialiste met en place les banques populaires. Mal gérées, elles ont dû être secourues par l'Etat via la création d'une caisse centrale des banques populaires. Après-guerre, seront créés l'ANVAR pour financer la recherche, les Instituts de développement régional, l'Institut de développement industriel, puis dans les années 70s, la Sofaris (garantie de prêts aux PMEs), la BDPME pour les prêts d'équipement, les prêts bonifiés, etc. Les banques nationalisées au début des années 80 auront pour mandat de prêter davantage sans réel discernement, ce qui entrainera la chute du Crédit lyonnais. Se multiplieront aussi les initiatives pour orienter l'épargne des Français, notamment via les PEA, vers les PME, jusqu'aux récentes initiatives qui ne font que rejouer la partition des années 80s.

La banque publique d'investissement, loin d'être une innovation, est au contraire une résurgence des modes de pensée des années 80. A cet égard, il faut relire le texte fondateur d'un économiste pourtant en vogue auprès de la social-démocratie européenne, Joseph Stiglitz. Dans un article de l'American Economic Review4 , Stiglitz et Andrew Weiss nous rappellent les linéaments du marché du crédit. Quand un entrepreneur se présente à son banquier, ce dernier exige des nantissements d'actifs (un collatéral) : si l'activité nécessite des actifs tangibles (usines, équipements), il requerra ces actifs comme collatéral, si ce n'est pas le cas, il demandera comme collatéral les actifs personnels de l'entrepreneur (c'est ce qui rend difficile le financement par dette des start ups par exemple, dont les actifs sont intangibles). Demander à un entrepreneur de réaliser un investissement personnel conséquent ou de mettre ses biens en nantissement est une manière de résoudre l'aléa moral existant entre l'entrepreneur et le banquier (ce dernier n'ayant aucun contrôle sur le projet, il doit s'assurer que la PME fera de son mieux pour rembourser). Un projet même théoriquement rentable ne sera jamais financé s'il n'y a pas investissement personnel de l'entrepreneur ou nantissement sur les biens de l'entreprise. C'est ce qui explique le rationnement naturel du crédit. En s'immisçant dans l'équation entrepreneur/banque, l'Etat ne change pas la donne : s'il analyse rationnellement les dossiers comme l'équipe de M. Dufourcq en a l'ambition, il donnera forcément une réponse négative aux mêmes dossiers qui auraient été refusés par le secteur privé. S'il relâche ses critères ou incite les banques/fonds privés à relâcher leurs propres critères (en leur amenant de la liquidité ou des garanties), il court le risque de perdre sa mise initiale et de favoriser le mal-investissement, c'est-à-dire la multiplication de projets financés alors que leurs taux de rendement interne sont inférieurs au coût du capital. Nous en avons l'illustration par exemple en Chine, ou aux Etats-Unis dans les secteurs aidés par l'Etat comme le solaire (avec de retentissantes faillites comme celle de Solyndra aux Etats-Unis suite à un prêt de $500mln du Département of Energy ou encore celle de Chaori Solar en Chine : l'Etat en s'immisçant dans un secteur dont les taux de rendement interne étaient bien inférieurs à celui des hydrocarbures, n'a pas pu juguler le verdict final du marché et des clients...).

A la suite du scandale du Crédit Lyonnais, Pierre Bérégovoy avait dû admettre que l'Etat n'était pas le mieux placé dans la chaîne d'octroi du crédit, et avait amorcé un retrait de l'intervention publique. Nous prédisons que l'actuel gouvernement sera acculé à la même logique.

L'intervention au capital de grandes sociétés cotées, à la manière du FSI, est encore plus problématique si l'on se réfère au modèle de Stiglitz : la plupart de ces sociétés, en effet, n'ont aucun problème pour se financer, organiser des augmentations de capital : quand la BPI ramasse en Bourse des actions de Technicolor, elle n'apporte pas d'argent frais à l'entreprise... Quant aux sociétés non-cotées, la France a l'une des industries du private equity la plus développée en Europe, avec des fonds locaux leaders (LBO France, Astorg, Chequers Capital, Equistone, Ardian...). En 2012, le capital-investissement a permis de lever 5 milliards d'euros et de soutenir plus de 1 500 entreprises (dont 82% étaient des PME). D'une manière paradoxale, l'Etat a d'abord assailli ce secteur de changements, en particulier fiscaux, défavorables, enrayant sa croissance, pour ensuite se plaindre du manque de capitaux et venir le concurrencer via la BPI : quelle est la logique, si ce n'est idéologique, de l'attitude du gouvernement à l'égard du private equity sur les trois dernières années ?

Le seul domaine d'intervention de l'Etat qui pourrait être justifié en raison d'externalités positives est celui de l'innovation, car en l'absence d'actifs tangibles à développer ou acquérir, le financement par dette est problématique. Il existe bien sûr des capitaux risqueurs (et la BPI aurait tort de croire qu'elle peut avoir les compétences des firmes de capital-risque, il s'agit là d'un vrai métier qui ne s'apprend pas sur les bancs de l'Inspection des Finances), mais il faut réitérer ici certaines caractéristiques du métier : le capital-risqueur classique finance des sociétés innovantes dont les perspectives de marché sont à moyen/court terme. Il va donc financer le plus souvent une innovation incrémentale (ex : Dailymotion), plus difficilement une innovation radicale demandant plusieurs décennies (comme dans la biotech, même si les capitaux risqueurs américains ont cependant financé cette industrie et ses pionniers comme Genentech). Le rôle de la BPI pourrait donc être justifié dans le financement de long terme, très en amont (early stage) d'innovations radicales (biotech, nanotech, objets connectés : l'investissement dans Whiting est à cet égard une bonne direction). Dans le cadre de tours de table tardifs, pour des sociétés internet tournées vers le consommateur, l'effet de levier est faible pour la BPI et l'Etat en général.

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Sébastien Laye est investisseur, entrepreneur et banquier-conseil. Il est PDG de Laye Holdings.Gaspard Koenig est Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre. Il est également l'ancienne plume de Christine Lagarde.

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