Bourses : on va tous se faire « Nikkei »

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Par Charles Sannat Modifié le 31 mai 2013 à 9h00

Il se passe des choses absolument passionnantes mais, disons-le, aussi très inquiétantes. Nos amis de la Chronique Agora titraient aujourd'hui sur « la grenade japonaise dégoupillée ». Nous allons y revenir car je souhaitais essayer de décrypter avec vous ce qui se joue actuellement dans le monde financier.

J'aime bien les articles de BFM car on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un média pessimiste. BFM tente plutôt de remonter au cric s'il le faut le moral des « zinvestisseurs » français à longueur d'antenne.

Même BFM se penche sur le problème des taux obligataires !
« Les opérateurs anticipaient une embellie sur le marché obligataire américain : elle n'est pas vraiment au rendez-vous. Les taux longs US se détendent un peu après avoir flirté avec les 2,2. » Hier, je vous donnais le lien pour surveiller en temps réel l'évolution du principal taux qui est celui de l'emprunt américain à 10 ans.

Lisez attentivement cette phrase car elle vous donne un renseignement très important sur la gravité de la situation : « Le rendement du T-Bond 2023 revient à 2,15 % ce soir mais cela représente encore une chute de -10 % de la valeur nominale de la dette US depuis vendredi. » Vous avez bien lu. Si le terme « krach obligataire » est soigneusement évité dans cet article, lorsqu'en une journée vous perdez 10 % sur le nominal des obligations que vous détenez... on peut parler d'un krach !

Le mythe de la grande rotation !
L'article de BFM poursuit en se posant la question suivante : « Les obligations baissent, les stratèges avaient raison, la 'Grande Rotation' s'enclenche, la FED a peut-être réussi son pari ? ou pas ! » Là aussi vous l'aurez compris, l'important c'est le « ou pas ! ».

La grande rotation qu'est-ce que c'est ?
C'est le réagencement des portefeuilles de placement de façon générale, globalisée, et simultanée. C'est un thème à la mode. En gros, l'idée c'est que les obligations d'État sont au plus haut (en valeur) dans la mesure où les taux sont maintenus au plus bas (par les injections de liquidités des banques centrales). Comme les taux sont au plus bas et que les obligations ne rapportent plus grand-chose, les « zinvestisseurs » auraient intérêt à revendre leurs obligations pour se précipiter sur le marché actions !

Si cette théorie peut fonctionner lorsque les obligations donnent des rendements faibles MAIS que le prix des actions est au plus bas, je ne vois pas l'intérêt, même pour des « zinvestisseurs » lobotomisés et crétinisés, de se ruer sur des actions qui sont au plus haut historique de tous les temps... comme s'il n'y avait aucune crise économique en cours !

La grande rotation est donc un mythe. La réalité c'est ce à quoi vous assistez et sur lequel j'attire votre attention depuis plusieurs jours.
Les obligations s'effondrent ! Au Japon comme aux USA !

Le marché actions souffre beaucoup, le Nikkei a encore perdu plus de 5 % hier. Pour éviter un krach global, ce qui déboucherait sur une nouvelle crise financière – bien que notre Président nous explique que la crise financière est vraiment finie – qui ferait vaciller l'ensemble des banques avant un immense patatras généralisé, les banques centrales font tourner la planche à billets à plein régime et soufflent encore dans la bulle !

Et les zinvestisseurs pris de « pré »panique foncent acheter... une espèce de relique barbare que l'on appelle « or », « gold », « métal jaune »... Ils comprennent vite mais encore faut-il leur expliquer longtemps. À ce rythme, nous aurons droit à des séances d'anthologie sur l'or avec des taux de progression de plus de 50 % par jour !

Des pertes obligataires qui commencent à faire mal !
Continuons l'analyse de cet article de BFM : « Pour illustrer la situation : imaginez-vous dans la peau d'un gérant de fond de retraite qui pratique une stratégie équilibrée : 50 % taux longs US, 50 % d'actions cotées à Wall Street. Il avait donc gagné 0,6 % sur les actions hier soir et perdu 8,5 % sur les T-Bonds. Même constat depuis le début de l'année, il a gagné 18 % sur le 'S&P', il perd 30 % sur son portefeuille obligataire (on avait commencé l'année à 1,75 % sur le 10 ans US). »

C'est un raisonnement théorique qui a le mérite de vous montrer l'ampleur des pertes que certains subissent actuellement ! Or nous parlons de variations de taux qui en elles-mêmes sont très faibles puisque l'on passe de 2 % à 2,20 % mais beaucoup trop vite !

Plus personne ne veut des obligations américaines !
Vous connaissez la dialectique classique de nos agences de désinformation, pardon... de presse ! « Baisse/hausse surprise ! », ou encore le sempiternel « on ne pouvait pas savoir » ! On va donc progressivement « découvrir » que c'est la FED elle-même qui rachète les bons du Trésor américain, ce que l'on sait depuis 5 ans... mais vraiment quelle surpriseuuu...

Toujours dans l'article de BFM dont nous trouvons un peu plus bas : « Et il y a encore plus inquiétant : la dernière adjudication de bons à 2 ans (c'était mardi soir vers 20H) a été un fiasco ! La demande domestique n'a couvert que 12,6 % de l'émission contre 27,8 % en moyenne, et 65 % de l'émission a été achetée par les primary dealers qui bossent avec la FED (qui a dû s'empresser de les leur racheter) ».

Le circuit de blanchiment (pardon de financement) est le suivant :
Le gouvernement fédéral US est à découvert (plus les dettes qu'il faut rembourser avec de nouvelles dettes). Il émet donc une reconnaissance de dette appelée bon du Trésor en échange d'argent frais versé par un investisseur. C'est une reconnaissance de dette avec un taux d'intérêt.

En réalité, le gouvernement US fait commercialiser sa dette par quelques très grosses banques nommées « primary dealers » ce qui revient, dans le monde de l'épicerie fine, à parler de grossiste. Ils achètent en gros les obligations US (et c'est une obligation contractuelle) pour les revendre au détail. Comme il n'y a plus de client... c'est la Banque centrale qui finit par reprendre le stock d'invendu... à hauteur de 65 % ! Mais tout va bien !

Cet article, qui est vraiment une mine d'or, se pose enfin une bonne question : « La FED aura certainement à cœur de faire en sorte que l'émission de 35 Mds$ de bons à 5 ans se passe mieux ce soir (tout sera fait pour éteindre l'incendie)... mais a-t-elle les moyens de soutenir durablement les cours ? »

La FED est schizophrène...
Voilà tout le problème. D'un côté, la FED dit vouloir stopper sa création monétaire débridée... mais pour pouvoir le faire, il faut qu'elle injecte encore plus pour racheter les obligations du Trésor US dont plus personne ne veut.

La ligne de crête permettant de gérer cette situation désespérée devient de plus en plus étroite et je serais très surpris que la FED arrive à s'en sortir sans casse, c'est-à-dire sans krach obligataire provoqué par une remontée des taux trop rapide.

Il ne faut pas oublier que si les taux vont trop haut, et il n'y a aucune raison qu'ils n'y aillent pas si on laissait les marchés définir leur prix, c'est l'insolvabilité généralisée qui nous attend. Du coup, les Banques centrales devront bien à nouveau faire marcher les planches à billets... comme au Japon.

Que se passe-t-il au Japon ?
Création monétaire débridée, qui conduit à une dépréciation importante de la devise japonaise. Cela signifie qu'un porteur d'obligation japonaise (qui ne rapporte rien) perd en plus 20 % rien qu'avec le taux de change. Du coup, les marchés souhaitent des taux plus élevés. Du coup, les obligations chutent et les taux remontent.

Le problème c'est qu'avec 250 % de dettes/PIB, le Japon ne peut pas voir ses taux d'emprunt doubler, c'est-à-dire passer de 1 à 2 % sans se retrouver en faillite ! Du coup, la Banque du Japon imprime encore plus, déclenchant certes une légère augmentation des exportations mais qui ne compensent pas la hausse des prix à l'importation et donc une inflation qui va avoir tendance à se rapprocher furieusement de l'hyperinflation et vite. Du coup, les « zinvestisseurs » voudront des taux encore plus élevés... rendant le Japon encore plus vite insolvable.

Le Japon court donc à la catastrophe, ce que l'on savait dès que le nouveau Premier ministre a annoncé sa nouvelle politique monétaire. 70 % des obligations émises par le gouvernement sont achetées par la Bank Of Japan, la BoJ, la Banque centrale nipponne. Pourtant, tout cela n'a empêché personne d'investir sur le Nikkei qui a pris 70 % en quelques mois sur du vent et de la fausse monnaie.

Nous dansons donc sur un volcan et l'on entend déjà gronder les remontées de laves
Encore une fois, il ne faut pas croire qu'il y ait une seule façon de s'en sortir sans que ce soit douloureux. Il n'y a aucune bonne solution. L'austérité, nous voyons ce que cela donne en Europe. En dehors de toute idéologie, l'austérité ne fonctionne pas et conduit à la faillite et à l'insolvabilité par la dépression, comme c'est le cas en Grèce... mais la monnaie a encore de la valeur, ce qui ne sert à rien puisque toutes les banques et les États seront en banqueroute, comme à Chypre.

La planche à billets, et le Japon est un peu en avance sur les USA, nous montre que cela ne fonctionne pas plus et qu'au bout, tout le monde sera ruiné par une hyperinflation dévastatrice.

Le problème c'est que le niveau de dette atteint est tel que personne ne les remboursera jamais...mais personne n'aura le courage de le dire. Cela vous tombera un beau matin sur le coin de la tête. Les banques seront fermées et nous nous serons tous fait « Nikkei »... Enfin tous, pas tous, car je connais un petit village d'irrésistibles Goldois entourés de camps retranchés bancaires qui résistent encore et toujours à la grande illusion monétaire.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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