Boris Johnson devrait prendre la tête du gouvernement britannique demain. Comment ne pas revenir sur les promesses faites aux militants du Parti conservateur tout en prenant en compte à la fois les équilibres politiques au Parlement et dans le pays et les intérêts bien compris de l’économie ? L’équilibre sera difficile à trouver ; mais « le pire n’est jamais certain ».
L’expression, choisie comme titre à cette chronique, est attribuée à François Mitterrand. Ce fût, paraît-il, une de ses premières réactions à l’annonce de sa victoire à la Présidence de la République française en mai 1981. Ces mots seront peut-être utilisés à nouveau un peu plus tard dans la journée. C’est en effet aujourd’hui qu’Alexander Boris de Pfeffel Johnson (il préfère se faire appeler Boris Johnson) doit être déclaré comme étant le nouveau leader du Parti conservateur britannique, au sortir de l’élection auprès des militants. Par ricochet, il sera nommé demain Premier ministre du Royaume-Uni. Que va-t-il faire ?
Boris Johnson dans de beaux draps
Le mandat reçu de la base du Parti est de faire sortir le pays de l’UE au plus tard le 31 octobre 2019 ; sans accord s’il le faut. Mais, cela correspond-il à la volonté à la fois du Parlement et du peuple britannique ? La question reçoit une réponse négative, avec dans les deux cas une volonté de ne pas couper les amarres, sous une forme ou une autre, avec le Continent. Il faudra tout l’esprit d’adaptation qu’on prête à Boris Johnson pour franchir la nouvelle étape de sa geste politique : après la conquête du pouvoir, réussir à s’y maintenir.
En laissant (pour le moment) de côté les électeurs, le Royaume-Uni se trouve face à un trilemme. Boris Johnson ne veut un accord avec Bruxelles, que dans la mesure où il n’y a pas de traitement différencié de prévu pour l’Irlande du Nord relativement au reste du pays. Ce qui implique d’abandonner l’idée de « filet de sécurité », qui doit permettre d’éviter le retour à une frontière physique entre les deux Irlande. L’UE veut un accord, dont le « filet de sécurité » est un élément central. La majorité actuelle au Parlement de Westminster refuse la sortie sans accord et émet des réserves sur le « filet de sécurité ».
Brexit : l'incertitude demeure
Si on prend la double hypothèse que le nouveau Premier ministre n’arrivera pas à neutraliser le Parlement (celui-ci a vu « venir le coup » et a pris ses dispositions pour siéger sans discontinuité de son retour de la fermeture estivale au 31 octobre 2019) et que le Continent s’assurera du mandat donné par le Parlement britannique au Premier ministre avant de se mettre à discuter (ce qui ne veut pas dire rouvrir des négociations), l’alternative est un peu du genre charybde ou scylla pour le nouveau Premier ministre. D’un côté, le nouveau cabinet poursuit dans la voie du no-deal Brexit de façon construite et tente de convaincre le Parlement. Cela prendra sans doute un temps assez long ; en sachant que le calendrier politique est assez chargé au retour des vacances d’été, avec les conférences des deux « grands » partis entre la fin septembre et le début octobre. Dans ce cas, rien ne serait finalisé au 31 octobre 2019. De l’autre, le nouveau Cabinet tente de passer en force et se trouvera probablement alors confronté à une motion de défiance. Elle risque fort de passer et un appel au peuple s’imposera. Celui-ci prendra sans doute plus la forme de nouvelles élections générales que d’un autre référendum.
Le résultat de l’un ou l’autre de ces scrutins électoraux est difficile à appréhender. En cas de référendum, les sondages pointent une victoire du remain ; mais sans certitudes fortes avec près de 20% d’indécis et le choix du leave qui remonte. Si des élections générales ont lieu, le mode de scrutin (uninominal majoritaire à un tour) va compliquer la traduction des enquêtes d’opinion en sièges obtenus par chaque parti. S’il existe chez les citoyens une vraie majorité pour garder une relation étroite avec l’UE (remain ou soft Brexit), il est difficile de savoir quelle majorité parlementaire sortira des urnes.
Vers un rapprochement avec les « soft brexiteurs » ?
La situation politique britannique reste très incertaine. Au-delà des jeux politiques et du cadre électoral, la question de fond est de savoir comment l’équilibre se forme entre les trois blocs que sont le remain, le soft Brexit et le hard Brexit. Vers une alliance entre les tenants du remain et du soft Brexit ou entre « brexiteurs » ? Deux choses apparaissent à l’heure actuelle. D’abord, Boris Johnson devra « mettre de l’eau dans sa bière » et chercher à se rapprocher des soft « brexiteurs ». Ensuite, si « passer en force » n’est en fait pas une option pour le nouveau Cabinet, démêler l’écheveau du dossier compliqué du Brexit va demander du temps. Trancher le « nœud gordien » n’est pas toujours possible, et Boris Johnson n’est pas Alexandre le Grand. Pour le marché il y a ici deux messages : le Royaume-Uni reste probablement dans un temps politique long, avec une incertitude faite alors pour durer plus longtemps qu’envisagé à l’écoute des récents « propos d’estrade », et les relations avec le Continent devraient s’inscrire davantage dans le scénario d’une certaine continuité que dans celui d’une rupture radicale.
L'Espagne à l'heure des choix
C’est aujourd’hui aussi qu’a lieu le premier vote au Parlement espagnol sur la formation du prochain gouvernement. Le leader socialiste Pedro Sanchez devra obtenir une majorité absolue, pour prendre les rênes du Cabinet. Il n’assure pour le moment qu’un intérim à la tête du gouvernement. Réussir est assurément hors d’atteinte et il faudra attendre le deuxième vote, jeudi et à la majorité simple, pour envisager une victoire. Vers un gouvernement socialiste minoritaire ou vers une coalition avec Podemos, parti d’extrême-gauche ? Les deux options sont sur la table. Le marché préfère la première, même si la solution appelée de ses vœux était une alliance entre les socialistes et les centristes de Ciudadanos. Celle-ci n’est pas possible, au nom de la stratégie du parti du centre d’aller chasser sur les terres électorales du Parti populaire. Dans tous les cas, les investisseurs font le pari d’une ligne de politique économique toujours raisonnable. A information connue à l’heure actuelle, ils ont raison.
Italie : élections ou pas ?
Puisqu’on est dans la politique « jusqu’au cou », il faut garder un œil sur la situation italienne. Sur les quelques dernières semaines, la perspective d’un nouvel épisode électoral s’était éloignée. L’effet positif sur le marché avait été amplifié par le renouvellement des engagements du gouvernement en matière de niveau du déficit des comptes publics pour l’année en cours. C’est tout récemment que de nouveaux craquements au sein de la coalition formée entre la Ligue et 5 Etoiles sont réapparus. On murmure que l’alternative à de nouvelles élections serait un remaniement, qui diminuerait le rôle de ce deuxième parti au sein du gouvernement. L’idée est-elle acceptable, voire simplement crédible ?