Le beurre, l’argent du beurre et la grimace de la sorcière

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Par Hervé Goulletquer Publié le 21 juin 2019 à 10h10
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@shutter - © Economie Matin

Le marché fait deux paris. Le premier est que les discussions commerciales sino-américaines vont reprendre ; probablement au lendemain de la rencontre entre les Présidents Trump et Xi, dans le cadre du Sommet du G20 et en fin de semaine prochaine au Japon. Ainsi, l’incertitude, positionnée à un degré élevé aujourd’hui, pourrait refluer et la confiance, s’améliorer. De fait, au sein de l’indice S&P 500 (en hausse de près de 7% depuis le 31 mai), les valeurs cycliques se remettent à « performer » mieux que les défensives. Faut-il le lire comme un signe avant-coureur d’une remontée prochaine des enquêtes de conjoncture auprès des entreprises ? L’observation du passé le suggérerait. Le second pari est que les grandes banques centrales vont assouplir de façon marquée leurs réglages monétaires respectifs. Le marché des futures sur taux courts le montre clairement et les taux longs « suivent le mouvement ». Depuis la fin mai, le contrat future décembre 2019 des fonds fédéraux américains perd 30 centimes et le rendement d’un titre d’Etat à 10 ans baisse de 14 centimes. En Zone Euro, un contrat similaire sur l’euribor 3 mois se replie de 10 centimes et le taux d’Etat allemand, de 12 centimes.

Une situation très contrastée

La question est évidemment de savoir s’il est raisonnable de faire les deux paris en même temps. Si le choc d’incertitude se dissipe, alors la réalité économique reprendra ses droits. La phase haussière du cycle, malgré son vieil âge, n’est pas encore sur le point de se retourner. Dans ce cas, l’attention va naturellement se porter sur un marché de l’emploi plutôt tendu et sur les possibles implications en termes d’accélération des salaires et des prix. Peut-on alors anticiper une détente monétaire un tant soit peu marquée ? Probablement pas.

Bien sûr, dans la vraie vie, tout est plus nuancé. L’incertitude pourrait n’être que moins forte et ses implications sur l’économie et les marchés de nécessiter donc une action des banques centrales. Tout est alors question de degré et d’équilibre.

Dans tous les cas, la situation actuelle paraît très contrastée. Peut-on espérer mieux qu’une trêve au sortir de la rencontre entre Trump et Xi ? Dans ce cas, l’incertitude « épaisse » est là pour rester. Certes, la politique monétaire sera assouplie ; mais on sait que les marges de manœuvre sont contraintes (au moins pour ce qui est du maniement des taux d’intérêt). L’assouplissement ira-t-il aussi loin qu’anticipé, surtout dans le cas américain ? Peut-être pas. Croit-on vraiment alors à une reprise nette de la confiance de la part des milieux d’affaires et des marchés ? C’est loin d’être acquis. Bref, le soutien monétaire ne devrait probablement pas à compenser le maintien de l’incertitude à un niveau élevé et un tassement de la croissance. Cette hypothèse centrale ne peut pas être oubliée.

Comment ne pas trouver que ce qu’on observe à l’heure actuelle sur les marchés a un côté « beurre et argent du beurre ». Il ne manquerait que le sourire de la crémière. Disons qu’on ne l’a pas repéré. Il se pourrait même que celui-ci soit remplacé par la « grimace de la sorcière ».

Expliquons-nous. On sait que la rivalité sino-américaine, à l’origine de la phase d’incertitude épaisse en cours à l’heure actuelle, s’analyse classiquement en sciences politiques au travers de la notion de « piège de Thucydide. On en a souvent parlé. Tout part de la concurrence entre la puissance établie et la puissance ascendante. La montée en puissance de la seconde et la crainte qu’elle suscite chez la première crée une situation stratégiquement instable. Plus largement, le multilatéralisme déséquilibré, qui caractérise les relations internationales aujourd’hui, est à l’origine d’une série de tensions autour du globe. Challenger une « grande puissance », si on pense avoir l’appui, même partiel, d’une autre, n’est-il pas possible ? En sachant que l’action de telle ou telle de ces quelques grandes puissances » est limitée par la réaction éventuelle d’une autre d’entre elles.

Vers un enclenchement de conflit ouvert ?

N’en est-on pas là, avec le rapport compliqué (conflictuel ?) entre les Etats-Unis et l’Iran, allié de la Russie et partenaire de la Chine ? Les deux pays sont confrontés à un « dilemme de sécurité » : toute initiative de l’un pour renforcer sa sécurité (au sens large, y compris celle de ses approvisionnements et de ses alliés) est perçue comme une menace, voire comme la préparation d’une attaque, par l’autre. Le risque est qu’une erreur d’interprétation ou de communication conduise au déclenchement d’opérations militaires. Les évènements des dernières semaines le font craindre. Et encore hier, avec le drone américain abattu par l’armée iranienne. Et le marché des capitaux d’exprimer sa vigilance, au travers d’une remontée des cours du pétrole et de l’apparition de tensions sur le prix de l’or (+4% en deux jours, il est vrai dans un contexte caractérisé aussi par la baisse des taux longs et par une faiblesse du dollar).

Faut-il alors redouter l’enclenchement d’un conflit ouvert ? Le retour sur l’histoire, en particulier celle de l’Europe des XVIIème et XVIIIème siècles, sans oublier celle du XXème siècle, le suggérerait. Mais la réalité actuelle incite à répondre par la négative[1]. Aujourd’hui, contrairement à hier, un certain nombre de garde-fous existent : un leadership américain, certes devenu relatif, encore en place, un corpus de règles qui corsette, au moins en partie, la décision politique, qu’elle soit domestique ou internationale, et le poids de l’approche économique dans les relations entre pays.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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