Et si Bernanke avait tout prévu sauf… la fin ?

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Par Alexandre Hezez Modifié le 11 décembre 2013 à 20h06

Jusqu’au milieu de l’année 2013, la méthode Bernanke était très transparente : tout mettre en place pour relancer la vélocité de la monnaie et éviter que le risque de déflation ne se propage à l’ensemble de l’économie en utilisant des outils de politique monétaire qu’il avait déjà définie en 2002. Il avait donc tout prévu... Sauf peut-être la fin, ou du moins, comment arrêter la machine monétaire !

Si nous revenons un instant sur le début de la crise financière en août 2007, on voit que les besoins exceptionnels de liquidité ont entraîné une réaction sans précédent des banques centrales partout dans le monde, y compris de manière coordonnée. Pendant la première année de crise, la Fed a utilisé des outils traditionnels, mais la vigueur sans précédent de cette crise l’a ensuite amenée à utiliser des outils innovants tant par leur mécanisme que par leur ampleur.

Qui plus que Bernanke était à même de développer ces outils ? Lui, l’homme de l’art, l’économiste le plus publié au monde, le plus grand spécialiste de la déflation, s’est mis en action.

Les mesures exceptionnelles ont permis à l’économie de repartir et aux bourses américaines (qui, contrairement à celles d’Europe, sont normalement un bon reflet de la confiance du consommateur et de l’économie) de réatteindre des niveaux record. Tout se passe comme si le président de la Banque fédérale américaine avait réussi l’exploit de faire repartir la machine après une crise qui aurait dû ou pu être plus dure que celle des années trente.

Même si l'impact sur les investisseurs est considéré par certains psychologique, il est clair qu’il est aussi quantitatif. On ne peut nier qu’il explique la reprise et les récents records des indices boursiers américains. Les investisseurs sont tout simplement encouragés dans leur prise de risque par une Fed qui apparait comme l'ultime rempart à la crise. Au cours des dernières années, lorsqu’à trois reprises les marchés boursiers ont fortement baissé, la Fed a systématiquement lancé de nouvelles mesures de soutien.

Cependant, les récents chiffres de croissance de l’économie américaine et de l’emploi nous amènent de nouveau à nous poser des questions sur la pérennité de ce soutien. Les mesures non conventionnelles mises en place demeurent plus que jamais d’actualité, mais leur fin semble proche.

Le fameux concept de "tapering" dont tous les investisseurs parlent depuis le milieu de l'année 2013 est certes repoussé quelque peu, mais il ne faut pas oublier qu’il a remplacé le concept d’"exit strategie" déjà évoqué en février 2010 dans un discours du président de la banque centrale américaine intitulé "Federal Reserve's exit strategy / Before the Committee on Financial Services". Ben Bernanke assurait en conclusion : "However, we have been working to ensure that we have the tools to reverse, at the appropriate time, the currently very high degree of monetary stimulus. We have full confidence that, when the time comes, we will be ready to do so".

"Nous sommes pleinement confiants sur le fait que lorsque le temps sera venu, nous serons prêts".

Le concept, avec la mise en place à l’époque d’achats de 800 milliards de dettes américaine, effrayait déjà les marchés et la communauté internationale. Mais les malheurs de l'Europe et de la crise de la dette, et le risque de faillites bancaires à la chaîne ont finalement permis de repousser aux calendes grecques la fin de partie.

Depuis, la Fed n'a cessé d’ajouter du fuel au système sans jamais arbitrer un outil monétaire contre un autre : une annonce de la mise en place de taux de refinancement à zéro pour plusieurs années (août 2011), une opération twist qui arbitrait les dettes court terme détenues par la Fed par des dettes long terme (dernier trimestre 2011) et un dernier quantitative easing (QE3) qui permet depuis le mois de décembre 2012 d’acheter 85md par mois de titres d'État américain et de titres hypothécaires. Celui-ci n’ayant pas d’échéance datée explicitement.

Jusqu’au milieu de l’année 2013, la méthode Bernanke était très transparente : tout mettre en place pour relancer la vélocité de la monnaie et éviter que le risque de déflation ne se propage à l’ensemble de l’économie. N’oublions pas que Ben Bernanke s’est entre autres rendu célèbre par un discours (que je qualifierai de référence tant il est clairvoyant) de novembre 2002, intitulé "Deflation : make sure it doesn’t happen here", discours qui résume une grande partie de ses thèses en matière de politique monétaire et surtout présente les outils qu’il mettra en place quelques années plus tard. Il avait donc tout prévu...

Sauf peut-être la fin ou du moins comment arrêter la machine monétaire.

Dans le texte de référence ci-dessus, où il évoque les outils à développer de manière très précise, la dernière partie est révélatrice. La situation qu’il évoquait était à l’époque très improbable du fait "de la force de l’économie sous-jacente" aux États-Unis. Il restait donc dans la théorie fondamentale et académique. Il insistait aussi sur le fait que ces outils pouvaient soulever des problèmes pratiques de mise en œuvre et de calibrage de leurs effets économiques. Autant l’analyse des outils mis en place était fournie, autant la description des moyens pour retirer ces derniers était faible.

Il est donc assez clair que rien n’a été prévu pour cela, et que le risque de mal calibrer la fin est tout aussi important que l’était celui de calibrer les différentes actions. Cependant l’exercice apparait beaucoup plus compliqué, car il s’agit maintenant de prendre le parti que la crise est terminée (ce qui n'est pas sur du tout d'ailleur !).

Le cafouillage dans la communication actuelle des Fed montre à quel point le sujet est délicat et combien les avis divergent. Les dernières déclarations de Ben Bernanke du 27 novembre "Slower growth in productivity might have become the norm "montrent qu’il n’est pas pressé de commencer à inverser le processus ?) et que les effets durables de la crise sont bien présents. Il nous faut donc faire comme lui, et parier "sur le fait que lorsque le temps sera venu, ils seront prêts". Espérons-le !

Dans tous les cas de figure, la Fed devra prouver un jour ou l’autre qu’elle est en capacité d’inverser le processus. La prochaine présidente Janet Yellen aura certainement l’occasion de montrer sa détermination. Paradoxalement, c’est quand l’économie américaine accélérera et que les premières alertes sur l’inflation auront lieu qu’il lui faudra agir, quitte à provoquer un minicrack. Il en va de la crédibilité à long terme de la Fed, garante d’un marché financier sain et créateur de valeur pour les investisseurs.

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Alexandre Hezez est stratégiste chez Groupe Richelieu.

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