L’allaitement maternel peut sauver de très nombreuses vies

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Par Bruno Parmentier Modifié le 15 février 2016 à 6h43
Allaitement Maternel Sante Nourrisson Bebes
@shutter - © Economie Matin
823 000823 000 enfants pourraient être sauvés chaque année si l'allaitement maternel était la norme.

Une nouvelle étude internationale rassemblant des données de 164 pays confirme qu?une généralisation de l'allaitement maternel pourrait sauver chaque année la vie de 823 000 enfants ! Le journal Le Monde s'en fait l'écho. A titre de comparaison, c'est l'équivalent de la totalité des naissances en France dont on aurait pu éviter la mort, soit un bébé en moins toutes les 40 secondes.

Les chercheurs estiment ainsi que les bébés entièrement allaités au sein pendant 6 mois ont un taux de mortalité huit fois inférieur dans les pays pauvres. En particulier la tétée diminuerait de moitié les diarrhées et du tiers les infections respiratoires. Même dans les pays riches l'allaitement réduit de 36 % le risque de mort subite du nourrisson et de 58 % celui d?entérocolite nécrosante. Il diminue également les risques d'infection, d'asthme et de troubles du comportement, etc.

Mais la protection dure également toute la vie : les auteurs estiment « probable » que l'allaitement maternel diminue considérablement la fréquence de surpoids, d'obésité et même de diabète et de problèmes cardio-vasculaires, et en plus il développe davantage les capacités cognitives ! Les mères elles-mêmes en bénéficient également puisqu'il permettrait de surcroit de diminuer de 20 000 par an les décès dus au cancer du sein et significativement ceux dus au cancer de l'ovaire, plus les risques d'ostéoporose. Rappelons par ailleurs que, contrairement à une idée reçue, il ne fait pas « tomber » les seins ! En contrepartie, évidemment, il faut éviter le tabac et l'alcool pendant toute la durée de l?allaitement, et faire attention à sa prise de médicaments.

Tout cela a un fort coût économique dans toutes les sociétés. D'après les estimations des auteurs, les Etats-Unis pourraient économiser 2,4 milliards de dollars annuels de frais de santé, du fait de la réduction des maladies infantiles, en portant à 90 % le taux d'allaitement maternel à six mois.

Alors, pourquoi allaite-t-on aussi peu dans nos pays, comme on voit sur cette carte de la fréquence de l?allaitement à 12 mois ? Il indique qu'en France on se situe autour de 5 %, très en deçà de l'Allemagne et de l'Espagne (23 %), des Etats-Unis (27 %), de la Norvège (35 %) ou du Japon (60 %).

C'est d?abord une affaire sociale et politique, en particulier en relation directe avec la durée du congé maternité. En Europe, rares sont les entreprises où les mères peuvent aller travailler avec leur enfant nourri au sein, d'autant qu'allaiter en public est devenu compliqué dans nos sociétés. En Suède, 80 % des femmes allaitent après quatre mois, car le congé maternité dure six mois après l?accouchement. Ce chiffre n?est que de 25 % en France, où le congé maternité s'arrête au bout de six semaines.

D'après l'enquête Epifane la durée réelle moyenne de l'allaitement exclusif est en France à peine de trois semaines et demie (la moitié des 74 % d'enfants nourris au sein à la naissance le sont encore à cet âge). Pour l?allaitement mixte (complété avec du lait maternisé) la durée moyenne ne dure que quinze semaines.

Un choix culturel avant tout

La préférence pour le sein par rapport au biberon reste très liée au milieu socio-culturel. En effet l'allaitement a longtemps été mal vu en France, car il était perçu comme avilissant du point de vue du droit des femmes, mais ces représentations sont en train de changer. Aujourd'hui, il retrouve progressivement sa place chez les trentenaires fortement diplômées, car il redevient en phase avec leurs idéaux, leurs réflexions personnelles, leur rapport au travail, au couple, et se marie bien avec la vague écolo, bobo, anticrise... ces mères bénéficient également d'une plus grande facilité d'organisation domestique, et elles ont choisi la maternité plus librement. Alors que chez certaines femmes jeunes et peu instruites, allaiter, c'est aller encore à l'encontre des habitudes de leur famille ou de leur milieu et rajouter de nouvelles contraintes à une vie déjà compliquée ; les mères de moins de 30 ans, vivant seules ou en couple sans être mariées, ainsi que celles ayant un niveau d'études intermédiaires (CAP/BEP, lycée) allaitent moins longtemps. Souvent en raison d'une mauvaise image de leur corps : les mères en surpoids allaitent en moyenne deux semaines de moins que les autres et celles qui sont obèses, quatre semaines de moins. Or si l'obésité est une maladie des riches des pays pauvres, elle touche surtout les pauvres dans les pays riches. De même, lorsque les pères n'assistent pas à l'accouchement, leurs femmes allaitent moins que les autres !

Notons qu'en revanche les immigrées respectent encore leur tradition : 89 % des africaines et 79 % des maghrébines installées en France allaitent ; mais très peu d?asiatiques, encore un effet du rapport culturel au corps. On voit bien que toute notre nourriture, et donc notre santé, sont largement conditionnées par notre milieu social dès le premier jour de notre vie !

Avec de forts enjeux économiques

Ne négligeons pas le rôle des lobbies dans cette affaire, alors que le marché des substituts de lait maternel représentait 45 milliards de dollars en 2014, et, selon certaines sources, pourrait dépasser les 70 milliards en 2019 ! On observe une politique commerciale très agressive dans de nombreux pays émergents... Rappelons que dès les années 1970, la firme Nestlé avait lancé d'intenses campagnes publicitaires (sur le mode « éducatif ») dans les pays en développement en faveur de l?alimentation infantile au biberon, soit disant plus moderne et occidental, afin d'élargir ses marchés de lait en poudre maternisé. Loin d'améliorer la nutrition infantile comme elle le proclamait, elle l'a fortement dégradée. Car, vu le prix des boites de lait, les mères pauvres ne mettaient qu'une demi-dose dans leurs biberons, avant souvent de les remplir avec de l'eau contaminée, la seule disponible, et de visser dessus une tétine non stérilisée. Objectivement Nestlé a fortement contribué à augmenter la mortalité infantile en Afrique... ceci a même conduit l'Organisation mondiale de la santé à éditer un « code international de bonne conduite pour la commercialisation des substituts du lait maternel »?

Sans négliger les scandales plus récents, comme celui des biberons stérilisés dans les maternités avec un gaz toxique, l'oxyde d'éthylène, ou ceux contenant des phtalates ou du bisphénol A. Ou encore celui du lait maternisé chinois dopé à la mélanine pour le faire apparaître plus riche en protéines, qui a « officiellement », fait 290 000 bébés victimes, dont 51 900 ont dû être hospitalisés ; une cause directe de deux récents investissements chinois dans des tours de séchage de lait en Bretagne et en Normandie, la France étant jugée par les consommateurs chinois plus honnête...

On est vraiment là dans une question citoyenne et démocratique de balance entre l'intérêt général et la somme des intérêts particuliers. Une bonne nouvelle néanmoins : quand on a arrêté d'allaiter, on peut maintenant reprendre ! Depuis le début des années 2000, les techniques de « renutrition » se sont considérablement affinées, permettant de sauver la vie d'enfants que l'on aurait considérés auparavant comme définitivement condamnés. On sait dorénavant restimuler l'allaitement maternel. Pour cela, on doit d'abord apprendre à la mère les gestes facilitant une bonne prise de sein par l'enfant. Ensuite, si nécessaire, on met en oeuvre des techniques de supplémentation par succion, en rajoutant une sonde très fine sur le mamelon permettant à l'enfant d'absorber à la fois le peu de lait que possède la mère et un complément thérapeutique. Cette succion régulière du sein va stimuler la sécrétion de la prolactine (hormone de production du lait) et en général la mère, à qui on fournit en même temps un supplément nutritionnel, arrive en une douzaine de jours à produire de nouveau assez de lait pour son enfant. Finalement dans ces situations extrêmes, au lieu d'hospitaliser les enfants dénutris pour leur sauver la vie, on obtient le même résultat à moindre coût en fournissant éducation et compléments alimentaires à la mère. Désormais des organisations comme Action contre la faim pratiquent cela couramment.

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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