L'inflexion du discours de la BCE, l'engagement d'un maintien de sa politique monétaire accommodante, ne doit pas cacher la réalité du dégonflement de son bilan.
La Banque Centrale Européenne emboite le pas de la Réserve Fédérale, lui empruntant des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves, et il ne faut que s'en féliciter. Elle est ainsi en passe de surmonter le handicap que constitue l'existence d'un unique objectif officiel (l'inflation) face à une FED qui en poursuit pour sa part plusieurs (inflation, mais aussi croissance et emploi). Elle a ainsi osé début juillet et pour la première fois, prendre des engagements sur l'orientation de sa politique monétaire pour les mois à venir, une démarche dite de « forward guidance » susceptible d'offrir une bien meilleure visibilité aux marchés.
« Le Conseil des gouverneurs s'attend à ce que les taux de la BCE restent à leur niveau actuel ou plus bas pendant une période de temps prolongée »
C'est ce qu'a assuré Mario Draghi, le président de la BCE. L'institution s'engage ainsi à mettre en œuvre aussi longtemps que nécessaire les décisions annoncées, confirmant l'élargissement progressif de sa mission au soutien à la croissance, mais sans le reconnaître explicitement. Car pour Mario Draghi si l'inflation est un fléau, la déflation, annonciateur d'une déprime économique, l'est sans doute tout autant. Pourtant la lutte contre l'inflation reste malheureusement l'objectif officiel unique de la Banque centrale, aussi cette inflexion dans le discours est sans nul doute à mettre d'abord au crédit de son président. Il a en effet su faire preuve d'une grande pédagogie vis-à-vis de l'Allemagne, plutôt que de passer en force, car la Buba, encore hantée par le spectre de l'hyper inflation a nécessairement dû donner son assentiment.
Ceci dit, la comparaison entre la situation de la BCE et celle de la FED a ses limites. Il y a fort à parier que l'institution européenne en restera au stade du verbe et qu'elle laissera son bilan se dégonfler au cours des prochains mois, quand celui de son homologue américaine continuera à progresser. Outre-Atlantique, la perspective à court terme reste celle d'un simple ralentissement du QE3 : les rachats de titres vont se poursuivre, à un rythme certes moins élevé, et ils seront conservés jusqu'à échéance et compte tenu de leurs maturités élevés (10 à 30 ans), l'heure du repli de son bilan ne devrait pas arriver avant bien longtemps. Une stratégie qui restera à l'avenir un fort soutien des marchés et qui continuera donc à guider les choix des investisseurs. À l'inverse, le bilan de la BCE va diminuer dès cette année. L'annonce de rachats de titres souverains ne s'est pour le moment pas traduite en acte, et dans le même temps les banques remboursent les prêts à long terme qui leur avaient été octroyés (les LTRO), provoquant mécaniquement un irrésistible recul de son bilan.
Et ce mouvement initié par les établissements bancaires du Vieux continent n'est pas bon signe. Il est à l'image de leur peu d'empressement à prêter aux acteurs économiques et aux PME en particulier. C'est ainsi que les prêts aux sociétés non financières ont encore reculé dans l'ensemble de la zone euro. Car du fait de la lenteur de la mise en place de l'Union bancaire, le lien entre États et banques locales est toujours aussi forts, aussi elles éprouvent dans plusieurs pays beaucoup de difficultés à se refinancer. Mais surtout, le nettoyage des bilans bancaires n'a été que très partiellement réalisé. Or il est désormais admis que c'est tout simplement un prérequis pour une reprise de leur activité de prêts.
La BCE désespère donc de voir la courroie de transmission de sa politique monétaire fonctionner à nouveau
Les entreprises des pays périphériques de la zone euro ne peuvent se financer, ni sur les marchés ni auprès de leurs banques, à des taux aussi favorables que leurs homologues allemandes ou françaises, voire pour beaucoup d'entre elles se voient fermer l'accès au crédit. En réponse à ces difficultés, la Banque centrale tente bien de donner un nouveau souffle au marché de la titrisation, persuadée qu'il peut être un bon vecteur de relance du crédit. Elle vient ainsi d'annoncer mi-juillet un nouvel assouplissement des règles d'éligibilité des titres que les banques sont susceptibles de lui apporter en collatéral.
Mais surtout elle observe quasiment impuissante la fragmentation de la zone euro, qui affiche presque autant de taux que de pays membres, malgré une politique monétaire unique. Le taux souverain à 10 ans français s'affiche ainsi à 2,57%, contre 1.96% pour le 10 ans allemand, mais à l'inverse 4,52% pour le 10 ans italien, 4,54% pour le 10 ans espagnol, voire 7,05% pour le 10 ans portugais et même 10,65% pour le grec. En conséquence, les pays périphériques pliant sous le poids d'un endettement toujours plus élevé et toujours plus coûteux font l'objet d'annonces, sans doute intempestives, de possibles défauts.
S'il faut se garder de mettre de l'huile sur le feu, il n'en demeure pas moins qu'un bon fonctionnement des courroies de transmission de la politique monétaire suppose notamment de nouveaux achats massifs de papiers souverains et plus d'incitations à prêter aux entreprises. La BCE est attendue aussi avec impatience sur ces deux terrains.