Les milieux économiques se sont longtemps inscrits dans un consensus favorable à la politique monétaire dite accommodante de la BCE.
Elle a positionné ses taux directeurs à 0%, elle a prêté généreusement aux banques lors des opérations nommées LTRO (opérations de refinancement à long terme), et poursuit aujourd’hui ses opérations massives de rachats d’actifs ayant pour objectifs de relancer les économies de la zone euro et de contrarier les poussées déflationnistes. Or, il se trouve qu’aujourd’hui le consensus commence à se fissurer, et certains économistes prennent conscience qu’une telle politique menée trop longtemps peut avoir de graves conséquences sur le long terme.
Ces politiques accommodantes engendrent de nombreux effets pervers, du fait que les réglages sur les taux directeurs sont non pertinents et que la création monétaire sans rapport avec les fondamentaux économiques n’a jamais rien résolu, mais plutôt aggrave les situations en créant (ou accentuant) des déséquilibres et des instabilités. Si créer de la monnaie permettait de résoudre les crises, d’enrichir les peuples, donc de sortir de la pauvreté les pays les plus démunis, de générer de la croissance, de maîtriser l’inflation, de se désendetter, (le miracle monétaire !) pourquoi les pays pauvres n’ont-ils pas appliqués ou n’appliquent-ils pas de telles recettes miraculeuses? Sans rentrer dans le détail des mécanismes monétaires, il faut juste avoir à l’idée que la création excessive de monnaie dévalue notre argent par rapport aux autres devises, tout en provoquant un risque inflationniste qui fait que vos billets de demain vaudront moins chers que ceux que vous détenez aujourd’hui (autrement dit, baisse de pouvoir d’achat). J’avais déjà expliqué dans un article qu’une monnaie forte avait beaucoup d’avantages, dont la supériorité ne fait aucun doute face aux inconvénients (Voir article BCE; Le quantitative Easing pour les nuls)
Mr Draghi a évoqué l’idée de renforcer le QE (Quantitative Easing).en le poursuivant au-delà de septembre 2016 ou en intensifiant ses rachats mensuels Mais s’il le juge efficace après seulement quelques mois de mise en œuvre (peut-il dire le contraire ?), on pourrait lui répondre qu’un raisonnement global et sur le long terme en jugera peut-être autrement. Une politique s’évalue sur la durée, donc en économie sur plusieurs années, et non pas sur quelques mois (le QE a commencé en mars 2015). Rien ne prouve qu’il y ait là un principe de causalité entre la politique menée et la reprise du crédit ; peut-être y a-t-il juste une simple corrélation de faits. Et c’est là que l’erreur de jugement peut s’avérer gravissime, car si la décision de poursuivre les rachats d’actifs découle d’une analyse erronée de la causalité (toujours linéaire dans les grilles d’interprétation classique), alors le remède peut devenir pire que le mal.
L’économie complexe limite la pertinence des méthodes d’analyse causale. C’est bien là les inquiétudes que je formule, car la complexification récente de nos économies fait naître de nouveaux paradigmes, de nouveaux modèles de vision du monde, de nouveaux comportements économiques qu’on n’avait pas l’habitude d’observer. Les théories classiques, néoclassiques, keynésiennes, néo ceci, post cela, dont les auteurs n’ont jamais eu connaissance de la théorie de l’information, de la théorie des systèmes, de la cybernétique, et de l’analyse systémique qui en découlera (théories du milieu du 20ème, siècle), ne peuvent plus faire référence, servir de « vérité économique », être à la source d’idéologies figées.
La BCE est devenue dogmatique, s’arc-boutant sur des positions inflexibles, des certitudes, alors que ces politiques non conventionnelles n’ont jamais été entièrement expérimentées, éprouvées, et donc évaluées en intégrant les effets de long terme. On peut noter que les Etats-Unis, spécialiste en politique accommodante, ont créé dans les années 2000, les gigantesques bulles financières, immobilières, et de crédits, à l’origine de la crise de 2007/2008. Donc jusqu’à preuve du contraire, les effets de ces politiques seraient plutôt dévastateurs que réparateurs. Certes, ils affichent une croissance de plus de 2% en moyenne depuis 2010, mais il s’agit d’une croissance en trompe l’œil, profitant à une minorité d’individus. Il faut noter que le taux de participation à l’emploi (rapport entre le nombre de personnes dans l’emploi et le nombre de personnes en mesure d’y être) ne cesse de baisser, alors que le taux chômage officiel diminue ; cherchez l’erreur !
Les banques centrales appliquent toutes la même politique, sous des formes différenciées, mais allant vers des assouplissements toujours plus marqués (FED, BCE, Banque du Japon, …). Alors me direz-vous, il est impossible que toute le monde se trompe ! Eh bien, si, c’est possible, car quand la FED est dans l’erreur, par effet d’entraînement, nous tombons dans la même erreur, par choix ou par nécessité (alignement des taux par exemple) mais en différé. La BCE a attendu plusieurs années après le premier QE américain, avant de se lancer. Cette situation nous met en opposition de phase par rapport aux Etats-Unis. La FED s’apprête à remonter les taux alors que la BCE les maintiendra à 0 pour longtemps encore. La FED a abandonné son QE3, alors que la BCE compte accentuer le sien. Allez comprendre ! Bon ce ne serait pas si grave, si les pièges qui se referment sur eux (donc sur nous) n’étaient pas le révélateur de l’incapacité des banques centrales à résoudre les crises (d’ailleurs quel devrait être leur poids dans la résolution?) ; sachant que parfois, ce sont elles qui en sont à l’origine. En fait, elles essaient de résoudre une crise en plantant les graines qui engendrent la nouvelle, plus grave encore.
Les krachs provoquent les crises, et on résout les crises en provoquant les krachs, un éternel recommencement, guidé par des politiques de régulation inappropriées, créant les chocs, les impulsions qui vont contrarier le comportement normal des systèmes économiques. Dans les systèmes complexes, les impulsions trop fortes sont souvent néfastes à la régulation. Par exemple, quand vous mangez trop de sucre, vous créez une hypoglycémie réactionnelle, qui appelle à nouveau à absorber du sucre ; le facteur en entrée du système (la cause) provoque en sortie un effet qui en bouclant sur le facteur initial, amplifie le phénomène jusqu’à ce que d’autres facteurs viennent au secours du système dérivant. Les politiques monétaires accommodantes portent en elles les ingrédients qui initient des boucles de rétroaction du même genre.
Les banques centrales empruntent-elles une mauvaise route, s’enlisent-elles dans leurs erreurs originelles, aveuglées par des positions dogmatiques comme la fameuse relance par le crédit, la création monétaire, le gonflement des actifs (les effets de richesse), tout un modèle dit « keynésien », plus que jamais déployé en temps de crise, même s’il ne s’agit pas précisément d’un interventionnisme d’Etat, mais d’un interventionnisme supra-étatique.
La politique monétaire peut donc s’avérer contre-productive, suggérant qu’il est peut-être temps de procéder au retrait progressif des liquidités trop abondantes, créatrices de distorsions, et le relèvement des taux, en vue de casser les cercles vicieux. Mais la BCE n’est pas prête à inverser sa politique. Elle compte intensifier ses opérations de rachats d’actifs, considérant que des effets positifs sont déjà observables. On sait qu’on va dans le mur, alors autant y aller encore plus vite !