Obama a t-il truqué les chiffres du chômage pour gagner les élections ?

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Par Captain Economics Modifié le 7 octobre 2012 à 11h56

Très bonne nouvelle pour Barack Obama, à un mois tout pile des élections présidentielles du 6 novembre 2012 ! Hier, le taux de chômage américain est enfin repassé sous la barre symbolique des 8%, en retombant à son plus bas niveau depuis 2009, à savoir 7,8%. "Comme de par hasard, le chômage diminue juste avant les élections... Hmmm !". Comme vous vous en doutez, il n'en fallait pas plus pour déchaîner la critique de la part des républicains et des conservateurs américains. Par exemple, la présentatrice Laura Ingraham a déclaré hier "les chiffres sont carrément de la propagande pro-Obama". Même combat pour l'ancien patron de General Electrics, qui a tweeté hier "Incroyables chiffres de l'emploi... Ces types de Chicago ne reculent devant rien... Incapables de débattre, alors ils changent les chiffres...".

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En France, Olivier Delamarche, gérant de Platinum Gestion et intervenant régulier sur BFM TV, parle déjà depuis quelques mois des chiffres "pourris" du chômage US, en expliquant dans de nombreuses interventions pourquoi les chiffres officiels du "Bureau of Labor Statistics" (BLS) ne reflètent pas du tout la réalité du marché américain. Dans une émission du 11 septembre sur BFM, Mister Delamarche déclarait alors "Les chiffres du chômage sont pourris. Le taux de chômage n'a absolument pas baissé. Il a baissé facialement parce que Monsieur Obama en a besoin. Donc je vous annonce le prochain chiffre: 7,9%. Il sera en dessous de 8. Mais il a quand même fait disparaître par miracle 580.000 américains entre le mois de juillet et le mois d'août".

Belle prévision en tout cas, au regard du chiffre de 7,8% annoncé hier par le BLS (voir vidéo à partir de la deuxième minute). Mais alors, les chiffres sont-ils réellement truqués ?

Pour commencer, intéressons nous aux statistiques officielles américaines (source officielle: BLS). Comme on peut le voir sur le graphique suivant, et après l'explosion du chômage entre début 2008 et début 2010 (le taux de chômage ayant quasiment doublé, passant de 5% à 9,7%), le taux de chômage aux USA diminue lentement mais sûrement depuis deux ans.

Taux de chômage entre 1990 et 2012 aux USA (source BLS)

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Mais le taux de chômage, c'est quoi exactement ? Cette question parait toute bête, et pourtant la réponse n'est pas si évidente. Dans un article paru il y a quelques mois intitulé "Dis papa, c'est quoi un chômeur? Et comment est calculé le taux de chômage?", le Captain' concluait de manière ironique en expliquant que la meilleure façon de faire baisser le taux de chômage était en fait de changer la méthodologie de comptabilisation du nombre de chômeurs et de décourager les chômeurs pour qu'ils deviennent "inactifs". En effet, le taux de chômage n'est pas défini comme le ratio "population sans emploi divisé par population totale", mais bien comme le ratio "nombre de chômeurs divisé par population active". Lorsqu'un chômeur (qui est défini comme une personne sans emploi, recherchant activement un travail et disponible pour travailler) abandonne ses recherches et ne se présente plus à l'équivalent du Pôle Emploi local, il passe alors de la catégorie "chômeur" à la catégorie "inactif"... Et hop, le taux de chômage diminue par magie ! Ce n'est cependant pas pour cela que votre pays se porte mieux, loin de là...


Regardons donc plus en détail l'évolution de ces trois catégories aux USA, (1) les actifs ayant un emploi, (2) les chômeurs et (3) les inactifs. Le Captain' est donc aller fouiller sur le site du Bureau of Labor Statistics, à la recherche de stats détaillées pour essayer de voir si le chômage diminue via une baisse du nombre de chômeurs compensée par une hausse du nombre d'inactifs, ou bien s'il y a une réelle reprise aux USA.

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Comment lire le tableau ci-dessus ? En septembre 2012, la population agée de plus de 15 ans aux USA est de 243,772 millions d'habitants. La population active représente 155,063 millions de personnes, dont 12,088 millions de chômeurs. Le taux de chômage est donc bien de 7,8% ; chiffre qui correspond au nombre de chômeur divisé par la population active (= actifs ayant un emploi + chômeurs). Si une personne ne fait pas partie de la population active, elle est donc par définition inactive (population totale - population active = population inactive). Aux USA, il y a donc en septembre 2012 environ 88,72 millions d'inactifs (retraités, étudiants... et personnes sans emploi ayant été découragés et ne recherchant plus activement un emploi).

Et c'est sur la comptabilisation des inactifs qu'Olivier Delamarche base une partie de son argumentation pour expliquer que le taux de chômage "officiel" est pourri et loin de la réalité. En effet, pour prendre un exemple simple, supposons un pays avec 100 habitants. Dans ce pays, à une date donnée, 60 personnes ont un emploi (=actifs ayant un emploi); 10 personnes sont au chômage et 30 personnes sont inactives. Le taux de chômage est alors de 14,28% (10 / 70). Le mois suivant, et suite à une période de crise prolongée ou bien un durcissement des conditions d'attribution du statut de chômeur dans un pays (davantage de contraintes administratives par exemple), certains chômeurs arrêtent de chercher un emploi et d'autres ne sont plus considérés officiellement comme chômeur, et passent donc dans la catégorie des inactifs. La répartition de la population est la suivante: 58 actifs ayant un emploi, 6 chômeurs et 36 personnes inactives. Le taux de chômage est alors de 9,37% (6 / 64) ! Et pourtant, la situation ne s'est absolument pas améliorée dans le pays, au contraire.

Lors de l'émission du 11 septembre avec Olivier Delamarche, ce dernier annonçait que "580.000 américains avaient disparu par miracle entre juillet et août 2012". Mais d'où sort ce chiffre? Si l'on regarde donc entre juillet et août 2012, le chômage a diminué de 0,2 point (passant de 8,3% à 8,1%). Mais cette baisse du taux de chômage est expliquée principalement via la forte hausse du nombre d'inactifs, dont une partie pourrait être d'ex-chômeurs ayant arrêter de chercher un job par découragement. Le nombre d'inactifs est en effet passé de 88,34 millions en juillet à 88,921 millions en août, soit une hausse de ... 581.000 personnes ; les fameux 580.000 disparus de la population active dont parle Olivier Delamarche.

La baisse du chômage entre juillet et août ne reflète donc pas une amélioration significative de la situation de l'emploi aux US, comme on peut le confirmer en voyant que le nombre d'actifs avec un emploi a diminué de près de 360.000 sur cette période ! Je rejoins donc l'analyse de Mister Delamarche en ce qui concerne la baisse du chômage du mois d'août, sans allez jusqu'à affirmer que les chiffres sont "pourris", mais en me contentant de dire que la baisse officielle ne représente pas une amélioration réelle de la situation américaine, aux vues de la décomposition pop active / chômeurs / inactifs. Une conclusion digne d'un suisse je vous l'accorde, mais le problème est ultra-complexe et il peut exister des centaines d'autres raisons à la baisse officielle du taux de chômage (démographie, réglementation, "lag" ...).

Mais qu'en est-il du chiffre qui vient d'être publié hier ? Et bien là la situation est différente ! Car si l'on compare la situation entre août et septembre (variables ajustées des variations saisonnières), alors on voit une baisse significative du nombre de chômeurs ET du nombre d'inactifs, avec donc une forte hausse du taux d'emploi de 58,3% à 58,7% (actifs ayant un emploi divisé par population totale). Le scénario "les chiffres sont pourris car les chômeurs deviennent inactifs" n'est donc pas valable pour expliquer la forte baisse du taux de chômage en septembre. J'attends donc avec impatience la prochaine émission, pour voir comment le gérant de Platinium Gestion justifiera cette baisse du chômage US.

Attention: toutes ces analyses, celles du Captain' comme celles d'Olivier Delamarche, sont tout de même assez partielles. Il est impossible de conclure avec certitude que la baisse du chômage est le signe que l'économie américaine va réellement mieux (bien que les bourses mondiales aient été ravis de la nouvelle vendredi). Comme d'ailleurs il serait trop simple de conclure que tout va mal et qu'une nouvelle crise arrive si le chiffre du chômage avait augmenté en septembre.

Si l'on regarde par exemple l'une des raisons de la hausse du nombre d'actifs ayant un emploi entre août et septembre, on peut s'apercevoir, en regardant la décomposition par type de travailleurs sur le site du BLS (source ici), que le nombre de personnes travaillant à temps partiel, non pas par choix mais à cause de la conjoncture économique, est passé de 8,031 millions en août à 8,613 millions en septembre, soit une hausse de près de 600.00 personnes ! Donc environ 80% de la hausse du nombre d'actifs ayant un emploi peut-être expliquée par la hausse du nombre de travailleurs "à temps partiel non-désiré". De plus, si l'on s'intéresse au nombre de créations mensuelles nettes d'emploi, on remarque un léger ralentissement avec une création nette de 114.000 postes en septembre ; la baisse du taux de chômage étant due en partie à une révision à la hausse du nombre de création de postes d'août (+142.000).

Créations nettes d'emploi aux USA (source BLS)

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Conclusion: Il existe une autre hypothèse pour expliquer la baisse du chômage en septembre: celle que les chiffres soient purement et simplement truqués. Personellement, et alors que je peux avoir certains doutes sur une possible "manipulation légale" du taux de chômage (en jouant justement sur la définition de chômeur / inactif), je ne crois pas qu'une personne au Bureau of Labor Statistics se soit dit "tiens, je vais faire disparaître 250.000 chômeurs dans mon tableur Excel ce mois-ci". Amis de la théorie du complot et autres conspirationnistes, je vous laisse débattre de cela entre vous.

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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