Le rôle des banques dans l’Union est un sujet mal documenté, relativement tabou (et dont le secret est cultivé par les principaux bénéficiaires), mais qui se situe probablement au centre du vacillement communautaire auquel nous assistons. Il est en effet de plus en plus évident que les seules politiques européennes qui soient en état de marche aujourd’hui profitent à l’industrie bancaire. Il est même possible d’affirmer que les intérêts de l’industrie bancaire structurent la stratégie de l’Union aujourd’hui, en conflit direct avec les aspirations des peuples. Une fois de plus, l’éternel aveuglement des financiers pourrait nous mettre au bord du chaos.
Les banques sans contrôle démocratique
Pour bien comprendre comment l’industrie bancaire a pris le contrôle des opérations, il faut se souvenir du mandat dont la Banque Centrale Européenne est titulaire. Par les traités, elle est indépendante (c’est-à-dire placée hors de tout contrôle démocratique) et n’obéit qu’à un seul objectif: maintenir l’inflation autour de 2%. A la différence de la Réserve Fédérale américaine, elle ne doit pas équilibrer cet objectif monétaire par un objectif social de plein emploi.
Faut-il rappeler que même un Jean-Luc Mélenchon se félicitait à l’époque des « bases solides » du traité de Maastricht?
Les cadeaux de la BCE aux banques
Ce petit rappel étant fait, faut-il ici redire toutes les petites attentions touchantes dont les banques bénéficient de la part de la BCE? La liste serait longue et pourrait paraître inspirée par un gauchisme primaire. Alors je me contenterai simplement de reprendre un excellent article rédigé sur son blog par Georges Ugeux, un universitaire belge qui a fait carrière dans la banque en Europe et aux Etats-Unis.
Constatant les échecs successifs de Mario Draghi dans la relance de l’inflation, et notamment la politique de taux bas, il écrit:
The beneficiaries are primarily the governments, who borrow at interest rates that do not cover the risk, and the banks who do not reduce their lending rates, but enjoy cheaper funding.
(Les bénéficiaires <de cette politique> sont au premier chef les gouvernements, qui empruntent à des taux d’intérêt qui ne couvrent pas le risque, et les banques qui ne réduisent pas leurs taux de crédit, mais se réjouissent de cet argent pas cher).
De là à penser que la BCE mène une politique destinée à renflouer les banques avec la garantie discrète des Etats, il n’y a qu’un pas.
Les banques font du gras grâce à la BCE
Dans la pratique, la politique dite de LTRO, menée par la BCE en même temps que son assouplissement monétaire, consiste bien à apporter de l’argent pas cher aux banques, en pariant sur le fait que les banques les mettront à disposition des entreprises à faible prix. Officiellement, cette politique vise donc à favoriser l’endettement et l’investissement par l’intermédiaire des banques.
L’expérience montre que cette politique permet surtout aux banques de faire du gras en recevant de l’argent pas cher et en le distribuant aux acteurs qui en ont besoin à un prix qui permet de confortables marges.
Un rapport publié par la BCE l’a d’ailleurs récemment montré: les banques financent de moins en moins l’investissement privé, et c’est le shadow banking (l’une des causes de la crise de 2008) qui prend le relais.
Le « shadow banking », qui recouvre les activités de financement d’acteurs non bancaires comme les fonds monétaires et les fonds d’investissement notamment, détenait 23.000 milliards d’euros d’actifs financiers de la zone euro à la fin de l’année dernière, soit 38% du total. Cette proportion était de 33% en 2009.
La part des établissements de crédit est passée de 55% à 48% sur la même période.
Cette conclusion devrait conduire la BCE à couper les vivres aux banques, c’est pourtant l’inverse qui se produit.
La BCE trop proche des banques?
Cette relation privilégiée de la BCE avec les grandes banques européennes se traduit par des pratiques qui paraissent de plus en plus douteuses. Le Financial Times a par exemple révélé cette semaine que le directoire de la BCE rencontrait les dirigeants des grandes banques européennes avant chaque conseil de politique monétaire. Dans un système transparent, c’est-à-dire qui n’a rien à cacher, cette information aurait percé depuis longtemps. Elle aurait donné lieu à critique puisque, aux Etats-Unis par exemple, cette pratique est interdite.
Du coup, faut-il en déduire que cette réunion est l’occasion pour les banquiers de faire passer les bons messages, et pour la banque centrale d’informer en priorité les banques du continent?
La Commission aussi aime les banques
Autre institution communautaire, la Commission européenne n’est pas en reste. Il est par exemple particulièrement divertissant de voir que Jean-Claude Juncker, président de la Commission, doit aujourd’hui prendre des mesures contre les paradis fiscaux en Europe, qui permettent aux banques de recevoir des dépôts colossaux à l’abri de l’impôt. Le principal de ces paradis en Europe est le Luxembourg, dont il fut Premier Ministre pendant de nombreuses années.
En tant que Premier Ministre du Luxembourg, Juncker a bloqué pendant des années toute lutte efficace contre ces paradis. Il est évidemment au centre des « tax rulings » qui ont permis aux banques de s’enrichir en toute discrétion.
La Commission protège les banques en Grèce
On notera au passage que la Commission Européenne privilégie une formule favorable aux banques européennes dans le renflouement des banques grecques. Dans la pratique, ce que la Commission veut imposer à la Grèce n’est autre qu’une prise de contrôle des banques grecques en cas de faillite de celles-ci. La recapitalisation des banques grecques, qui coûtera 15 milliards aux contribuables grecs, se fera dans des conditions qui permettront aux créanciers d’européaniser le financement de l’écnomie grecque en cas d’insubordination ou d’incartade du gouvernement grec.
Bien joué!
L’Union bancaire, projet ultime
Rappelons enfin que l’Union bancaire, c’est-à-dire la disparition des assujettissements nationaux pour les banques en Europe constitue l’épine dorsale du projet de Juncker pour l’Europe. Ce projet s’accompagnera d’une préparation des budgets nationaux au niveau communautaire. Les débats budgétaires nationaux, fondement de nos démocraties libérales, seront donc rendus inutiles.
Les banques tiennent-elles les gouvernements par la dette?
Pour comprendre ce grand mécanisme politique qui prospère à l’abri des regards, il faut évidemment remettre au coeur des lectures la question de la dette. C’est par le financement bancaire des politiques publiques, par l’intermédiation des banques dans l’accès des gouvernements à l’argent des citoyens, que passe la subordination des Etats-nations à la finance européenne.
Tant que nous n’aurons pas défini une stratégie durable de mise sous contrôle de nos finances publiques, nous resterons sous la tutelle des banques. Au risque de déstabiliser l’économie réelle qui n’y gagne rien.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog