La Banque Centrale du Japon (BoJ) vient de faire sensation en s'engageant, début novembre, dans une politique encore plus "généreuse" que ses consoeurs occidentales – Fed et BCE en tête.
Non seulement, en effet, la BoJ décide de porter l’enveloppe financière destinée aux achats de Bons du Trésor japonais à 910 milliards d’euros, mais encore elle lance un programme de prêts illimités aux banques du pays, au taux de 0,1 % et d’une durée de quatre ans, tout en poursuivant son précédent programme destiné au financement des secteurs considérés comme stratégiques (dont l’enveloppe était déjà de 55 milliards).
Par comparaison, la petite centaine de milliards prêtée par les banques européennes aux Etats fragiles de la zone euro à l'issue du LTRO (programme de prêts, d'un montant de mille milliards, à 1 % sur trois ans) accordé par le président de la BCE, Mario Draghi, en février dernier, fait donc pâle figure.
La BoJ a-t-elle raison de faire fonctionner la planche à billets à un tel régime ? La réponse ne saurait être simple. Certains, en effet, lui reprocheront une attitude irresponsable : la planche à billets n'est-elle pas ipso facto inflationniste ? Ceux-là ont doublement tort : d'abord, parce que la création monétaire n'est pas toujours et partout inflationniste. Elle ne l'est que lorsqu'elle ne correspond à aucun projet économique créateur de valeur.
Ensuite, parce que le Japon se trouve depuis vingt ans piégé dans une trappe déflationniste à la suite de l'éclatement d'une bulle hypothécaire et financière en bien des points semblable à la crise des subprimes. Dans un tel contexte, la baisse des prix actuellement obervée au Japon est une terrible nouvelle : elle signale que les milliards déjà engloutis par le gouvernement nippon pour tenter de relancer la machine n'ont servi à rien – y compris les récents plans de reconstruction postérieurs à Fukushima.
L'archipel continue de s'enfoncer dans la déflation : une croissance atone, des dettes privées et publiques qui explosent, un chômage en augmentation inexorable. La politique monétaire de Mario Draghi s'inspire de la même stratégie : inonder le secteur bancaire de liquidités, en échange de quoi les banques consentent à prêter ce qu'il faut aux Etats pour leur permettre de garder la tête de leurs finances publiques hors de l'eau. Certains espèrent ainsi que les banques pourront recouvrer leur santé (alors qu'elles ont fait naufrage en Islande et en Irlande, sont en déroute en Espagne et au Portugal, très fragilisées en Allemagne...) tandis que les Etats poursuivront des plans d'ajustement structurels confondus avec le prix à payer de leur survie financière.
Ce que trahit la récente décision de la BoJ, c'est que cette stratégie est probablement vouée à l'échec : parce que le Japon, comme l'Europe, est très dépendant se son approvisionement énergétique, il ne connaîtra plus de croissance digne de ce nom tant qu'il n'aura pas amorcé sa transition énergétique vers une économie post-carbone.
"Sauver les banques" ne permettra donc pas de faire revenir la "croissance" comme par magie ou à la faveur d'un renversement de cycle "naturel". Surtout si ce sauvetage s'accompagne de la destruction systématique des économies réelles. C'est en ce sens que la BoJ a tort : la planche à billets devrait être utilisée, en priorité, pour financer l'effort de transition écologique. Voilà un "plan" extraordinairement créateur de valeur et d'emplois non délocablisables, et qui va bien au-delà d'une simple relance keynésienne. Voilà l'immense projet de société dont l'Europe comme le Japon, en panne d'utopie, ont besoin.