Les banques créent-elles de la monnaie ex nihilo ?

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 16 septembre 2014 à 3h01

Même s'il ne fait pas la une des journaux, le débat sur le sujet fait rage entre créationnistes et négationnistes (1). Son enjeu est capital en termes de politique financière. Si les banques sont dotées d'un pouvoir extraordinaire de création monétaire ex nihilo et, en quelque sorte, volent leurs revenus, l'intervention de l'Etat pour canaliser ce haut débit et rétablir la justice s'impose. S'il n'en va pas ainsi, le crédit bancaire n'appelle pas nécessairement d'intervention publique palliative ou correctrice.

Gaël Giraud pose bien les termes du débat dans son ouvrage « Illusion financière » (2). Pour les premiers, au nombre desquels il se range, « les crédits font les dépôts » et créent donc artificiellement du revenu : il s'agit alors d'orienter au mieux cette création monétaire. Pour les seconds, « ce sont les dépôts qui font les crédits : autrement dit le travail d'une banque de crédit consisterait essentiellement à redistribuer de l'épargne déjà existante ». Aucune des deux thèses ne reflète adéquatement à notre sens la réalité de l'activité de crédit bancaire et ne suffit à rendre compte des « phénomènes », notamment les crises bancaires. Le décorticage d'une opération d'escompte, mère des opérations de crédit, permettra de le comprendre.

En fait, les banques créent bien de la monnaie, mais elles le font en contrepartie d'une créance, elle-même issue d'une création de richesse, et non pas ex nihilo. Voyons comment l'indiscutable création monétaire attachée au crédit bancaire prend sa source dans l'économie réelle et sa place dans l'économie de marché.

« Les crédits font bien les dépôts » en ce sens qu'une opération de crédit aboutit à créditer le compte du bénéficiaire du crédit d'une somme équivalente pour lui à un dépôt. En effet lorsqu'il « octroie » un crédit, le banquier inscrit à l'actif de son bilan une créance sur le débiteur à qui il vient « de prêter de l'argent » (3) pour acheter par exemple une voiture dans le cas d'un crédit à un particulier, une matière première ou un bien intermédiaire dans le cas d'un crédit à un industriel, une marchandise à revendre dans le cas d'un crédit à un commerçant. « L'argent prêté » est crédité le même jour par le banquier sur le compte de dépôt ou le compte courant de son client emprunteur et augmente ainsi le « passif » de son bilan. Actif et passif bancaires augmentent simultanément, d'un crédit à l'actif, de la monnaie correspondante au passif. A l'échéance convenue pour le remboursement, la créance bancaire diminue (le crédit s'amortit) par le « débit » du compte créditeur (i.e. par prélèvement de monnaie sur le compte de dépôt). La monnaie initialement et temporairement créée se résorbe (est détruite) au fur et à mesure des échéances de remboursement du crédit. Au passage, le banquier perçoit un « agio », c'est-à-dire un plus qui rémunère et justifie son intervention. Sauf accident, le crédit, simple avance sur ressource à un acteur économique en mal de moyens de paiement immédiat par un acteur qui lui peut en émettre, est « auto-liquidatif » (de lui-même et de la monnaie qui est son sous-produit fatal).

Mais la monnaie bancaire créée par le crédit ne vient pas de nulle part et de rien : elle a une contrepartie réelle. L'escompte d'une lettre de change, opération de crédit bancaire prototypale, le montre bien. Le crédit par escompte d'un effet de commerce n'est rien d'autre en pratique que l'achat au comptant par un banquier d'une créance commerciale à court terme d'échéance connue à l'avance en possession de l'un de ses clients. Il est donc bien l'échange de quelque-chose contre quelque chose, un échange de monnaie contre une créance moyennant, pour prix de ce service monétaire, une remise immédiate exigée par le banquier acheteur de la créance, appelée « escompte » qui matérialise sa rémunération dès le départ de l'opération de crédit. Le taux de cette remise immédiate en pourcentage est dénommé taux d'escompte (4). L'escompte présentait l'avantage de contourner sophistiquement l'interdiction du prêt à intérêt en des temps où les clercs se distinguaient - déjà ?- par une intelligence supérieure de la chose économique. Car qui exige un « escompte » ne perçoit pas d'« intérêt » !

En résumé, la création de monnaie issue du crédit bancaire n'a lieu qu'en contrepartie d'une créance née d'une création de richesse, c'est-à-dire de la vente d'un bien (ou service) à un acheteur qui « accepte » de payer le prix de la chose vendue à une échéance convenue, paiement qui soldera le crédit bancaire et mettra ainsi fin à la création monétaire temporaire. En saine économie, la monnaie de banque n'est créée que pour financer (terminer) un échange réel préalable. La monnaie créée par les banquiers n'est donc pas créée à partir de rien et l'intérêt perçu parles banquiers n'est pas un vol, mais la rémunération d'un véritable et précieux service de liquéfaction de créances à échoir rendu aux acteurs économiques en manque de liquidités. Ce qu'on appelle pompeusement création monétaire n'est au fond qu'un échange marchand de plus dans une économie de marché où règne le principe du donnant-donnant (do tu des) et où personne ne fait rien pour rien, rien contre rien.

Elle rend ainsi possible la multiplication des échanges réels et en ce sens là produit un effet bien réel et très positif dans une économie d'échange, dès lors qu'elle procède d'une création de richesse.

Il n'y a donc pas de problème économique parce que le crédit bancaire créerait de la monnaie ex nihilo, mais seulement lorsque le crédit bancaire peut créer de la monnaie ex nihilo. C'est même de là que viennent les crises bancaires. Mais comment cela se peut-il se faire ? Ceci est une autre histoire...

(1) Si l'on force le trait dans l'intérêt du débat.
(2) Editions de l'Atelier, 2013, chapitre 5 « La création monétaire ex nihilo ».
(3) En fait « de reconnaitre un droit de tirage » c'est-à-dire « un droit de bénéficier du crédit supérieur de la personne morale » qu'est le banquier » dont les dettes ont de fait ou légalement valeur de monnaie et pouvoir libératoire.
(4) Equivalent payè à l'avance de l'agio qui lui se paye à terme échu.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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