Les effets néfastes de la réforme (abandonnée) de la politique familiale française

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Par Sylvain Fontan Modifié le 18 octobre 2013 à 7h13

Le gouvernement français vient d'annoncer son intention de faire évoluer la politique familiale de la France. Cette décision intervient dans une période de lutte contre les déficits publics et devrait se décliner en plusieurs mesures, dont la plus importante est l'abaissement du plafond du quotient familial. Au total, ces mesures devraient rapporter à l'Etat 1,9 milliards d'euros à l'horizon 2016, en augmentant la fiscalité en moyenne de 768 euros par an pour les ménages concernés. Dans ce cadre, il convient d'apporter plusieurs éléments pour mieux comprendre les enjeux sous-tendus par cette évolution de la politique familiale.

Contexte et interrogations sur l'évolution de la politique familiale française

Un des points fort de l'économie française est le dynamisme de sa démographie. En effet, la France est un des rares pays industrialisé et développé qui bénéficie d'une population qui augmente. Ce dynamisme démographique s'explique notamment par un taux de natalité supérieur à la moyenne des pays comparables et qui permet ainsi le renouvellement de la population. Si la France présente un tel dynamisme démographique c'est, entre autre, grâce à sa politique familiale héritée de l'après-guerre. Les objectifs de la politique familiale sont : soutenir la natalité, compenser la charge financière que représente les enfants, faire concilier vie professionnelle et vie familiale, favoriser le travail des femmes, et enfin lutter contre la pauvreté. Dès lors, faire évoluer une politique qui marche, qui est enviée par l'ensemble des pays développés et qui permet à la France de pouvoir compter sur une population dynamique à long terme peut apparaître comme un risque.

Le but recherché par le gouvernement est de diminuer le poids des dépenses sociales dans un pays qui y accorde chaque année 620 milliards d'euros, soit 31% de la richesse produite annuellement. Pour ce faire, il a décidé de commencer par les dépenses sociales de la branche famille à hauteur d'environ 2 milliards d'euros. La simple mise en parallèle de ces deux chiffres (2 milliards sur un total de 620 milliards) permet de comprendre que la réforme n'est pas à la hauteur des enjeux. D'autres évolutions du système social sont donc à attendre dans une optique de rééquilibrage des finances publiques. De plus, il convient de préciser que la branche famille n'est déficitaire que de 2,5 milliards d'euros en 2012 (probablement idem en 2013) par rapport à une branche retraite qui devrait bientôt atteindre les 15 milliards de déficits et dont les dépenses représentent à elles-seules 13% du PIB de la France. Enfin, notons que si la branche famille est déficitaire, c'est à cause des différents mécanismes de reversement vers d'autres branches, notamment vers la branche vieillesse. Sans ces reversements, il est possible d'estimer que la branche famille serait excédentaire de prêt de 6 milliards d'euros.

Dès lors, il est légitime de s'interroger sur la pertinence de faire évoluer une politique qui fonctionne et dont le bilan comptable est en réalité excédentaire. Nombre de pays envient à la France sa politique familiale qui lui permet de pouvoir compter sur une évolution dynamique de sa population qui offre des opportunités pour l'avenir. En effet, toutes les études montrent que plus la politique familiale est généreuse, et plus la natalité est importante.

Le choix du quotient familial et son fonctionnement

Initialement, le gouvernement avait envisagé une diminution des allocations familiales pour économiser 2 milliards d'euros. Néanmoins, cette solution comportait l'inconvénient de toucher à l'universalité des allocations familiales et de produire des effets plus visibles pour les ménages concernés, et donc plus compliqués politiquement à assumer. Le gouvernement a donc abandonné cette hypothèse au profit, entre autres, de l'abaissement du quotient familiale qui est une mesure moins lisible et moins directe. Il convient cependant de souligner que l'abaissement des allocations familiales aurait eu l'avantage de diminuer les dépenses publiques qui n'ont toujours pas débuté malgré les déclarations politiques. En effet, l'abaissement du quotient familial renvoie en réalité à une hausse d'impôts.

Le quotient familial est un mécanisme permettant une réduction d'impôt. Dès lors, l'abaissement du plafond du quotient familial correspond à une réduction d'impôts qui va diminuer. Autrement dit, la fiscalité pour les ménages concernés va augmenter. En effet, le quotient familial permet aux ménages imposables au titre de l'impôt sur le revenu (IR), soit seulement environ un ménage sur deux concernés, de bénéficier d'une réduction d'impôt si le couple est marié ou pacsé, en fonction du nombre de "parts" qui composent le foyer. Une "part" étant en fait le nombre de personnes dans un foyer, en sachant que chaque adulte compte pour une part, que les deux premiers enfants comptent pour une demi part chacun, et que tous les enfants au-delà du deuxième comptent pour une part entière.

L'idée ici, est de diminuer le plafond maximal de réduction d'impôt par part. Il avait déjà été abaissé durant l'été 2012, passant de 2'360 euros par part à 2'000 euros depuis janvier 2013. Avec l'actuelle réforme, ce même plafond sera encore abaissé, passant de 2'000 euros à 1'500 euros maximum. Au final, la hausse d'impôt aura été effectuée en deux fois et s'élèvera au total à +36,5%. Néanmoins, cette évolution sera effective après les élections municipales de 2014 et sera applicable dès septembre 2014.

Les personnes concernées par cette mesure correspondent à 1,3 millions de ménages, soit 12% des ménages, regroupant ainsi près de 3 millions d'enfants. L'impact moyen pour ces ménages sera une hausse d'impôts qui peut fortement varier selon les situations. En moyenne, par couple et par mois, la hausse d'impôts s'élèvera à :

42 euros avec un enfant, soit 504 euros par an

83 euros avec deux enfants, 996 euros par an

167 euros avec trois enfants, 2004 euros par an

250 euros avec quatre enfants, 3000 euros par an

En abaissant le plafond du quotient familial, le gouvernement envisage une rentrée fiscale supplémentaire d'environ 1 milliard d'euros. Le chef de l'Etat en validant cette mesure contredit une nouvelle fois sa promesse de ne plus augmenter la pression fiscale. Même si cette fois c'est plus insidieux, il n'en demeure pas moins que cela dégrade encore davantage l'environnement fiscal et ne participe pas à créer un climat de confiance concernant les déclarations et engagements. Au contraire, cela renforce le fait qu'il est difficile pour les agents économiques de pouvoir projeter dans le futur des décisions économiques dans un cadre stable et lisible.

Une réforme qui met à mal certains principes et objectifs de long terme

La réforme de la politique familiale, risque de remettre en cause le lien qui existe entre cette politique et les retraites. En effet, il faut considérer les dépenses sociales liées à la famille comme le moyen donné à la société de faire des enfants sans se soucier de l'impact financier. Dès lors, la natalité est encouragée et permet ainsi d'augmenter la population active qui finance les retraites. Si cette dynamique est rompue, le risque à terme est d'augmenter le poids des retraites pour la société étant donné que la population active ne sera pas suffisamment importante par rapport au nombre de retraités. Dans ce cadre, il faut donc envisager les dépenses familiales comme un investissement pour les retraites futures. Limiter cet investissement risque de mettre à mal les retraites futures.

Un autre élément très important à comprendre est la logique de la redistribution verticale et horizontale. La redistribution verticale correspond à la solidarité des plus hauts revenus vers les plus faibles. La redistribution horizontale correspond à la solidarité entre des revenus de même niveau de sorte que des ménages avec des revenus identiques ne se trouvent pas pénaliser du fait d'avoir des enfants. La politique familiale doit être comprise dans cette dernière logique. En effet, ce sont les ménages à revenus identiques mais sans enfants qui payent pour les ménages avec enfants. L'idée est que le fait d'investir pour l'avenir de la société au travers des enfants ne soit pas pénalisant financièrement. Dès lors, en abaissant le quotient familial, les familles avec enfants vont se trouver pénaliser fiscalement par rapport à une situation où ils n'auraient pas d'enfants. Ainsi, certains ménages pourront revoir leur décision d'avoir un enfant. A court terme, les effets sur la natalité ne seront probablement pas perceptibles. Ils seront tangibles à moyen terme.

Des mesures complémentaires et des effets cachés

L'abaissement du quotient familial est la mesure la plus médiatisée mais il convient de souligner que d'autres mesures pour un montant de 900 millions d'euros viennent compléter le dispositif faisant évoluer la politique familiale.

Tout d'abord, la prestation pour accueil de jeune enfant va être divisée par deux pour les ménages dépassant 3'250 par mois et par couple, passant ainsi de 184 euros à 92 euros. L'Etat devrait donc gagner 460 milliards d'euros d'ici 2016, en baissant ainsi les primes à la naissance, les allocations de base, l'aide à la garde d'enfant, etc. Ensuite, l'uniformisation du montant du congé parental devrait rapporter 200 millions d'euros. Enfin, la suppression de la réduction d'impôts pour les frais de scolarité du secondaire va représenter une hausse d'impôts de 12 euros par mois pour 1,6 millions de ménages imposés à l'IR, pour un montant total de 240 millions d'ici 2014.

De plus, notons que plusieurs ménages auparavant non imposables le deviendront en abaissant le plafond du quotient familial. Dès lors, ces derniers perdront les avantages aux aides sociales dont beaucoup sont liés au quotient familial : tarifs des cantines, loisirs, crèche, activité sportives, etc.

Enfin, dans un souci politique évident, le gouvernement prévoit de créer 100'000 places supplémentaires de crèche d'ici 2017. Cependant, il est fort probable que cette promesse ne soit pas tenue. En effet, les professionnels estiment qu'il faut entre 10m² et 12m² par enfant, soit 1 million à 1,2 millions de m² au total. Sans même parler de la difficulté à trouver de telles surfaces disponibles, un calcul simple souligne l'incongruité de cette mesure. En prenant en compte que 1m² de crèche coûte 2'200 euros, étant donné les spécificités de ce genre d'établissement, la mesure couterait au minimum 2,2 milliards d'euros, soit plus que le montant récolté grâces aux différentes mesures liées à l'évolution de la politique familiale.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu.

NDLR : cette tribune a été initialement publié sur le site de Sylvain Fontan le 7 juin 2013. Depuis lors, la réforme a été abandonnée par le gouvernement.

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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