C'est contre-intuitif, mais c'est pourtant la réalité. Chez EDF, les tarifs de l'électricité vendue "à prix de marché" ont reculé de 24,6%, depuis le 1er février dernier. Conséquence absurde et innattendue d'une des mesures adoptées par le gouvernement, afin de protéger les consommateurs français d'électricité de la flambée des prix. Voici pourquoi.
45%. Les consommateurs français auraient du subir une hausse de 45% des prix de l'électricité au 1er février 2022. Pourtant, c'est tout le contraire qui se produit, tout au moins pour les abonnés aux offres à prix de marché de EDF. Bien évidemment, tout cela se produit dans le plus grand silence, car cette énorme baisse du prix de l'électricité n'est pas voulue, mais est bien évidemment accidentelle ! Et accessoirement, coûteuse, puisque cette baisse anormale représente un manque à gagner pour le gouvernement, et l'énergéticien.
Pourquoi nous retrouvons-nous dans cette situation absurde, pour ne pas dire kafkaïenne, qui a cependant un énorme mérite en matière de pouvoir d'achat, puisqu'elle redonne un peu d'oxygène aux consommateurs qui utilisent l'électricité pour se chauffer ou produire l'eau chaude sanitaire ? La raison en est toute simple.
EDF : une baisse du prix de l'électricité accidentelle
Pour pouvoir offrir aux consommateurs français d'électricité un "bouclier tarifaire", le gouvernement a actionné deux leviers. Un premier, qui consistait à exiger d'EDF qu'il augmente la quantité d'électricité vendue à prix cassé à ses concurrents. Cela, principalement afin d'éviter que la plupart des opérateurs alternatifs ne mettent brutalement la clef sous la porte, incapables d'honorer les contrats passés avec leurs clients. Plusieurs ont d'ailleurs déjà déposé le bilan, leurs clients étant automatiquement rebasculés chez EDF, le "fournisseur d'énergie en dernier ressort".
Mais c'est le second levier qui est responsable de la forte baisse accidentelle du prix de l'électricité depuis le 1er février. Pour déployer le "bouclier tarifaire", le gouvernement a quasiment fait disparaître une taxe, la "TIFCE" ou taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité. Une taxe qui s'élevait jusqu'ici à 22,50 € le mégawattheure, qui a été descendue à... 1 € le mégawattheure pour les particuliers, et même 50 centimes d'euro, pour les entreprises ! Autant dire qu'elle a été tout bonnement annulée.
Et c'est là qu'est l'os : en vertu du principe d'égalité des citoyens devant l'impôt, et donc, devant les taxes, cette baisse a été appliquée au 1er février (en vertu d'un décret publié dimanche 30 janvier 2022) à tous les abonnés. Que ceux-ci soient donc abonnés au tarif réglementé de l'électrcité, celui qui aurait du voir ses tarifs augmenter de 35 à 45% ou donc, abonnés au tarif à prix de marché !
Pour les abonnés au tarif réglementé - voué à disparaître en 2023 à la demande de Bruxelles - la hausse des prix de l'électricité a bien été maîtrisée et limitée à +4%, comme promis. Mais pour les autres abonnés, à prix de marché, la quasi suppression de la TIFCE a provoqué un effondrement inédit du prix du Kw/h ! Jugez un peu : au lieu de facturer 17,40 centimes d'euro TTC un abonné au tarif de base, avec une puissance de 6 kVA, EDF est obligée de le facturer... 13,11 centimes ! Soit 4,29 centimes d'économisés, ou 24,6% de baisse de prix, pour chaque kilowatt consommé ! (voir la grille tarifaire d'EDF ici).
Combien va coûter cette baisse du prix de l'électricité inédite à EDF ?
Quant on sait que les mois d'hiver, et le mois de février ne déroge pas à la règle, sont des mois de très forte consommation d'électricité, pour ceux qui se chauffent à l'électrique mais aussi pour ceux qui produisent l'eau chaude sanitaire avec des ballons, ballons qui doivent "monter en température" une eau qui arrive glaciale dans les canalisations, on comprend que cet "accident" juridico-technique n'est pas neutre. Et ne peut qu'amplifier le mécontentement des équipes d'EDF, auxquels le gouvernement a tordu le bras, pour activer ce "bouclier tarifaire", en grande partie aux frais de l'entreprise, pourtant privée et cotée en Bourse.
Ceux qui suivent l'histoire peuvent légitimement se demander pourquoi EDF n'a pas modifié son contrat à prix de marché, afin de prendre en compte la quasi disparition de la TIFCE dans son tarif, et donc augmenté le prix de l'électricité, afin de se conformer à la réalité. Là encore, la réponse est simple : l'énergéticien ne le pouvait tout simplement pas. Le contrat à prix de marché prévoit en effet un maximum de deux modifications tarifaires par an. Et le prochain rendez-vous avec cette modification est fixé au... 9 mars 2022 (la future grille tarifaire d'EDF à prix de marché se trouve ici).
À cette date, le prix du kw/h, pour un abonné au tarif de base 6 kVA, passera à ... 18,19 centimes. Soit 5,09 centimes de plus que la somme qui sera facturée aux clients d'EDF à prix de marché entre le 1er février, et ce changement de tarif. Soit, 40 jours d'électricité à prix cassé qui n'auront rien d'un carème, en plein hiver : un tarif en réalité introuvable nulle part dans le monde, un tarif... de vente à perte !
Les nouveaux clients à prix de marché d'EDF subiront-ils la hausse du prix de l'électricité du 9 mars 2022 ?
Cerise sur le gâteau, pour conclure ce nouvel épisode kafkaïen typiquement franco-français : ce tarif improbable pourrait être maintenu pour certains clients de l'offre à prix de marché d'EDF. Lesquels ? Tout simplement, les nouveaux, ceux qui souscriraient dans les prochains jours, sachant qu'avec le compteur communiquant Linky, on peut désormais changer de fournisseur d'énergie dans la journée. Pourquoi ? Parce que le contrat auquel ils souscriront prévoit qu'ils soient notifiés d'un changement de l'offre tarifaire au minimum un mois avant ! Or, à souscrire par exemple le 10 février, il sera impossible pour EDF de prévenir dans les délais les nouveaux clients du prochain changement de tarif : le contrat ne prévoyant pas ce cas de figure, c'est la prochaine modification de tarif, dans sept mois, qui leur sera appliquée, pas celle du 9 mars 2022... EDF se retranchera sans doute derrière le fait que les nouveaux clients seront notifiés, à la souscription, du nouveau tarif, mais cela ne colle pas avec la rédaction du contrat, qui ne prévoit qu'un délai de notification d'un mois minimum...
Bienvenue en Absurdistan !