Portail numérique unique pour les formalités des importateurs et des exportateurs, renforcement du port de Bakou comme premier port de la mer Caspienne, introduction des technologies de blockchain dans les transactions financières, et plus globalement, partenariat stratégique avec la Chine dans la dynamique des nouvelles routes de la soie… Bien qu’elle ait été quelque peu masquée par les préoccupations estivales des Français, la visite fin juillet de Bruno Lemaire en Azerbaïdjan est l’occasion d’évoquer ce pays d’Asie Centrale, dont la stabilité globale le met rarement sur le devant de la scène, alors qu’il présente un éventail séduisant d’attraits dans une région prometteuse.
Modernité politique dans le monde musulman
Le pays s’enorgueillit d’une réelle fidélité à sa « tradition progressiste », si l’on veut bien accepter cet oxymore. La jeune république, proclamée en 1918 à la disparition de l’Empire des Tsars, s’était érigée d’emblée comme un pays singulièrement avancé parmi les pays à tradition musulmane, position « éclairée » qu’il tend à conserver encore de nos jours. Cette posture se concrétisait dès 1918 par le droit de vote accordé aux femmes, quelques années avant le Royaume-Uni (1928), et quelques années de plus avant… la France (1944). De même, l’Azerbaïdjan adoptait dès cette époque un régime parlementaire multipartite, où chacune des nombreuses minorités était représentée. Plus encore, fait saillant dans la zone géographique et dans la culture dominante, le pouvoir républicain proclamait et appliquait une scrupuleuse séparation entre les religions (essentiellement chiite, sunnite, et orthodoxe, mais aussi yézédi…) et l’État. Certes, l’élan a été rapidement brisé par l’intégration quelque peu forcée à l’Union Soviétique, mais, depuis le retour à l’indépendance consécutif à la disparition de l’URSS, les gouvernements successifs persistent à prévenir tout réveil identitaire facteur de troubles et porteur de séparatisme. En préservant une laïcité bien comprise, en reconnaissant et en encadrant le fait religieux, l’exécutif garantit un vivre ensemble concret et pragmatique dont certains pays pourraient utilement s’inspirer.
Stabilité géopolitique et identitaire en Asie centrale
La situation géopolitique de l’Azerbaïdjan n’est pas nécessairement confortable. Le pays est en effet coincé entre de grands voisins très présents sur la scène internationale : la Russie de Vladimir Poutine au Nord, l’Iran d’Hassan Rohani au Sud, et la Turquie de Recep Tayyip Erdo?an un peu plus à l’Ouest. Il se situe dans la sphère d’intérêt sans cesse croissante de l’hyperpuissance chinoise. Il est ancré sur la façade Est d’un Caucase fréquemment secoué par les convulsions d’un islamisme multiforme, ou encore par les différends territoriaux entre États, ou les tentations séparatistes.
Dans cet ensemble, fort de son ancrage constitutionnel, et de ses pratiques politiques privilégiant la stabilité, l’Azerbaïdjan cultive avec détermination son attachement à une posture ouverte de non-alignement, en entretenant des relations pragmatiques avec les puissances évoquées, tout en participant à de multiples forums et organisations internationaux qui ont attiré sur lui l’intérêt tant des États-Unis que de l’Union Européenne et de certains de ses membres en particulier.
Les liens avec la France, initiés dès le début du XXe siècle, se sont renforcés depuis les années 1990, concernant aussi bien le travail législatif, qu’une posture progressiste commune sur la scène internationale, notamment en termes de droits des femmes, comme encore sur le plan universitaire. Illustration de la convergence des deux pays en la matière, un colloque sur ce sujet s’est tenu en juin à l’assemblée nationale à Paris. De même, en termes concrets, l’université franco-azéri de Bakou (UFAZ), forme plus de 30% de femmes, dans des secteurs scientifiques, liés notamment au secteur des énergies, sans se limiter à celles d’origine fossile, dont le pays regorge.
Santé économique dopée par la Belt and Road Initiative (BRI)
Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs, utilisant un fonds souverain (SOFAZ) abondé par les recettes gazières et pétrolières, ont poursuivi une politique, pas si répandue pour un pays en voie de développement (que l’on songe à l’Algérie), d’émancipation progressive de la manne des hydrocarbures. Cette ambition se traduit non seulement en matière industrielle et d’infrastructures, mais aussi dans les technologies de la communication et de l’information, permettant ainsi au pays de multiplier par 9 son PIB par habitant en 10 ans. La période 2015-2017, marquée par les inquiétudes liées à la baisse des cours des hydrocarbures, semble n’être aujourd’hui plus qu’un mauvais souvenir.
Surtout, cette santé économique persistante semble promise à un bel avenir, puisque le pays se trouve idéalement situé par rapport au projet de Belt and Road initiative (BRI) de la Chine. Quand bien même les axes principaux de la BRI passeront au Nord et au Sud du Caucase, la situation clé de l’Azerbaïdjan, la position de Bakou sur la Caspienne, ses ressources naturelles et son potentiel touristique, la disposition Est-Ouest de la principale vallée, débouchant sur la Mer Noire via la Géorgie, en font un axe secondaire-clé dans le projet sino-asiatique. Celui-ci s’est notamment traduit par la mise en service récente de l’axe ferroviaire Bakou – Tbilissi – Kars. Ceci n’a échappé ni au président Aliyev, ni au président Xi lors du forum de la BRI à Pékin en avril dernier, où des accords économiques ont été signés entre les deux pays, pour un montant de près d’un milliard d’euros, et les projets ne cessent de se multiplier.
Avec la France, les relations économiques ont un fort potentiel de croissance : longtemps centrées sur le marché des hydrocarbures, elles connaissent un essor nouveau et prometteur dans des domaines variés, et notamment dans la viticulture, les énergies renouvelables et les transports. Dans ce dernier secteur, la visite de Bruno Le Maire évoquée plus haut a notamment été l’occasion de signer un contrat de maintenance des matériels ferroviaires azerbaïdjanais par la société Alstom, faisant suite à la fourniture de 50 motrices par une coentreprise binationale.