« Nous allons dans le mur! » « C’est la crise ! » Jour après jour, pour ne pas dire heure après heure, qui peut rester insensible à ce murmure généralisé ? Nous ne regardons pas au-devant, trop persuadés d’aller à la catastrophe, et d’autant plus certains d’y courir que nous gardons les yeux sur le guidon. Enchaînement implacable, en effet. Faute de pouvoir envisager le lendemain, on n’a même pas l’envie de l’entrevoir, par peur.
Chacun sait que la politique de l’autruche non seulement n’a aucune vertu stratégique mais n’aboutit qu’à montrer ses fondements à l’ennemi… Nous déplorons donc volontiers que les hommes en place se préoccupent davantage de leur élection ou de leur réélection que d’imaginer et de préparer les temps à venir. C’est vrai que cinq ans, c’est le bout du monde en politique, un délai bien court pour connaître un retour sur investissements. Et que dire de la durée d’une carrière ministérielle, dix-huit mois en moyenne?
Mais nous nous soumettons tous au « court-termisme », avec ses revers inévitables, perte de sens, voire contresens. Quitte à aller dans le mur, pensent même certains, autant y foncer à pleine vitesse, en se faisant plaisir ! Nous voilà limités au présent, au retour immédiat sur aspirations, plutôt qu’attentifs au futur, prêts à s’attaquer aux enjeux fondamentaux, ce qui demande du temps. Du temps ! C’est insensé ce qu’est devenu notre rapport au temps : nous n’avons jamais travaillé à aussi grande vitesse et, pourtant, nous nous accordons si peu de temps à nous-mêmes. Combien de fois ne regardons-nous pas l’heure dans une journée ? Ne serions-nous pas en train de nous noyer dans l’instantanéité, de nous vendre au plus offrant, au plus rassurant, aux phénomènes de mode, parce que le conformisme peut donner la douce illusion d’un ancrage, le radeau collectif amarré à une opinion en dérive ?
Nous sommes tous conscients que cette navigation ne peut conduire qu’au naufrage, mais comment faire autrement lorsque l’on ne voit pas vers quel port faire voile, ni quelle direction prendre pour avoir une chance de l’atteindre ? Sans cap, sans objectif porteur d’espoir, nous n’appréhendons qu’un horizon bien sombre, et nous devinons que, privé des lumières de l’esprit et de la foi, l’homme ne pourra ainsi accéder à un quelconque accomplissement.
Extrait du livre "Cap Sur l'Avenir" de Christian Buchet