On ne le dira jamais assez, la solidarité est plus vitale pour l’existence des êtres humains que la compétition. La Crise du COVID-19 vient de bouleverser les certitudes du « monde nouveau » devenu désormais un monde ancien, aux pratiques archaïques, celles qui faisaient du premier de cordée le modèle indépassable.
La « coopétition » vaut mieux que la concurrence
Or ce « premier de cordée » n’existe en fait que parce qu’il y a une cordée qui le lie aux autres et lui donne sa raison d’être. Ce sont les moins rémunérés, les « derniers de cordée » de la société, qui se sont ainsi trouvés être les plus utiles durant la crise que nous venons de traverser et pour certains de manière vitale.
Cette réalité met en lumière ce que de bons penseurs en gestion avaient déjà constaté : les limites du modèle néolibéral de la concurrence effrénée selon Porter. Ils proposent ainsi une stratégie novatrice pour les dirigeants d’entreprise : la coopétition. Cette contraction de deux mots antagonistes est la solution pour dépasser les clivages de la concurrence frontale et de la coopération ponctuelle. « Les entreprises peuvent “coopétir”, c´est-à-dire coopérer et être en compétition en même temps, dans ce cadre, elles peuvent créer des nouvelles connaissances d´une manière collaborative », peut-on ainsi lire dans un numéro de La Revue des Sciences de Gestion publié en 2014.
La santé est elle aussi devenue un nouveau territoire de coopétition. En prenant acte des collaborations mises en place durant la crise du COVID, l’une des propositions faites lors du Ségur de la Santé est que celles-ci débouchent sur un rapprochement pérenne permettant aux établissements publics, privés non lucratifs ou lucratifs de constituer des coopétitions.
L’indispensable mutualisme
En effet, la crise du COVID démontre à l’envi le besoin de solidarité, qu’incarne tout particulièrement un modèle déjà existant : le mutualisme. La pure logique économique a dû s’effacer alors devant les souffrances d’un grand nombre de personnes. Les artisans, les petits entrepreneurs tout comme certains « monstres » économiques sont devenus vulnérables.
La victoire de Stéphane Manigold, restaurateur parisien, a amené le Goliath de l’assurance capitaliste, Axa, à préférer finalement, en ce début juillet 2020, l’accord et l’indemnisation de quelque 20 000 restaurateurs à un bras de fer juridique.
C’est d’ailleurs une tout autre position qu’avaient adoptée les Assurances du Crédit Mutuel et du CIC en annonçant dès le 22 avril, verser une « prime de relance mutualiste, forfaitaire et immédiate » rejointes en cela par le groupe des assurances Covea (Maaf, MMA, GMF). Participer à la vie économique locale est la marque fondatrice du système de Raiffeisen, le père des banques mutualistes. Loin de la logique juridique de l’application restrictive d’un contrat d’assurance, le système coopératif est par essence, étroitement imbriqué au tissu local.
À l’heure où l’on songe à redonner aux acteurs des territoires, si efficaces durant la crise, davantage d’autonomie dans un acte III de la décentralisation, il devient certain que le système mutualiste, dont les fondamentaux sont la démocratie et la solidarité locales, est le mieux disposé à représenter la modernité et l’efficacité dans la défense d’un intérêt général bien compris. Ne nous y trompons pas cependant, que ce soit la coopétition, véritable modèle innovant à inventer et à développer, ou le mutualisme, qu’il soit assurantiel ou bancaire, ces formes qui revivent et se régnèrent à chaque moment d’incertitudes ne sont des solutions efficaces et pérennes que si elles ne sont pas des recettes à court terme pour la technocratie toujours à la recherche de quelques sparadraps.
Cela ne peut se concevoir sans la volonté réelle de réformer en profondeur et de promouvoir des valeurs nouvelles en actes économiques par des organisations qui ont besoin d’autonomie pour exercer leur responsabilité au niveau territorial.
En fait, c’est vers une coévolution à laquelle nous conduit cette pandémie. Une coévolution qui, s’inspirant de la biologie qui allie génome et culture, nous force à privilégier dans nos organisations économiques et sociales, la solidarité à l’antagonisme et le mutualisme au parasitisme, ces formes étant les seules à même de nous réinscrire dans la logique de notre évolution (survie ?) en harmonie avec notre environnement.