Guillaume Peltier, réputé proche de Laurent Wauquiez et de sa ligne, a commis une déclaration tonitruante: selon lui, il faudrait augmenter fortement le SMIC, « de 10, 15 ou 20% ». Cette vieille recette, largement discutée par le passé, et dont la nocivité pour les classes moyennes est bien connue, montre toute la confusion idéologique où les Républicains sont entraînés aujourd’hui, faute d’une refondation claire de leur pensée.
De Guillaume Peltier, nous ne retiendrons pas ici son passage au Front National avant d’intégrer le monde des Républicains. Nous retiendrons plutôt que, comme beaucoup de jeunes élus, il n’a jamais connu la vie en entreprise, sauf celle qu’il a créée (qui fait du conseil en affaires publiques), et qui n’est guère représentative d’une entreprise ordinaire. Il a commencé sa carrière comme professeur du second degré avant de bifurquer en politique.
Il est à l’image de nombreux politiques français, à gauche comme à droite, pour qui le secteur privé et la libre concurrence constituent des énigmes ou des sujets de connaissance théorique. Et comme souvent quand on connaît mal un sujet, on l’aborde avec des clichés faciles et des caricatures, et on propose pour lui des solutions toutes faites qui ne sont guère réalistes, mais qui vont dans le sens du vent.
En proposant une augmentation massive du SMIC, Guillaume Peltier n’a pas échappé à cette règle. Ce faisant, il a montré une fois de plus que la réaction des Républicains face à Macron n’est certainement pas de se rapprocher de la réalité, ni du réalisme, mais de se réfugier dans des fantasmes passéistes trop peu crédibles pour préparer le temps d’une reconquête.
Les propos incohérents de Guillaume Peltier
Reprenons d’abord la citation exacte de Guillaume Peltier:
« J’entends tous les jours nos travailleurs souffrir. Ils travaillent pour une rémunération dérisoire. Vous croyez qu’on peut vivre en France, décemment avec 1200 euros net par mois? » s’est indigné Guillaume Peltier avant de prôner « un électrochoc de 10, 15 ou 20% » d’augmentation, avec, en contrepartie, une baisse des charges « drastiques » pour les entreprises.
La vidéo précise que Guillaume Peltier a ajouté une phrase ahurissante : la baisse drastique de charges se justifierait « parce qu’il ne faut pas que ça pèse sur les entreprises ». Il faut être tout droit sorti de la fonction publique et n’avoir jamais dû verser de sa poche le salaire de ses employés pour imaginer qu’une hausse des salaires de 10, 15 ou 20% ne pèse sur les entreprises que s’il n’y a pas de baisse des charges. On voit ici la connaissance superficielle de la réalité des salaires en France s’étaler au grand jour.
Il ne s’agit pas de dire que Guillaume Peltier méprise les salariés. Au contraire, il se fait l’écho d’une souffrance réelle, celle des travailleurs payés à peine au-dessus du SMIC et qui peinent à boucler leurs fins de mois avec des revenus trop bas. Simplement, Peltier en reste à une approche émotionnelle et morale du salaire (celle de Mr Toutlemonde qui dit: il faut augmenter les salaires), sans chercher à comprendre les déterminants économiques réels qui sont à l’oeuvre dans les éléments qu’il déplore.
L’écrasement des salaires français autour du SMIC
Rappelons d’abord à Guillaume Peltier quelques réalités mathématiques. Écartons le sujet des « charges », et posons le SMIC net mensuel. Il est, à 2 euros près, de 1.150 euros, ce qui n’est effectivement pas beaucoup. Une augmentation de 15% l’amènerait à environ 1.325 euros nets.
Le tableau ci-contre rappelle la ventilation des salaires en France. 10% des salariés de notre pays (c’est-à-dire grosso modo 1,5 millions de Français) sont payés au SMIC ou à peine 60 euros de plus. Une augmentation de 15% du SMIC les placerait au même niveau que le décile suivant. Il ne resterait plus dès lors que 400 euros mensuels de différence entre les salariés les moins payés et la médiane des salaires, c’est-à-dire la somme que perçoivent nos « classes moyennes ».
De cet élément objectif, on retirera d’abord que la mesure proposée par Guillaume Peltier, qui consiste à augmenter seulement les plus bas salaires, comporte un impact psychologique désagréable pour les ceux qui se sentent « rattrapés »par le bas, sans véritable perspective d’augmentation. En réalité, Guillaume Peltier propose, par une décision politique, de réduire de près de moitié la distance qui sépare les classes moyennes des travailleurs les moins bien payés. Le signal est excellent pour ces derniers, il est très mauvais pour les premiers.
Politiquement, on s’étonnera quand même que la politique des Républicains ne s’inquiète pas de ce genre d’effets.
Le fantasme des baisses de charge gratuites pour le contribuable
Mais la vraie question n’est pas ici… elle est plutôt dans l’étrange logique post-chiraquienne ou post-hollandaise de cette mesure qui donne l’impression que la baisse des charges s’exerce de façon gratuite. C’est l’État qui paie, comme disait un incompétent en poste à l’Élysée il n’y pas si longtemps, et qui semble avoir beaucoup influencé Guillaume Peltier.
Car, que nous dit ce proche de Wauquiez, sinon qu’il faut augmenter les plus petits salaires tout en diminuant les charges qui pèsent sur eux ? La formule a, ne lui en déplaise, un goût de réchauffé qui laisse un peu pantois.
Car l’histoire de la baisse des charges sur le SMIC taraude les gouvernements qui se succèdent depuis de longues années, de gauche comme de droite. La « droite sociale et populaire » dont Peltier se réclame n’a pas hésité par le passé à développer une théorie sur le sujet, qui a inspiré la gauche. Il s’agissait de dire que le chômage de masse en France s’expliquait par le coût du travail peu qualifié, trop important par rapport à nos voisins. De là, l’idée de « baisser les charges » sous 1,6 SMIC (c’est-à-dire pour 50% des salariés comme on l’a vu ci-dessus) qui fait florès depuis les années 90.
Personne n’a pu prouver que la mesure (abondamment pratiquée en France) permettait d’éviter le chômage. Mais tout le monde en connaît le prix: grosso modo, ce sont 25 milliards annuels qui s’envolent en fumée de la poche du contribuable pour financer le manque à gagner de la sécurité sociale dans cette fameuse affaire de baisse de charges. Un rapport officiel de 2017 en a rappelé les termes et les limites.
Autrement dit, la mesure que propose Guillaume Peltier de « baisses de charge » en compensation de la hausse des salaires ne serait pas à somme nulle, comme l’ancien professeur de lycée qu’il est semble le croire. Elle a un coût pour le contribuable, probablement de plusieurs milliards supplémentaires, qu’il faudra bien trouver pour ne pas amputer la sécurité sociale d’un magot dont elle a besoin pour équilibrer ses comptes.
Et qui donc va payer ? le contribuable bien sûr, c’est-à-dire notamment les salariés au SMIC qui vont voir un bout de TVA augmenter, soit sur les travaux qu’ils veulent faire dans le petit pavillon qu’ils se paient péniblement, soit sur le restaurant qu’ils tentent de fréquenter une fois par mois pour se donner l’impression de vivre comme les autres.
Bref, ce qui aura été donné d’une main sera repris de l’autre.
Les classes moyennes, ennemies des Républicains ?
On sait comment se termine d’ordinaire le genre de mesures « populaires » que Guillaume Peltier propose. Elles permettent un affichage politicien facile, mais leur financement pèse toujours in fine sur les classes moyennes, le ventre mou du pays dont on pense qu’il a toujours du gras à liposucer pour amortir le choc de promesses intenables.
Augmenter le SMIC de 15% n’échappera pas à la règle. Soit la mesure ne s’accompagne pas de baisses de charges, et elle se transformera en une nouvelle perte massive de compétitivité de l’emploi peu qualifié en France, c’est-à-dire par plus de chômage. Soit la mesure s’accompagne d’une baisse de charges, et le coût de celle-ci pèsera sur les classes moyennes.
Dans les deux cas, la mesure est émotionnellement bonne dans l’immédiat, mais à terme socialement désastreuse pour les Français et pour leur économie, car il faudra bien la payer à son juste prix d’une façon ou d’une autre. Le scénario le plus vraisemblable est qu’elle se traduise par une nouvelle saignée fiscale sur les classes moyennes dont notre pays a le secret.
C’est cela, l’option partisane des Républicains, semble-t-il. Chasser sur les terres des plus bas salaires et taxer à terme les classes moyennes. On reste un peu perplexes sur la pertinence de ce choix stratégique. Car les salariés au SMIC représentent 1,5 millions de personnes. Les classes moyennes en représentant beaucoup plus.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog