Selon un sondage Opinion Way réalisé pour le Figaro et LCI, 51% des personnes interrogées, inscrites sur les listes électorales, mentionnent les impôts locaux comme enjeu au moment de voter. Rien de neuf. La réforme de la fiscalité locale représente le serpent de mer de la politique française depuis… 1917.
La première commission consacrée aux finances locales, dite commission Boquet, date de 1920. Sa mission : réfléchir sur la fiscalité locale et trouver les moyens de procurer aux budgets locaux des ressources nouvelles. Beaucoup d’autres lui ont succédé. Commission Pietri en 1931 ; commission Aubaud en 1936 ; commission Pinay en 1952 ; commission Deleau en 1964 ; commission Pianta-Mondon en 1970 ; commission Voisin en 1979 ; commission Aicardi en 1987 ; commission Cossin en 1992 ; commission La Martinière en 1995. La liste est loin d’être exhaustive. Le 22 octobre 2008, le président Sarkozy s’est à son tour penché sur le berceau endommagé des finances locales. Il a mis en place le « Comité pour la réforme des collectivités locales » dit comité Balladur. Avec un constat : « On a laissé dérivé les finances locales.
Municipales : "Les dépenses des mairies coûtent de plus en plus cher aux contribuables" Thierry Bouclier
es collectivités qui coûtent de plus en plus cher au contribuable
Les Français sont exaspérés par l’augmentation de la fiscalité locale et le coût croissant du fonctionnement des collectivités. Ils critiquent l’enchevêtrement des compétences, les gaspillages et les dysfonctionnements qui en résultent… Tous nous pensons que la fiscalité locale est devenue archaïque et injuste, que la taxe professionnelle nuit à l’attractivité économique de la France… Cette situation ne peut plus durer…». En 2011, une mission commune d'information « sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l'État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale » est mise en place. Le 3 mars 2012, le candidat François Hollande s’engage dans un discours à Dijon à réformer la fiscalité locale. Et alors ? Alors rien. De la Commission Boquet en 1920 aux souhaits du Président Hollande en 2012, rien n’a changé. La grande réforme de la fiscalité locale n’est pas venue. Malgré les dizaines de commissions réunies, les centaines de lois votées et de décrets pris en près d’un siècle.
Les chiffres liés aux collectivités locales et à leurs finances sont éloquents. Entre 1982 et 2009, l’accroissement des dépenses locales a été de 6,8% par an, soit pratiquement le double de la hausse du produit intérieur brut. En 1982, ces dépenses représentaient 5,1% de ce PIB. En 2009, ce chiffre est passé à 11%. La hausse des impôts locaux est encore plus effrayante. 116 milliards d’euros en 2010 contre seulement 16 milliards en 1982. Plusieurs augmentations donnent le tournis. La taxe foncière a augmenté de 71% entre 1995 et 2005. A Paris, elle a augmenté de 55% pour la seule année 2009.
La spirale semble aussi infernale que logique. Les impôts suivent la courbe ascendante des dépenses. Au total, les effectifs des collectivités locales sont passés d’un million en 1982 à 1,9 million aujourd’hui. Cette croissance a une première explication. Depuis les lois Defferre de 1982 et la loi Raffarin de 2004 sur la décentralisation, les collectivités locales ont vu leurs domaines d’intervention considérablement augmenter. Elles construisent les écoles, les collèges et les lycées. Elles gèrent les transports publics locaux, les cantines scolaires et les piscines. Elles prennent à leur charge une grande partie des dépenses sociales pour les personnes âgées et les handicapés. Toutes ces missions nécessitent du personnel et entraînent des dépenses. Mais les transferts de compétences n’expliquent pas tout. Trop de collectivités locales, débarrassées de la tutelle étatique, ont sombré dans la folie des grandeurs. Palais de région faramineux. Carrefours giratoires sans objet. Médiathèques, théâtres et salles des fêtes sans spectateurs. Pistes de ski sans neige et sans skieurs. Voyages d’études qui n’étudient rien. Réceptions inutiles. La liste des gaspillages est longue. Indécemment longue.
Ile-de-France : les subventions du Conseil Régional multipliées par neuf en dix ans
Le pire se situe probablement dans la frénésie des subventions. En 2009, celles accordées par le conseil régional d’Ile-de-France se sont élevées 253 millions d’euros. Chiffre multiplié par neuf en dix ans. Parmi les plus aberrantes : 48.000 euros pour former les élus analphabètes issus du scrutin municipal dans le cercle de Nioro du Sahel au Mali ; 11.000 euros pour la pratique du football dans des écoles de la province de Gauteng en Afrique du Sud ; 32.900 euros pour un programme de recherche sur les dangers liés à l’expansion des populations de tortues à tempes rouges en Ile-de-France ; 10.000 euros pour « plantes médicinales et savoir ancestraux des femmes Aymara au Chili ». Cerise sur le gâteau : 400.000 euros pour le musée Salvador Allende à Santiago du Chili !
Nombreux sont les rapports qui dénoncent les causes de l’incurie locale. Les compétences sont mal définies. La responsabilité des impôts locaux est diluée. Les financements s’entrecroisent. L’Etat lui-même pousse à la dépense. Certains élus locaux sont contaminés par « une culture de la dépense » tandis que d’autres sont grassement payés. Face à ce constat, les propositions et les réalisations manquent généralement d’ambitions. Confirmer le rôle des communes comme échelon de base de notre organisation locale. Achever la carte de l’intercommunalité. Encourager la fusion des départements et des régions. Réviser plus souvent les valeurs locatives sur lesquelles les impôts locaux sont assis. Baptiser la taxe professionnelle « contribution économique territoriale ». C’est léger ! Très léger.
Il n'y a pas deux contribuables, un national et un local
Tous ceux qui ont tenté de soigner les finances locales ont oublié de se poser la seule véritable question : la fiscalité locale peut-elle exister ? Jusqu’en 1914 et 1917, il n’existait qu’une seule fiscalité d’Etat, mise en place sous la Révolution, se composant des « quatre vieilles contributions » : la patente, la mobilière et la foncière, ancêtres de nos taxes professionnelles, d’habitation et foncière sur le bâti et le non bâti. Chaque année, des « centimes additionnels » à ces contributions d’Etat étaient votés pour alimenter les budgets locaux. En 1914 et 1917, la réforme Caillaux a créé l’impôt sur le revenu au profit du budget de l’Etat, le produit des quatre vieilles étant réservé aux collectivités locales. Et cela n’a jamais marché. Tout simplement parce qu’il n’existe pas deux contribuables, l’un local et l’autre national. C’est le même. La division est artificielle. Elle l’est tellement que le produit des « quatre vieilles », dont l’intégralité transite d’ailleurs par le budget de l’Etat, couvre moins de 60% des dépenses des collectivités locales. Tout le reste provient du budget de l’Etat à travers de multiples dotations, transferts, compensations et autre péréquation. Un système complexe, véritablement kafkaïen, destiné à masquer une réalité que nul ne veut regarder en face : l’autonomie financière des collectivités locales n’existe pas. Celles-ci vivent sous la perfusion permanente de l’Etat. Mais admettre cela, c’est s’interroger sur les bienfaits de … la décentralisation. Une décentralisation pour tous comme il existe un mariage pour tous. Une idée érigée en dogme. Un tabou de la politique française qui n’est pas prêt d’être brisé.