Trois des principaux groupes audiovisuels français se sont accordés pour lancer une future plateforme de SVOD concurrençant les mastodontes américains, Netflix en tête. L'occasion, si Salto voit le jour, de mettre en avant la qualité de la production française. A condition de réformer un système cinématographique tricolore à bout de souffle.
Alors que Disney se lance à son tour dans la course aux plateformes de SVOD, verra-t-on bientôt un Netflix à la française ? Après de longs atermoiements, il semble que les grandes entreprises tricolores de l'audiovisuel en prennent, enfin, le chemin : en juin 2018, France Télévisions, TF1 et M6 ont officialisé le lancement prochain de Salto, une plateforme accessible sur ordinateurs, tablettes et smartphones, qui aura « vocation à participer activement au rayonnement de la création française et européenne », selon un communiqué commun des trois chaînes, et qui « permettra de retrouver tous les meilleurs programmes de télévision (le direct et le rattrapage), mais aussi de découvrir des programmes inédits ».
Après Salto, vers un Netflix européen ?
Reposant sur un modèle 100% payant, Salto sera accessible sur abonnement et sans engagement, avec deux tarifs pressentis, à 1,99 et 6,99 euros, « pour tenir compte des besoins de chacun », précise le communiqué, selon lequel la plateforme proposera « une variété sans égale » de programmes. Une société commune, détenue conjointement par les trois groupes audiovisuels, sera mise sur pied et, a priori, ouverte aux chaînes n'ayant pas encore manifesté leur intérêt dans l'aventure.
« C’est une très bonne nouvelle que des grandes chaînes françaises se regroupent pour offrir le meilleur de leurs programmes », s'est félicité dans les pages du Figaro le ministre de la Culture, Franck Riester, selon qui « il y a une place pour des offres françaises de qualité, mettant en valeur la création de programmes, de films et de séries ». « Nous avons besoin de faire bouger l'Europe, (...) pour qu'on puisse bâtir, nous aussi, des géants européens pour concurrencer les géants numériques américains et chinois », juge par ailleurs Franck Riester, estimant qu'il « est très important que cette plateforme Salto existe. Et ensuite qu'on puisse travailler avec l'Europe pour avoir une vraie grande plateforme européenne. Le Netflix européen, moi j'y crois ».
Paranormal Investigation : quand une production française s'impose sur Netflix
Si elle voit bien le jour, Salto représenterait un écrin de choix pour mettre en avant la production française de films et de séries. Elle pourrait également porter de jolis succès, à l'instar de celui rencontré par le film Paranormal Investigation sur Netflix. Réalisé par Franck Phelizon, le film s'impose comme l'une des bonnes surprises de la plateforme américaine, apparaissant régulièrement dans la sélection « les plus gros succès ». Il remet au goût du jour la technique du « Found footage », un procédé mêlant fiction et réalité, popularisé par les cultissimes REC, Projet Blair Witch et Ring.
Paranormal Investigation rencontre un tel succès qu'il se murmure que le projet pourrait être décliné en série. Une opportunité en or pour Salto de réaliser une belle prise, d'enrichir son catalogue et d'offrir à ses futurs abonnés le meilleur de la production tricolore ? A moins que Damien Couvreur, le directeur France des séries Netflix, ne se décide lui-même à poursuivre le projet et à offrir aux abonnés de sa plateforme l'exclusivité de la suite des aventures de l’investigateur Andrei, chasseur d’esprits.
Réformer le « chaos » du système français
Quelle que soit la destinée de Paranormal Investigation, une suite participerait à imposer l'identité française dans le paysage cinématographique. Et il y a fort à faire : face aux géants américains, la mise sur orbite de Salto représenterait certes un premier pas, aussi nécessaire qu'attendu. Mais il faut faire plus, beaucoup plus, selon Alex Berger, le producteur de la série à succès « Le Bureau des Légendes », qui vient de remettre un rapport sur le sujet au Centre national du Cinéma (CNC). Selon lui, « en France, (…) le système entier pâtit d'un défaut d'efficacité, de clarté et de parité », et si l'Hexagone entend rattraper son retard, il doit industrialiser sa filière.
La France doit également se montrer aussi intransigeante que l'industrie américaine avec les opérateurs étrangers, poursuit Alex Berger, selon qui « ce n'est qu'à ce prix qu'on sauvera l'exception culturelle et le modèle de soutien du CNC qui garantit la diversité ». Et le producteur d'enfoncer le clou : « Aujourd'hui, parce qu'ils payent cher, Netflix et les autres plates-formes contournent notre système en important des standards américains (le copyright) quand ils produisent ici. Si notre système était moins caduc, nous pourrions les empêcher de transformer les professionnels locaux en salariés (producteurs exécutifs, etc.), ce qui n'est pas conforme au modèle français basé sur le droit d'auteur ».
Louant la rapidité avec laquelle les séries américaines bouclent leur financement, le producteur appelle à séparer « clairement (…) ce qui est financement de la fabrication et achat de droits de diffusion », et ce afin de mettre fin au « chaos total » régnant en France. Le chemin est encore long avant de faire de « l'exception » tricolore une success story...