Tout discours politique propose à son auditoire une « montée intellectuelle », qui part de l’énoncé d’un problème et aboutit au point culminant d’une solution. Ce fut le cas du discours du Président devant le congrès réuni à Versailles le 16 novembre dernier.
Enoncé du problème : les attentats du 13 mettent la République en état de guerre. Sa solution : La République se dote des moyens juridiques, financiers, et militaires, adaptés pour détruire Daech. Le Président conclut : « Le terrorisme ne détruira pas la République, car c’est la République qui le détruira. ». Ainsi se dessinait la « montée intellectuelle » de son discours.
Il est bien connu qu’un discours monotone endort son public qui, du coup, ne peut vivre sa « montée intellectuelle ». Il ne la vit que si l’orateur la double d’une « montée dramatique », c’est-à-dire d’une progression dans le sentiment (ou dans le « ton », comme on le dit couramment). Pour la produire, l’orateur doit se placer entre les feuillets ou la mémoire du discours écrit, et le public, et prêter au second le sentiment qu’il a de la « montée intellectuelle » du premier. Comme son frère l’acteur, il est bien dans ce sens l’interprète de la pensée de l’auteur, au détail près qu’il est lui-même l’auteur.
Mais l’orateur ne peut régler seul sa « montée dramatique », au risque de faire un « numéro d’acteur » qui laisserait l’auditoire au bas de la pente. Il a besoin de la calibrer sur la « montée dramatique » qu’il génère par étapes, de groupes de mots en groupes de mots, dans son auditoire. A son affût constant par l’ouïe et par la vue, il est comme le leader d’une équipe de coureurs, qui règle son coup de pédale sur l’effort qu’il sent pouvoir demander à ses équipiers. Il ne lâche pas son auditoire pour finir seul en champion. Il conserve toujours le contact avec lui, pour l’emmener le plus haut possible dans le sentiment, en un minimum de temps.
L’orateur Hollande devant le congrès n’a pas réussi sa « montée dramatique ». Son discours fut monotone. Trop préoccupé à chaque instant par la suite de son discours, il n’a pas été à l’affût, ni par l’ouïe ni par la vue, des premiers sentiments que ses premières phrases ont fait naître dans le public. Il ne s’est donc pas appuyé sur eux, et son discours n’a pas décollé. D’un bout à l’autre, il a gardé le ton de l’énoncé du problème, celui de la « scène d’exposition » au théâtre. Malgré quelques tentatives maladroites de mettre ici ou là de l’emphase sur un mot ou sur un autre, son discours laissera le souvenir d’un catalogue de mesures, certainement pas celui d’une déclaration de guerre. L’émotion n’y était pas.
La préoccupation constante qu’avait le Président de la suite de son discours ne se voyait pas tant dans ses multiples regards sur les feuillets qu’il était bien obligé de lire, que dans ses mains qui n’ont que rarement quitté le pupitre et qui les encadraient, et dans son dos vouté au-dessus d’eux. Il ne s’est redressé et n’a lâché son pupitre pour faire face à l’assemblée, qu’à la fin du discours, pour recevoir les applaudissements. Avant cela, son corps, et par conséquent ses sens, sont restés tournés vers ses notes, non vers son auditoire. Il n’en percevait donc rien.
François Hollande est en général bon orateur dans les contextes tragiques. Nous l’avons souligné dans cette lettre à propos de son discours à la Préfecture de Police de Paris, qui rendait hommage aux quatre policiers morts dans les attentats de janvier. Il fut encore émotionnellement à la hauteur dans sa prise de parole devant le Bataclan, où les attentats de novembre ont fait plus de 80 morts, et presque à la hauteur dans la cour des Invalides pour rendre hommage aux 130 morts. Mais à Versailles, François Hollande était face à toute la représentation nationale, dans un lieu froid et solennel, pour porter le texte d’une déclaration de guerre. La charge était plus lourde. Son corps n’a pas suivi.
Du début à la fin de son discours, un grand orateur tire sa force de son regard sur la foule, de l’écoute de ses silences et de ses clameurs. Elle le tient dressé tout droit, entre terre et ciel. Et il lui rend sa force dans la puissance de sa voix, qui porte la « montée dramatique » de son discours. Certains orateurs politiques ont eu cette envergure. Ils ont été présents aux grands moments de notre histoire. François Hollande n’est pas (encore) à leur niveau.