Ce mercredi 19 novembre 2015 aux aurores, la police, soutenue par l’armée, a investi le centre de Saint-Denis pour déloger des suspects. L’assaut ne s’est terminé qu’en fin de matinée. Visiblement, les explosifs posés en catimini avant cinq heures du matin sur la porte blindée de l’appartement n’ont pas suffi à la défoncer et les occupants ont pu organiser leur défense. Ils semblaient préparer un attentat à Nanterre, aux Quatre Temps et sur la dalle. Ils étaient lourdement armés et manifestement préparés à des assauts de ce genre.
Le bruit des bottes dans les rues
Sans que nous ne nous en rendions compte, le bruit des bottes devient une habitude. Il se répète et choque de moins en moins les oreilles. Plusieurs milliers de coups de feu ont été tirés à Saint-Denis durant la matinée. Les images de ces fusillades, qui commencent à avoir tout de la scène de guérilla à la libanaise, ont circulé sur les réseaux sociaux.
Dans les rues de Paris, même dans l’est parisien, l’atmosphère était pourtant calme, quasi-indifférente. Avec une rapidité étonnante, cette guerre est entrée dans la vie quotidienne comme l’élément hideux d’un paysage auquel on s’accoutume même s’il fait horreur. Personne ne la souhaite, mais tout le monde au fond se disait qu’elle arriverait tôt ou tard.
Scène presque cocasse dans le métro: deux indiens se sont quasiment battus à coup de bouteilles, l’un soutenant, si j’ai bien compris, le terrorisme de Daesh, l’autre le vomissant. Les Parisiens ont vécu l’incident avec une sorte d’indulgence que je ne leur connaissais pas jusqu’ici.
Le bruit des bottes au Parlement
Après la séance de questions, hier, où l’opposition a ferraillé sous les caméras contre le gouvernement, le peuple français a hurlé. Certes, François Hollande ne paraît pas le meilleur jockey pour conduire la jument France à la victoire, mais de là à laver son linge sale sous les yeux du monde! Ces bons vieux Français toujours, quoiqu’ils disent, attachés au protocole et aux usages, n’ont pas aimé et l’ont fait savoir à ces députés remuants.
Ceux-ci reviennent donc à l’entente cordiale et donnent désormais le spectacle faux et hypocrite d’un soutien au gouvernement. Si certains avaient imaginé ou espéré que les événements profitassent à la droite, le doute n’est plus permis. La seule certitude que les Français acquièrent est celle d’une indispensable purge politique pour régénérer la démocratie.
Certains députés l’ont bien compris. Popelin, socialiste de Livry-Gargan, a proposé d’ajouter à l’état d’urgence la possibilité de censurer la presse qui ne relate pas les événements sous l’angle que le gouvernement souhaite. La tentation autoritaire prend forme.
Le bruit des bottes demain
L’amendement Popelin n’est pas passé et l’état d’urgence se limite à des assignations à résidence et des fouilles d’ordinateur en cas de perquisition. Mais on a bien senti l’envie qui pointait, au sein de notre classe politique corrompue et dépassée par les événements, d’utiliser le terrorisme pour faire taire l’opinion publique. Le gouvernement s’y oppose aujourd’hui, mais les premières répétitions de la pièce qui se jouera demain ont eu lieu.
L’anecdote est amusante. Je me suis souvent demandé comment la Révolution de 1789 avait pu dégénérer en un bain de sang. Sous nos yeux, le même film commence. Des députés proposent isolément des mesures dont, implicitement, on sent bien que l’objectif est de conserver le pouvoir en remettant tout le monde au pas, et spécialement ces Français éduqués à qui il ne faut plus en conter. Peu à peu émergera l’idée que cette remise au pas est l’étape indispensable pour conserver les privilèges acquis au bénéfice de la décadence républicaine.
Entre l’aspiration populaire à une autre culture politique et une autre gouvernance, d’un côté, la détermination des élus à conserver leur siège et leur régime coûte-que-coûte, de l’autre, le frottement est inévitable. Nous en voyons les prémisses. Nul ne sait qui gagnera.
Bruit des bottes et bruit des fêtes
Une autre particularité m’a toujours étonné dans la Révolution Française. Il est connu que la vie à Paris, au plus fort de la Terreur, était restée festive et insouciante. En dehors de quelques journées d’émeute, la Révolution n’a concerné qu’un dixième des Parisiens. Le reste était occupé à survivre et à faire la fête.
La même fracture apparaît aujourd’hui. Partout fleurissent des appels à résister en buvant des verres aux terrasses des cafés ou en allant au théâtre. La mort rode et la joie est dans les coeurs. Plus la tragédie gronde, plus les esprits sont légers.
Le bruit des bottes cache l’orage
Les Parisiens ont bien raison de boire des canons tant qu’ils le peuvent. Comme l’actualité est monopolisée par les attentats, le pire ne leur est pas dit. Ainsi, le G20 s’est terminé dimanche sur le constat d’un ralentissement économique général. Aujourd’hui, et contre les conclusions du G20, la Réserve fédérale a quasiment annoncé le relèvement de ses taux en décembre. La nouvelle ne pouvait pas plus mal tomber. Dans un monde en crise, inquiété par le terrorisme, le fait que les Etats-Unis se remettent à rémunérer l’épargne va créer un appel d’air. Les liquidités qui circulent dans le monde vont être magnétiquement attirées vers New-York et Los Angeles.
La décision de la Réserve fédérale devrait assécher les économies mondiales, en tout cas toutes celles qui ont structurellement besoin des capitaux américains pour se développer. Pour l’Europe le coup sera rude à encaisser: les pays qui vivent d’un endettement à bas prix, comme la France, vont passer un sale quart d’heure. Mécaniquement, les taux d’emprunt devraient remonter et le gouvernement se trouvera dans la même position que Louis XVI finançant le corps expéditionnaires en Amérique: des caisses vides, un immense besoin d’argent et personne pour le dépanner.
Je ne parle pas ici de l’industrie financière qui peinera à suivre le mouvement. L’ère des risques systémiques approche.
Le bruit de Diesel
Mais ces nuages sont loin. Plusieurs attentats peuvent être commis d’ici là. Les Français sont pour l’instant occupés par l’immédiat. Ils se sont passionnés aujourd’hui pour la mort du berger malinois Diesel, tué par les terroristes alors qu’il cherchait la présence d’explosifs dans l’immeuble assiégé. Que de probables habitants de Molenbeek tuent un chien de Malines à quelques encablures de la demeure des rois de France, voilà qui ne manque pas de piquant.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog