Atout Francophonie

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Par Jacques Bichot Publié le 27 janvier 2021 à 6h30
Atout Francophonie Natalite Naissance
0,7%Le taux de natalité français a baissé de 0,7% entre 2018 et 2019

Une très intéressante synthèse sur la population francophone, réalisée par Ilyes Zouari, président du Centre d'études et de réflexion sur le monde francophone (CERFM), fournit l'occasion de réfléchir à l'utilisation qui pourrait être faite de ce phénomène massif - la population du monde francophone atteint 524 millions d'habitants, un peu plus que l'Union européenne, nous apprend I. Zouari - pour améliorer un certain nombre de choses, notamment en matière de développement et d'équilibre planétaire.

Etat des lieux

Ilyes Zouari retient comme francophones les pays et régions « dans lesquels la population est en contact quotidien avec la langue française, et où l'on peut donc vivre en français ». Pour des pays tels que la Suisse, la Belgique et le Canada, sont comptabilisés les habitants des régions qui vérifient cette condition - donc par exemple, si j'ai bien compris, le Québec, mais non l'ensemble du Canada. Un territoire est retenu comme francophone si le français, éventuellement avec une « langue locale partenaire », est la langue de l'administration, et de l'enseignement, au moins à partir d'un certain niveau, et la langue dominante pour les médias et les affaires.

Toutes les estimations de la population francophone ne sont pas aussi fortes. Ainsi l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), table plutôt sur 300 millions de francophones, bien qu'avec ses 54 pays membres stricto sensu, auxquels s'ajoutent 7 membres « associés » et 27 « observateurs » elle ratisse assez large. Reste que les deux estimations montrent ceci : la francophonie constitue une fraction de la population mondiale qui est loin d'être négligeable !

Pourquoi il faut jouer cet atout ?

Partager une langue et donc, dans une certaine mesure, une culture, permet de travailler ensemble plus efficacement. L'Hexagone est petit, en comparaison de la planète, et le sera de plus en plus, en ce qui concerne la population, puisque la natalité y est faible : 112 naissances pour 10 000 habitants. Faible, mais il y a pire, surtout en Europe : l'Allemagne est à 94 naissances pour 10 000 personnes, et l'Italie à 70 ! Ce ne sont pas vraiment des pays sur lesquels nous puissions compter pour que, dans un siècle, l'Europe et la culture européenne jouent encore pleinement leur rôle dans le monde.

Tournons-nous maintenant vers les pays francophones du Tiers-monde, et particulièrement de l'Afrique, continent avec lequel la France a des liens très forts. Globalement, on y compte 322 naissances annuelles pour 10 000 habitants, trois fois plus qu'en Europe (qui est à 100), et le double de ce que l'on observe en Asie et en Amérique du Sud (environ 156). Démographiquement, c'est en Afrique, surtout, que se prépare l'avenir de l'humanité. Et il se trouve que c'est également avec ce continent que la France a des relations particulièrement fortes, liées à une francophonie très développée.

Ilyes Zouari nous rappelle - ou nous apprend - que le pays africain francophone le plus peuplé est la République démocratique du Congo, avec 91 millions d'habitants. Viennent ensuite l'Algérie (près de 45 millions d'habitants), le Maroc (près de 37) puis Madagascar (28) et la Côte d'Ivoire (26). Le cas du Congo est symptomatique : il y a un grand nombre d'ethnies, et plusieurs langues africaines (les 4 principales sont le kikongo, le swahili, le lingala et le tshiluba) ; c'est donc le français qui joue le rôle de langue nationale, porteuse d'unité. Sans le français, il n'y aurait pas un pays, mais quatre ou davantage. Cela créée à la France un devoir, ne disons pas d'aide au développement, la formule est connotée paternaliste, mais de coopération, selon l'expression qui a été appliquée aux « coopérants » venus contribuer au développement de ce pays dont le potentiel est fort grand.

Pour rester bref, je ne m'étendrai pas sur les raisons qui plaident en faveur d'une coopération, au plein sens du terme, avec le Congo, l'Algérie, etc. : disons simplement que nous avons top perdu de vue la communauté de destin qui a lié à ces peuples la France et les Français. Notre intérêt à tous est de jouer l'atout francophonie. La métropole, comme on disait à l'époque coloniale, a quelques longueurs d'avance dans les domaines techniques et scientifiques, et ces pays du « Tiers monde » ont la vitalité démographique : réunis, ces deux atouts sont maîtres. Certes, la France ne va pas abandonner l'Europe, mais franchement le grand air africain lui ferait le plus grand bien ! Il ne faut pas nous confiner entre vieux ; parier sur l'Afrique, c'est ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ; c'est aussi parler comme Cambronne à des apparatchiks dont la grande fierté est de définir les caractéristiques permettant d'apposer l'étiquette « poulet fermier » sur le cadavre d'un gallinacé.

Comment jouer cet atout ?

Pour donner à la francophonie une véritable consistance, il faut lui donner une importance au moins égale à celle de la construction européenne, la bureaucratie en moins et l'ouverture d'esprit en plus. Les sottises qui ont jalonné l'histoire de la construction européenne ont vacciné au moins les plus avisés d'entre nous : ne les répétons pas !

La sottise principale fut la bureaucratie, la seconde le recours au modèle parlementaire. Ne transposons pas à la francophonie le goût bruxellois pour l'adoption de normes contraignantes allant de l'affinage des fromages aux mécanismes des ascenseurs. Ne créons pas une assemblée pseudo-législative nécessitant une lourde bureaucratie : c'est l'équivalent de la Commission qui sera utile, pas celui du Parlement européen, qui coûte fort cher sans avoir une grande utilité.

Prévoyons une évolution en direction d'un marché commun de la francophonie, de façon à profiter le plus rapidement possible des avantages que procure cette ouverture des frontières. Prévoyons de travailler à ce qui est nécessaire pour que les échanges soient plus rapides et plus profitables : des institutions monétaires et douanières stables, l'adoption de normes techniques communes et une institution apte à résoudre les différends qui ne manqueront pas de survenir. Et ne cherchons pas à forcer la vapeur : il faut savoir donner du temps au temps, se garder d'avoir une avant-garde très en avant du gros des troupes, ne pas laisser des pays, des régions, des ethnies, regarder la marche en avant sans y participer.

Prévoyons aussi de donner une forte priorité à la formation : elle est la clé numéro un pour le développement de ces pays dont la population ne dispose pas de biens et services parfaitement satisfaisants. Cette formation ne devra pas consister à transposer purement et simplement ce qui se fait en France, mais conserver et perfectionner ce qui existe et donne satisfaction, tout en y ajoutant ce qui est absent et doit être créé.

L'Europe est maintenant une dame d'âge mur. Certes, nous ne préconisons pas que la jeune francophonie africaine lui chipe sa place, mais une saine émulation entre l'ancienne institution et la nouvelle serait salutaire !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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