Les personnes âgées ont en moyenne besoin de davantage de soins médicaux que les jeunes et les personnes « dans la force de l’âge ». Les organismes qui proposent des assurances santé complémentaires le savent bien, et de ce fait elles augmentent les primes demandées à partir d’un certain âge.
Un décret récent vient justement de modifier les plafonds d’augmentation autorisés. Ce décret concerne (en principe) tous les salariés du secteur privé qui prennent leur retraite, puisque l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, et la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi qui en transpose les principales dispositions, ont rendu obligatoire à compter du 1er janvier 2016 une complémentaire santé partiellement financée par l’employeur.
Améliorer la qualité de l’activité normative
Concrètement, les tarifs globaux (part salariale plus part patronale) doivent être maintenus (désormais, à la charge exclusive du retraité) la première année ; leur augmentation est plafonnée à 25 % la seconde année, et à 50 % la troisième. Le décret ne précise pas de limite pour les années suivantes, ce qui amène Mireille Weinberg à écrire dans L’opinion du 30 mars : « à partir de la quatrième année, la mutuelle peut, en théorie, pratiquer la hausse tarifaire de son choix ! »
L’experte poursuit : « La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a mis en place une labellisation des contrats complémentaires santé, avec 3 formules de garanties et, pour chacune, un tarif maximal. Mais les décrets d’application sont toujours attendus. » Cela pose le problème de l’activité législative et réglementaire, qui fait en la matière la preuve de sa mauvaise qualité. Tant que l’État manifestera un tel manque de sérieux dans l’accomplissement de ses tâches normatives, la France en souffrira.
Mais le problème est aussi et surtout un problème de fond. L’assurance maladie de la sécurité sociale est peu financée par les retraités ; ceux-ci sont donc globalement pris en charge par les actifs, qui paient non seulement leurs pensions, mais aussi la plus grosse partie de leur couverture maladie. Le prélèvement sur les actifs en faveur des retraités est donc nettement sous-estimé quand on le mesure uniquement par les pensions de retraite.
Revoir l’architecture de la sécurité sociale
Dans un système correctement organisé, et donc enfin unifié, la cotisation vieillesse financerait non seulement les pensions, mais aussi l’assurance maladie des retraités. Cela pourrait être réalisé au moyen d’un versement global effectué par la caisse nationale vieillesse à la caisse nationale maladie, formule simple et peu dispendieuse quant aux frais de gestion ; il serait également possible, pour conserver le caractère fraternel de l’assurance maladie (« à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités ») de prélever sur chaque pension brute (dans ce cas plus importante qu’actuellement) une cotisation maladie proportionnelle à son montant, dont le taux serait supérieur à celui appliqué aux actifs, puisqu’un retraité coûte à l’assurance maladie, en moyenne, davantage qu’un actif . Quelle que soit la solution retenue, elle aurait l’avantage de mettre en évidence le fait que le véritable transfert effectué des actifs aux retraités ne se limite pas aux pensions.
Pour aller jusqu’au bout de cette démarche clarificatrice, il conviendrait de faire la même opération en ce qui concerne l’assurance dépendance : celle-ci pourrait être gérée par la branche maladie de la sécurité sociale en ce qui concerne les dépenses mais, pour la dépendance provoquée par l’avancement en âge, l’argent devrait provenir des actifs via la branche vieillesse. Le cas des infirmes jeunes et adultes est différent ; il relève de l’assurance invalidité.
Ces réformes systémiques sont nécessaires pour que le droit de la protection sociale soit en phase avec la nature économique des opérations réalisées. Tout ce qui bénéficie aux retraités provient du « report », c’est-à-dire d’un échange entre générations successives : la génération A investit dans la génération B, qui lui verse ultérieurement les dividendes de son investissement non seulement sous forme de pensions, mais aussi de prise en charge de son assurance maladie.
Nous ne pourrons pas introduire la protection sociale dans l’économie d’échange, ce qui est indispensable pour qu’elle ne soit pas un fardeau freinant l’activité économique et l’emploi, sans procéder à des remises en ordre telles que celles qui viennent d’être évoquées. Or le principe actif de ces réformes est une conceptualisation économiquement exacte des opérations réalisées dans le cadre de la sécurité sociale : investissement et retour sur investissement d’une part ; assurance d’autre part. Tant que notre superstructure normative et organisationnelle sera en porte-à-faux par rapport à la réalité économique, parce que les pouvoirs publics agissent sans savoir quelle est la nature économique de ce dont ils définissent les règles, et en appliquant bêtement un modèle fiscal ou parafiscal, notre pays végétera – et cela vaut aussi pour bien d’autres.