Comment rationaliser les assurances sociales ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 23 mars 2023 à 9h53
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@shutter - © Economie Matin
39,7 MILLIARDS €En 2020, le déficit de la Sécurité sociale a été de 39,7 milliards d'euros.

Il y a bien longtemps que je déplore et dénonce le gaspillage de ressources provoqué par la superposition désordonnée de l’assurance maladie de la Sécu et des complémentaires santé. Il ne faut pas se résigner à souscrire à des « complémentaires » dont les frais de gestion représentent grosso modo le tiers de la partie des frais médicaux qu’elles remboursent aux malades !

D’autant que procéder de façon bien moins dispendieuse et bien plus rationnelle ne serait pas difficile – exception faite, bien évidemment, de la résistance qu’opposeront certains des organismes habitués à fonctionner avec des frais prohibitifs. Les gains de productivité se traduisent par une diminution des effectifs, et la gestion de telles réductions peut être délicate à gérer.

Laisser les complémentaires remplacer la Sécu pour une partie de ses tâches

La solution que je propose s’inspire de la couverture santé dont bénéficient bon nombre de fonctionnaires. Personnellement, comme universitaire, j’ai toujours eu affaire à la mutuelle de l’Education nationale, la MGEN, qui gère la couverture de base (Sécu) en même temps que la couverture complémentaire. Pour l’assuré, inutile de faire un dossier pour la Sécu et un autre pour la complémentaire : celle-ci gère la totalité de la prise en charge de l’assuré social et mutualiste ; elle se retourne vers l’assurance maladie de la Sécu pour obtenir l’argent correspondant à la seule couverture Sécu. Pour l’assuré social, c’est pratique : un seul interlocuteur, des remboursements deux fois moins nombreux pour un total identique. Et pour les frais de gestion, ceux de la Sécu sont minorés sans que ceux de la MGEN augmentent dans les mêmes proportions.

Cette façon de procéder pourrait facilement se généraliser. Le travail effectué par la complémentaire santé, actuellement, s’ajoute à celui de la Sécu ; dans le système dont j’ai donné un exemple, il s’y substitue en grande partie. Autrement dit, la Complémentaire voit ses frais de gestion augmenter légèrement, mais la Sécu voit les siens diminuer fortement : globalement, le gaspillage diminue, rendant possible une diminution de la « perte en ligne » inhérente au fonctionnement de complémentaires santé dont l’activité n’est pas synchronisée avec celle de la Sécu.

Les différentes couvertures sociales devraient être révisées de fond en comble

La couverture maladie n’est pas l’alpha et l’oméga de la protection sociale : il y a les accidents du travail, et surtout l’assurance vieillesse. La division entre pension de la Sécu et pension(s) complémentaire(s) engendre elle aussi des complications et le gaspillage qui en résulte s’éleve à des milliards d’euros. Les complémentaires ARRCO et AGIRC l’ont bien compris : elles ont engagé une opération de rapprochement, sinon de fusion, qui diminue les frais de gestion et simplifie la vie des assurés sociaux. Mais l’ARRCO-AGIRC ne couvre que les salariés, et encore seulement ceux du secteur privé : ne serait-il pas temps de se demander s’il est toujours justifié de maintenir un statut de la fonction publique incluant une retraite spécifique ? Pourra-t-on sérieusement proposer aux salariés du privé une réforme de leur système de pension abolissant la distinction entre retraite de base et retraite complémentaire si les fonctionnaires, qui échappent par bonheur à cette division ridicule et dispendieuse, restent dans leur coin ?

N’oublions pas que les retraites ne sont pas, économiquement, un salaire ou traitement différé, mais un retour sur l’investissement réalisé dans la jeunesse. Pas plus pour les fonctionnaires que pour les salariés du privé ou les travailleurs indépendants, la retraite ne se prépare réellement en cotisant pour les aînés ! Rappelons une fois de plus le théorème de Sauvy : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Dès que l’on a compris cela, il convient d’en tirer les conséquences : absurdité de régimes de retraite dans lesquels on acquiert des droits en cotisant pour verser en « pay-as-you-go » les pensions de nos anciens. Absurdité de régimes catégoriels, comme on le voit pour le régime des agriculteurs, population où le nombre des actifs a diminué comme peau de chagrin, devenant complétement insuffisant pour payer les retraites de ses adhérents âgés.

Le droit social, et en particulier le droit de la protection sociale, est une construction juridique bâtie sur des conceptions économiques fantaisistes. Si nous ne nous attelons pas sérieusement à le réformer, notre avenir ne s’annonce pas radieux. En revanche, si elle opte pour une législation sociale réaliste en remplacement des contes de fées qui nous tiennent lieu de droit de la sécurité sociale, la France rendra au monde, et de rendra à elle-même, un immense service.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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