L’art du gaspillage

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Par Jacques Bichot Publié le 26 janvier 2021 à 6h30
Art Gaspillage Sante Petrole
@shutter - © Economie Matin
30%30% des cotisations de mutuelle santé est gaspillée.

Jadis les mères de famille ne mettaient pas à la poubelle les restes des repas ; elles apprenaient à leurs enfants à ne pas gâcher la nourriture, non plus que tout ce qui pouvait être utile un jour. Avec humour, nous disions, gamins, que maman avait même une boite étiquetée « petits bouts de ficelle ne pouvant servir à rien » ! Aujourd'hui, l'excès a changé de sens : en de nombreuses occurrences, nous ne cherchons plus à économiser, à éviter les gaspillages, mais au contraire nous nous organisons (souvent sans nous en rendre compte) de manière très efficace pour les maximiser. Administrations, entreprises et particuliers coopèrent merveilleusement dans ce domaine.

Fessenheim et le pétrole de l'Alberta

Quelques Français se souviennent certainement d'une des premières décisions de leur actuel Président : la fermeture d'une centrale nucléaire qui, d'après ce que l'on en sait, était parfaitement en état de fournir de bons et loyaux services durant encore de nombreuses années. L'arrêt de Fessenheim fut une décision politicienne, un « geste » en direction des écolos anti-nucléaires, au détriment de la santé financière d'EDF et, par ricochet, de la France.

Emmanuel Macron doit être ravi de voir le nouveau président américain inaugurer son mandat en prenant une décision analogue : l'abandon pour une raison soi-disant écologique d'un projet d'oléoduc capable d'amener le pétrole Canadien, et plus précisément de l'Alberta, jusqu'au sud des Etats-Unis. Bien entendu, les Américains ayant besoin de ce pétrole, ils l'importeront, mais le transport se fera de manière bien plus coûteuse et nocive pour l'environnement, par camions et voie ferrée. Autant le souci écologique est louable, autant l'idéologie écolo est nocive, pour l'environnement comme pour l'économie.

Comment nous augmentons inutilement le prix de l'assurance santé

Dans le Figaro du 22 janvier, Marie-Cécile Renault annonce que les mutuelles santé, sur 100 euros de cotisations, n'en utilisent que 69,4 pour rembourser les assurés : un gros 30 % de leurs cotisations est pour partie gaspillé en frais de gestion, inutiles puisque la sécurité sociale pourrait faire le travail sans augmentation de ses frais de fonctionnement. Mais ces cotisations sont soumises à une taxe : c'est peut-être ce qui explique pourquoi les pouvoirs publics acceptent cette duplication ridicule des procédures, et donc des frais, d'assurance santé.

Quel besoin avons-nous de scinder la prise en charge des frais médicaux en deux parties qui se cumulent ? La Sécu pourrait fort bien porter ses prises en charge au niveau atteint aujourd'hui par la superposition de deux assurances. Les avantages seraient considérables : primo, les frais de gestion baisseraient sensiblement - ils seraient divisés par un coefficient, certes inférieur à 2, mais de peu. Secundo, les assurés n'auraient qu'une seule démarche à accomplir au lieu de deux comme c'est le cas lorsque la complémentaire n'est pas en cheville avec la sécu. Le taux des cotisations maladie (Sécu plus complémentaire) pourrait légèrement diminuer, et des milliers de personnes seraient rendues disponibles pour réaliser une production supplémentaire - par exemple développer une politique de prévention et de maintien ou remise en forme.

Certes, ce genre de réforme présente une difficulté : réaliser des reconversions professionnelles. Mais c'est quelque chose que nous faisons sans cesse : dans le secteur privé, des entreprises diminuent leur activité, voie même disparaissent, tandis que d'autres se créent et grandissent. Regardons la révolution agricole qui s'est produite au XXème siècle : certes, des millions d'emplois ont disparu dans ce secteur, mais parallèlement des millions d'autres emplois, d'abord industriels, puis ensuite tertiaires, ont été créés. Les services n'auraient jamais pu se développer comme ils l'ont fait si de formidables gains de productivité n'avaient pas été réalisés dans l'agriculture, puis dans l'industrie.

Manie de la complication : il faut en sortir !

La France a une sorte de préférence pour la duplication, particulièrement dans le domaine des pouvoirs publics. La plupart des Français relèvent d'au moins deux caisses de retraite par répartition - la moyenne est proche de trois. Cela multiplie les frais de gestion par un coefficient sensiblement égal au nombre de caisses auxquelles, en moyenne, ils sont affiliés. L'unification du système de retraites, comportant notamment la fusion de la CNAVTS et de l'AGIRC-ARRCO, diviserait les coûts de gestion par 2, ou pas loin. Ces frais s'élevant aux environs de 6 Md€, cela veut dire que le gaspillage actuel représente près de 3 Md€ par an. Le supprimer permettrait d'augmenter d'autant les pensions, ou de diminuer le déficit.

La Cour des comptes dénonce régulièrement le maintient de petits impôts qui ne rapportent guère plus que ce que coûte leur calcul et leur prélèvement, si l'on additionne (comme il se doit) les frais de l'administration et ceux des contribuables. Pourquoi ne fait-on pas le ménage parmi les taxes, en supprimant toutes celles dont la gestion est trop onéreuse ?

La pandémie actuelle a fourni l'occasion de voir combien nos hôpitaux, alourdis par la tutelle administrative qui pèse sur leur organisation et leur gestion, conçues pour exiger un maximum de personnel en sus des soignants, ont besoin de souplesse. Hôpital, ce qu'on ne vous a jamais dit, cri du cœur et du bon sens d'un médecin hospitalier, le professeur Peyromaure, est un témoignage poignant. En matière fiscale, Impôts, le grand désordre, analyse réalisée par mes collègues Levy-Garboua et Maareck, montre combien sont nocives la complexité et l'instabilité de notre système fiscal - sans compter la lourdeur du prélèvement global, excessif au vu des réalisations. Il est temps d'en prendre conscience, et d'améliorer la gestion de notre pays.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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