Pas mal de monde semble croire que l’argent se crée comme par magie – y compris parmi les plus hautes autorités politiques et monétaires mondiales…
La semaine dernière, alors que tous les yeux étaient rivés sur le spectacle de l’impeachment, les autorités américaines ont augmenté la dette américaine de 20 Mds$ environ.
Qui paiera ? Quand ? Comment ? Personne n’a posé la question.
Durant les élections britanniques de 2017, Theresa May a déclaré qu’il n’existe pas « d’arbre magique » sur lequel pousse de l’argent. Mais tant la Réserve fédérale que le gouvernement américain sont en train de secouer quelque chose…
Le président des Etats-Unis est d’avis qu’ils devraient secouer encore plus fort. Il veut cet argent.
Problèmes au démarrage
Nous étions à New York en début de semaine dernière. Il faudrait bien un « arbre magique » dans l’Upper East Side. Chaque note ou addition était un choc. Une chambre d’hôtel modeste pour deux nuits – 1 400 $. Petit-déjeuner pour deux – 69 $. Dix minutes de taxi – 29 $.
Quant au week-end, nous l’avons passé dans la ferme familiale, à couper du bois. Nous avons trois vieilles tronçonneuses. Il en faut trois car deux d’entre elles ne fonctionnent généralement pas. Soit la chaîne rencontre un caillou, soit l’engin ne démarre simplement pas.
Les problèmes se multiplient lorsqu’on est absent pendant de longues périodes : au retour, on trouve des batteries à plat, des lames émoussées et des outils manquants.
Notre vieux pick-up Chevrolet 1952 ne voulait pas démarrer non plus. Nous avons chargé la batterie et appuyé sur le démarreur… mais le moteur ne s’est pas enclenché.
L’un des avantages de ces vieilles machines, c’est qu’on peut les bricoler. La camionnette était restée longtemps sur place, l’avant plus élevé que l’arrière ; l’essence avait probablement coulé vers l’arrière, laissant les circuits à sec. Nous allons retourner le véhicule, pour que le carburant puisse couler vers le moteur. Nous vous dirons si cela fonctionne…
Avidité extrême
A mesure que la technologie avance, elle dépasse de plus en plus de notre champ de compétence. Nous pouvons démonter un carburateur et le réparer, généralement. En revanche, nous n’avons pas la moindre idée de quoi faire avec un allumage électrique.
De toute évidence, la technologie moderne fonctionne, cependant, même si nous ne savons pas comment. Nous sommes donc tenté de penser que l’économie moderne fonctionne elle aussi, peut-être.
Et peut-être – peut-être ! – qu’il existe vraiment un arbre magique.
En tout cas, quelque chose fait grimper les actions. Malgré une lutte acharnée à Washington pour s’emparer du contrôle du gouvernement, une guerre commerciale avec la Chine et des signes croissants de récession économique imminente… les prix des entreprises de capitaux américaines augmentent.
A quoi est-ce dû ?
L’économiste Richard Duncan en dit plus. Là encore, c’est l’arbre magique :
« Le 17 septembre, les taux au jour le jour du marché des repo ont grimpé à 10%, quatre fois plus élevé qu’ils auraient dû l’être.
[…] La Fed a réagi en injectant d’urgence de l’argent dans les marchés financiers au moyen d’une série d’accords de rachats [repo] et en annonçant qu’elle recommencerait à acheter des actifs gouvernementaux, initialement au rythme de 30 Mds$ par mois. Au 6 novembre, la Fed avait créé 280 Mds$. Ce nouvel argent a restauré le calme sur le marché des repo et entraîné tous les grands indices boursiers américains à de nouveaux sommets record. »
CNN donne plus de détails :
« ‘Faut-il considérer cela comme un QE4 ou non, aux yeux du marché, ce n’est qu’une question sémantique’, écrivait Peter Boockvar, directeur de l’investissement chez Bleakley Advisory Group, dans une note récente à ses clients. ‘Les marchés considèrent toute augmentation de la taille du bilan de la Fed comme un QE [assouplissement quantitatif], et l’augmentation de 250 Mds$ en deux mois seulement contribue sans le moindre doute à l’augmentation du prix des actions.’
Le Dow a grimpé d’environ 1 300 points, ou 5%, depuis que la Fed a annoncé, le 11 octobre, qu’elle commencerait à acheter des T-Bills. Le Fear&Greed Index, l’indice du sentiment de marché de CNN Business, a récemment atteint le niveau ‘avidité extrême’. »
Folie moderne
Est-ce possible ? Oui, tout à fait. Il se passe quelque chose. Quelque chose de pas si génial.
David Graeber, dans la New York Review of Books, nous offre son point de vue :
« Nous vivons dans un univers économique différent d’avant le krach. La chute du chômage ne fait plus grimper les salaires. Imprimer de l’argent ne cause pas d’inflation. Il y a plein d’arbres magiques en Grande-Bretagne, comme dans toute économie développée. On les appelle des ‘banques’.
Comme la monnaie moderne n’est rien d’autre que du crédit, les banques peuvent créer – et le font – de la monnaie à partir de rien, simplement en contractant/produisant des prêts. La quasi-totalité de la monnaie qui circule en ce moment en Grande-Bretagne est créée de la sorte.
Non seulement le public n’est majoritairement pas au courant de cela, mais un récent sondage du groupe de recherches britannique Positive Money a révélé que pas moins de 85% des membres du Parlement [britannique] n’ont pas la moindre idée d’où provient réellement l’argent (ils semblaient penser pour la plupart qu’il était produit par la Royal Mint [équivalent britannique de la Monnaie de Paris en France]. »
Il y a peut-être plus étonnant encore : le fait que David Graeber n’a lui non plus pas la moindre idée d’où vient l’argent. Après tout, c’est l’auteur de Dette, 5 000 ans d’histoire, dont nous avons déjà parlé.
Cette folie est largement partagée. Tout le monde y croit… même le président des Etats-Unis.
Tout le monde pense que « l’argent » est une chose que les autorités ou les banques peuvent « créer ». Et que nous nous porterions tous mieux s’ils en créaient plus.
Mais est-ce vrai ? Existe-t-il vraiment un arbre magique produisant de l’argent ? Famille : arbres. Genre : pognon. Espèce : magique.
Restez à l’écoute… demain, nous faisons chauffer la tronçonneuse.
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