Arbitrage international : de quoi fusiller la politique mondiale sur le climat 2/2

Par Bertrand de Kermel Publié le 3 décembre 2018 à 6h23
Arbitre
@shutter - © Economie Matin

Ne souriez pas avec condescendance sur le titre. Lisez plutôt.

Le 19 septembre 2018, Euractiv titrait : « Le Medef européen prépare le sabotage des objectifs climatiques européens ». Oups ! Si cette information d’Euractiv est bien exacte, elle est dramatique.

Comment diable Business Europe (le fameux Medef européen) pourrait-il mener à bien une telle stratégie ? Nul ne le sait, mais le scénario suivant (effarant et relevant à priori de la science-fiction) n’est pas hors de portée. Il suffit juste d’utiliser les 3.000 accords d’arbitrage « investisseurs/Etats » actuellement en vigueur sur la planète.

Des systèmes d’arbitrage conçus contre les peuples

Ces systèmes d’arbitrage sont des tribunaux privés et opaques, qui ont le droit de s’affranchir des droits nationaux et de faire condamner un Etat (donc ses contribuables) à des amendes énormes au profit des investisseurs étrangers mécontents d’une mesure d'intérêt général prise par cet Etat dans lequel ils auraient investi. Pas de procédure d'appel. Pas d'outil réel de lutte contre la corruption des arbitres.

Ils sont injustes. En cas de préjudice avéré, les entreprises nationales doivent s’adresser aux tribunaux nationaux, mais leurs concurrents, entreprises étrangères, ont le droit de s’adresser à cet arbitrage totalement incontrôlé. C’est totalement indéfendable aujourd’hui dans une démocratie comme la France surtout que tout le monde abuse. Pourquoi ?

Quelques exemples édifiants…

C’est ainsi que l’entreprise française Véolia a envoyé en 2012 une notification d’arbitrage à l’Egypte, lui reprochant d’avoir augmenté le salaire minimum en vigueur ! Bonjour la souveraineté des peuples et la politique sociale.

En 2010, Philip Morris avait saisi l’arbitrage contre l'Uruguay et l'Australie (demande de 2 milliards de dollars) en raison de lois anti-tabac. Oups !

De son côté, Le Figaro du 15 octobre 2014 nous apprenait que : « Vattenfall réclame 4,7 mds EUR à l’Allemagne », qui souhaitait sortir du nucléaire, après le drame de Fukushima.

Chez nous, la « Loi Hulot » était détricotée en 2017 sur pressions de la société canadienne Vermilion. Au lieu de mettre un terme définitif à l’exploitation des hydrocarbures au terme des 62 concessions actuelles, comme prévu, cette loi leur accorde un sursis jusqu’en 2040… voire au-delà, si leurs titulaires arrivent à prouver qu’ils n’ont pas rentabilisé leurs investissements initiaux.

Vermilion s’est contentée de brandir la menace d’une procédure en arbitrage international pour décourager le gouvernement de poursuivre sa politique. Le gouvernement s’est soumis à la multinationale. Tant pis pour le cap.

Ce système d’arbitrage confère dans les fait un droit de veto aux investisseurs étrangers. Les peuples doivent s’y soumettre ou payer le prix fort. Ca fait un peu gauchiste de le dire, mais oui, l’argent tient les peuples et leurs élus en respect.

Il faut aussi citer les « fonds vautour » (voir leur définition sur internet) qui se sont spécialisés dans le rachat à bas prix des créances d’Etats, attendent que ceux-ci soient en difficultés, refusent les moratoires ou abandons partiels acceptés par tous les autres créanciers, et exigent le paiement de leurs créances, faisant un bénéfice faramineux sur le dos des peuples ruinés dans ces pays, grâce à ces systèmes d’arbitrage.

Que des familles entières dont des enfants soient ainsi mis à la rue par des prédateurs sans scrupules ne pose aucun problème à personne.

Que peut-il se passer pour le climat ?

Pour revenir au climat, et à l’information d’Euractiv, voici ce qui peut se passer :

- Une entreprise allemande ayant investi en France pourra réclamer des sommes faramineuses à l’Etat français, si une mesure sur le climat ne lui plait pas.

- En même temps, une entreprise française fera la même chose en Allemagne.

- Le tout pourrait être coordonné par... une instance à définir

- Tout cela pourra se produire dans tous les pays du monde. Cela coûtera des centaines de millions (voire des milliards) d’euros d’amendes dans chacun des pays (les contribuables paieront) plus des frais d’avocat qui dépassent l’imagination. Le climat deviendrait une sorte de centre de profits.

Il existe des centaines d’autres exemples d’abus. Qu’on en juge !

Dans le bulletin du Commerce Extérieur de l’Union Européenne du 4 avril 2014 , on pouvait lire sous la plume du Commissaire Karel De Guth, en charge du commerce extérieur à l’époque, bien connu pour son ultra libéralisme :

« Je partage totalement les nombreuses critiques selon lesquelles les procédures de règlement des différends entre investisseurs et États n'ont débouché jusqu'à présent que sur des exemples très inquiétants de litiges contre les États ». Oups ! Si même Karel De Guth le reconnaissait en 2014 …. !

Non seulement la politique européenne sur le climat ne marchera pas tant que le transport de marchandises ne sera pas neutre en matière de gaz à effets de serre, mais il faut s’attendre à ce que les citoyens européens aient à payer 10 fois ou 100 fois le coût de leurs politiques nationales sur le climat, via des amendes réclamées par les multinationales par l’arbitrage international.

Conclusion : soit on remet en cause immédiatementces systèmes d’arbitrage internationaux qui sont d’un autre âge, et sont la négation de la souveraineté des peuples, soit on continue le laisser faire actuel, et il nous conduira tout droit à une vraie révolution.

La suppression sera très difficile à obtenir, car les lobbys ont tout verrouillé... Chacun se souvient du gouvernement Wallon qui, début 2017, ne voulait pas signer le CETA, notamment à cause du chapitre relatif au système d’arbitrage « investisseur/Etat ».

Ce gouvernement a été traîné dans la boue par la Commission Européenne, le Parlement européen, et les 28 Etats. Nul n’avait de mots assez durs pour ce gouvernement qui ne comprenait décidément rien à rien.

Hélas, personne n’avait eu la curiosité de lire le texte du CETA, et notamment son article 30.9, qui prévoyait qu’au cas où le CETA serait dénoncé », le systèmed’arbitrage « investisseurs/Etats », lui, continuerait à s’appliquer encore pendant 20 ans après l’extinction de l’accord.

De quoi fusiller toute la politique mondiale sur le climat.

Conclusion : soit on remet en cause immédiatement ces systèmes d’arbitrage internationaux qui sont d’un autre âge, et sont la négation de la souveraineté des peuples, soit on continue le laisser faire actuel, et il nous conduira tout droit à une vraie révolution que personne ne contrôlera.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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