Apple et le gouvernement profond en guerre contre les nations

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Par Eric Verhaeghe Publié le 1 septembre 2016 à 11h19
Apple Optimisation Fiscale Redressement Commission Europeenne Irlande
cc/pixabay - © Economie Matin
0,005%La Commission Européenne accuse Apple de n'avoir payé que 0,005 % d'impôt sur les sociétés en 2014 en Irlande

L’affaire Apple – c’est-à-dire celle d’un modèle industriel transnational fondé sur l’évasion fiscale, en dit brutalement très long sur les véritables clivage structurants de l’Occident contemporain. Au-delà de l’anecdote, ce billet propose donc un décryptage du lien structurel entre la géopolitique de l’Occident et l’émergence de son nouveau modèle économique.

Apple et l’émergence des sociétés transnationales

D’Apple, on ne dira pas qu’il s’agit d’une société multinationale, mais bien d’une société transnationale. En effet, comme l’a montré l’enquête de l’ancien sénateur démocrate Carl Levin, Apple, comme bien d’autres, fonctionne à partir d’une cascade de sièges fantômes dont l’objectif est de permettre une optimisation fiscale, expression pudique qui cache l’évitement fiscal complet. Apple n’est donc pas une entreprise multinationale, mais une entreprise qui est sortie du cercle des nations et ne participe pas à l’effort de financement des dépenses publiques grâce auxquelles elle peut dégager des profits.

Apple et l’Europe

Grâce à l’enquête de Carl Levin, la Commission Européenne a pu mener sa propre enquête (ouverte en avril 2014) sur les pratiques fiscales d’Apple. La Commission sait désormais que le montage d’Apple en Irlande a permis au géant transnational de limiter son taux d’imposition à 0,005% en 2014, après avoir payé 1% seulement d’impôt sur ses bénéfices en 2013. Ces taux, qui laisseront rêveurs plus d’un entrepreneur, expliquent le “redressement” dont Apple fait l’objet aujourd’hui. Le montage est décrit ci-dessous par la Commission:

Apple

Apple et les tax rulings

Pour parvenir à échapper à peu près complètement à l’impôt sur les bénéfices, Apple bénéficie d’un système dit de tax ruling, c’est-à-dire de dérogations fiscales dont la validité juridique, notamment au vu du droit communautaire, est au coeur de l’enquête. En demandant le remboursement de 13 milliards d’euros (Apple détiendrait 181 milliards hors des USA), la Commission glisse donc l’idée que le processus fiscal mis en oeuvre en Irlande n’est pas conforme au droit de l’Union.

Le tax ruling en Europe

L’Irlande n’est évidemment pas le seul Etat à pratiquer ce système, qui consiste à baisser artificiellement ses taux d’imposition pour attirer les sièges sociaux des transnationales. Jean-Claude Juncker, qui porte le fer contre le dumping fiscal en Europe, a lui-même été l’artisan d’un système qui a permis au Luxembourg d’accueillir énormément de sièges fantômes, et qui avait fait l’objet d’une campagne de presse peu de temps après son accession à la présidence de la Commission. Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ont également mis en place, sur certains segments comme l’innovation ou la recherche et développement, une fiscalité concurrentielle.

Comprendre le tax ruling

Le tax ruling donne un bon exemple de la logique de passager clandestin dans un ensemble multilatéral qui devrait être porté par un esprit de coopération. En principe, tous les membres d’un ensemble multilatéral comme l’Union Européenne devraient coordonner leurs pratiques pour ne pas se livrer de concurrence déloyale et pour favoriser la réussite collective (ce qui n’exclut pas une division continentale du travail). L’exemple d’Apple et de l’Irlande montre que certains préfèrent tirer le meilleur profit du système collectif en minimisant leurs coûts de coordination et de participation. Le tax ruling constitue l’un des formes de cette logique de passager clandestin qui pousse certains à optimiser leur profit individuel au détriment du profit collectif.

Les enquêtes de la Commission en cours

Plusieurs enquêtes sont en cours pour “débusquer” les passagers clandestins. Si Apple est le cas le plus emblématique, on notera qu’au Luxembourg, la Commission demande un redressement de 20 à 30 millions d’euros contre Fiat. En Belgique, la Commission estime que 35 entreprises transnationales (dont BASF, Proximus, BP) doivent 700 millions d’euros. Aux Pays-Bas, Starbuck est également sous le coup d’une enquête.

Que cache l’idéologie européiste?

Rétrospectivement, et au vu des éléments ci-dessus, on comprend mieux pourquoi l’Union Européenne est devenue une sorte de croyance fétichiste pour le gouvernement profond. Au-delà du bla-bla sur l’Europe qui garantit la paix et la prospérité, il apparaît de plus en plus clairement que l’édifice communautaire a d’abord permis, par sa porosité et sa capacité à fabriquer des passagers clandestins, à exonérer des profits colossaux de tout impôt digne de ce nom. Derrière les hymnes à la joie candides, c’est donc à une entreprise de prédation et de fraude massive que les membres du gouvernement profond font allusion lorsqu’ils vantent les mérites de l’Europe.

1991, année de la mort de l’Europe

La construction communautaire a-t-elle toujours été le faux nez de cette entreprise de passagers clandestins? Probablement pas, et une étude précise permettrait sans doute de dater historiquement le moment où l’idéal du traité de Rome s’est transformé en grande blanchisserie pour fraudeur fiscal. Dans le cas de l’Irlande, le tax ruling date de 1991. Dans le cas du Luxembourg, la pratique daterait du début des années 2000. C’est donc dans la décennie 90, celle du traité de Maastricht et celle de l’affirmation prussienne, que l’Europe a fait sa mue officielle pour devenir un nid à passagers clandestins.

Entreprises transnationales et institutions multilatérales

On notera avec intérêt qu’Apple, comme d’autres, ont choisi l’Europe comme pivot de leurs forfaits. Pendant ce temps, le fisc américain a officiellement renoncé à récupérer les sommes que l’entreprise transnationale aurait pu payer sur son sol. Ce système en dit long sur la mécanique qui se met en oeuvre dans une sorte de division internationale, voire mondiale, de la fiscalité. Aux Etats-Unis la fonction de portage salarial, qui permet d’attirer sur le sol américain une masse d’ingénieurs capables de produire de l’innovation disruptive. A l’Europe la fonction d’intermédiaire fiscal vers les paradis des Caraïbes.

Structurellement, l’institution multilatérale est donc devenue la meilleure amie de la transnationalisation des entreprises.

Réinventer un projet européen

De cette première analyse succincte, nous pouvons mieux comprendre aujourd’hui l’engouement des élites européennes pour le projet communautaire, et leur obsession à l’imposer malgré les referendums populaires qui l’ont condamné. L’enjeu de l’Union européenne est d’organiser une grande plate-forme qui permet les échanges dans un marché de 500 millions de consommateurs dominée par l’Allemagne, pendant que les trous dans la raquette réglementaire permettent aux grandes entreprises transnationales d’assurer leur développement sans contribuer à la prospérité collective.

On comprend mieux l’angoisse du gouvernement profond après le Brexit.

Pour réparer l’image déchirée de l’Union, quel est le projet désormais en vigueur? parce qu’après tout la bonne vieille nation reste le meilleur rempart contre la paupérisation inéluctable dont la transnationalisation des entreprises est la cause structurelle.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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