Comment la dette des pays pauvres peut-elle être annulée ?

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Par BSI-Economics Modifié le 10 mars 2013 à 11h09

Tandis que les programmes de restructuration de la dette grecque envahissent la une des quotidiens économiques et ne cessent d’alimenter les débats depuis plus d’un an, ceux relatifs aux pays à faibles revenus (PFR), certes moins importants en termes de volumes mais tout aussi déterminants pour les pays concernés, se déroulent loin de toute agitation médiatique. L’exemple le plus récent date du mois dernier. Le 20 Décembre 2012, le FMI et la Banque Mondiale annonçaient que l’Union des Comores avait pleinement satisfait les programmes d’ajustements structurels qui lui avaient été imposés et que par conséquent l’archipel africain recevrait une réduction de sa dette extérieure de 176 millions de dollars, soit 59 % de sa dette externe totale (ou encore 28 % de son produit intérieur brut). Cette réduction de dette s’est déroulée au sein du cadre des programmes d’annulation de dette pour les pays pauvres très endettés (PPTE) et également via l’initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM), tout deux soutenus par les institutions de Bretton-Woods.

Dans le but de sensibiliser l’opinion publique aux problèmes d’endettement rencontrés par les PFR, il nous semblait donc nécessaire d’utiliser cet événement récent pour exposer dans un premier temps ces deux programmes qui représentent aujourd’hui un levier majeur des politiques de financement du développement. Cependant, les plus sceptiques seront sans doute moins élogieux quant à l’efficacité de ces initiatives. C’est pourquoi nous tenterons dans un deuxième temps de répondre à la question centrale que soulèvent ces programmes : Représentent-ils un simple cadeau (ou plus concrètement« un coup dans l’eau ») de la part de la communauté internationale envers les PFR ou peuvent-ils, au contraire, être considérés comme un réel outil de développement ?

Que sont les initiatives dites «  Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) » et « Allégement de la Dette Multilatérale (IADM) » ?

Les initiatives PPTE et IADM sont le fruit du regroupement de quatre grandes institutions financières internationales[1] (Le FMI, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et la Banque Interaméricaine de Développement) et ont été lancées respectivement en 1996[2] et 2005. De façon extrêmement synthétique, ces programmes visent principalement à annuler une partie de la dette extérieure des pays à faibles revenus dans le but de rendre cette dernière soutenable et éviter ainsi une monopolisation des ressources domestiques par le remboursement du service de la dette.

Le processus d’application de ces initiatives peut être décomposé en trois étapes:

- une fois qu’un pays est déclaré éligible à l’initiative de réduction de dette (c.à.d. qu’il satisfait les critères nécessaires pour entrer dans le programme[3]), les IFIs lui octroient une annulation de dette conditionnelle à la mise en place de programmes d’ajustement structurel (PRSP et PRGF[4]) visant à restaurer la stabilité macroéconomique du pays, à modérer son processus d’endettement et à promouvoir les dépenses dites « poverty-reducing » (littéralement « réductrices de pauvreté »).

- suite à la mise en place du processus de stabilisation économique, le pays bénéficiaire reçoit de nouveau une réduction conditionnelle de sa dette, portant cette fois sur des montants plus importants. Puis les IFIs continuent de soigneusement contrôler l’application des politiques de développement et la convergence vers les objectifs cibles. Cette période intérimaire d’application de réformes dure généralement entre trois et cinq ans.

- dés lors que les IFIs jugent que les politiques économiques menées sont satisfaisantes et que les objectifs cibles sont atteints, elles annulent de façon définitive et irréversible le montant de la dette extérieure sur lequel elles et le pays débiteur s’étaient préalablement mis d’accord. Cette étape finale également appelée « Point d’Achèvement » sonne la fin du programme de réduction de dette et est assortie depuis 2005 de l’annulation totale de la dette multilatérale restante.

Aujourd’hui, sur la quarantaine de pays ayant participé à ces initiatives (39 exactement, dont 33 d’Afrique Sub-saharienne), 35 ont dépassé le point d’achèvement, un seul est en phase intérimaire et 3 sont avant le point de décision (Cf. Tableau en fin d’article).

Source : Club de Paris, FMI, BS-i.

L’Annulation de Dette: Coup Dans L’Eau ou Soutien au Développement ?

Les programmes PPTE et IADM sont donc devenus incontournables dans le domaine du financement du développement. Cependant les bénéfices en découlant sont encore loin d’être totalement identifiés.

Les fondements de ces initiatives reposent sur une théorie centrale de la macroéconomie du développement introduite par Krugman et Sachs dans les années 80 et généralement connue sous le nom de « Debt Overhang ». D’après cette théorie un pays en situation d’endettement excessif aurait tout intérêt à ne pas rembourser sa dette. Sachant cela, le pays créditeur aurait quant à lui tout intérêt à lui accorder une annulation d’une partie de sa dette s’il veut espèrer recevoir quelque chose de la part du pays débiteur. En plus de ce jeux de négotiation visant à réduire les pertes potentielles des prêteurs, la théorie de la « Debt Overhang » s’accompagne d’effets dit de fardeau, induits par une dette insoutenable et communément appelés « fardeau réel » et « fardeau virtuel » de la dette.


L’effet du fardeau réel de la dette est totalement intuitif et réside dans le fait qu’une dette trop importante génère un service de la dette tel qu’il accapare la grande majorité des ressources domestiques. Ainsi, ces ressources gouvernementales initialement destinées aux dépenses publiques de développement visant à favoriser l’émergence de structures sociales (éducatives, sanitaires, etc.) sont réallouées au remboursement du service de la dette. Une dette publique trop importante tend donc indubitablement à repousser dans le temps l’application de politiques de développement nécessaires à la réduction de la pauvreté et au rattrapage économique de ces pays (effet d’éviction).

L’effet dit de fardeau virtuel découle quant à lui du fait qu’un endettement insoutenable induit une hausse future de l’imposition,nécessaire au financement du service de cette dette. Par conséquent, les investisseurs aussi bien domestiques qu’étrangers,voyant leurs revenus du capital plus fortement taxés, deviennent moins enclin à investir dans ce type de pays, ce qui in fine tend à réduire le niveau d’investissement privé.

Les programmes d’annulation de dette ont donc été principalement motivés par cette volonté de la communauté internationale de favoriser le niveau d’investissement aussi bien public que privé dans les pays pauvres fortement endettés. Néanmoins au sein de la littérature économique certaines voix s’élèvent contre ces programmes pour exposer leur caractère désincitatif en termes de management de dette (Easterly[2002], Leo [2009]). En effet, il serait assez tentant de penser que ces initiatives génèrent un aléa moral conséquent : quel serait en effet l’intérêt d’un pays pauvre à produire d’importants efforts fiscaux et budgétaires afin de rembourser sa dette sachant qu’à tout moment il pourrait éventuellement bénéficier d’une annulation de cette dernière ? Plusieurs arguments viennent infirmer cette intuition.

Tout d’abord les pays se voyant intégrer les programmes PPTE et donc IADM sont soumis depuis de nombreuses années à des programmes FMI visant à « monitorer » leurs finances publiques. Les programmes PPTE et IADM ne viennent donc qu’après de nombreux essais et tentatives de gestion de la dette et des déficits publics. De même, une fois le pays sorti de l’accord d’annulation de dette, les IFIs continuent de « garder un œil » sur la situation financière de ces pays du simple fait que ces derniers font face à des taux prohibitifs sur les marchés internationaux et ne peuvent donc emprunter qu’auprès d’elles (et notamment auprès du bras concessionnel de la Banque Mondiale – IDA).

Enfin, ces accords portent exculsivement sur un montant de dette pré-determiné au sein du Club de Paris[5], qui ne comprend pas les encours de dette enregistrés au-delà d’une date dite butoire, fixée par les IFIs et le pays concerné. La réduction de dette se réalise ainsi uniquement sur la dette pré date butoire, ce qui exclue toute restructuration sur la dette future contractée et oblige donc les pays à correctement gérer leur finances publiques une fois l’annulation reçue.

D’autres critiques jugent également que les programmes PPTE et IADM ne sont pas assez porteurs de croissance et n’apportent rien aux pays bénéficiaires si ce n’est le droit de ne pas rembourser leur dette. Néanmoins certains papiers de recherche tentent d’exposer les bénéfices induits par ces programmes. Si l’on suit la théorie du debt overhang ainsi que les effets de fardeau qui en découlent, il serait tentant de penser que l’annulation de dette favorise le niveau d’investissement national via la réallocation des ressources domestiques initialement destinées au paiement du service de la dette. Les programmes d’annulation de dette sont donc censés libérer un espace budgétaire (« fiscal space ») suffisament important pour favoriser des dépenses de développement telles que les investissements en infrastructure (écoles, hopitaux, hotel des impôts, etc). C’est sur cette idée de « fiscal space » que plusieurs auteurs ont testé l’impact de l’annulation de dette, matérialisée par les économies de remboursement de service de la dette (Cf. Graphique ci-dessous), sur différentes variables budgétaires telles que les investissements publics et les revenus domestiques (revenus fiscaux).

Source: Cassimon, Ferry, Raffinot, Van Campenhout [2013], “Dynamic Fiscal Impacts of the Debt Relief Initiatives on African Heavily Indebted Poor Countries (HIPCs)”. DIAL, Document de Travail/2013-01. Traduction BS-i.

Les travaux de Tsakak Temah[2009], de Cassimon & Van Campenhout[2006, 2007] où encore de Cassimon, Ferry, Raffinot & Van Campenhout[2013] s’accordent effectivement à dire que ces économies et gains issus de l’annulation de dette promeuvent les dépenses de santé, l’investissement public, et la mobilisation fiscale au sein des pays bénéficiaires. Il serait donc pour le moins hasardeux de considérer que ces initiatives sont totalement inutiles au regard des évidences apportées par cette littérature en pleine expansion.


Enfin de nombreux acteurs du monde économique exposent également le fait que les gains issus de l’annulation de la dette des PFR (notamment les économies de service de la dette) ne doivent pas être considérée tels que reportés dans les rapports d’analyse des IFIs car leur mesure suppose que les pays bénéficiaires, en l’absence de programmes de réduction de dette, auraient effectivement remboursé le service de la dette dû. Ce dernier point est plus discutable et nécessiterait une réflexion plus poussée sur la question de la valeur réelle de la dette des PFR. Néanmoins, les résultats et observations empiriques tendent à démontrer que ces deux initiatives sont loin d’être inutiles.

A titre d’exemple, la République d’Ouganda a récemment profité des gains retirés de l’annulation d’une bonne partie de sa dette extérieure pour construire un hôpital public visant à soigner les plus démunis de la région de Kampala. Cet investissement porteur de développement via l’amélioration de la santé de la population n’aurait pas été possible sans l’émergence de ce « fiscal space » induit par la réduction du service de la dette.

Les initiatives PPTE et IADM représentent donc des politiques de développement non-négligeables pour les pays pauvres faisant face à d’importantes contraintes d’endettement. Les études et analyses portant sur ces programmes ont dans l’ensemble confirmé qu’ils favorisaient le financement de structures sociales et économiques nécessaires au rattrapage de ces pays. Même s’il reste des efforts à fournir sur la définition des gains issus de ces politiques et sur l’accompagnement post-programme des pays bénéficiaires (notamment sur l’amélioration de la qualité des institutions) il est évident que les initiatives PPTE et IADM dont a bénéficié l’Union des Comores en décembre dernier, et dont bénéficieront l’Erythrée, le Soudan et la Somalie, contribueront à accélérer leur processus de développement.

Bibliographie

Cassimon, D., Ferry M., Raffinot M. and Van Campenhout B. [2013], “Dynamic Fiscal Impacts of the Debt Relief Initiatives on African Heavily Indebted Poor Countries (HIPCs)”. DIAL, Document de Travail/2013-01

Cassimon, D. and Van Campenhout, B. (2006). Aid Effectiveness, Debt Relief and Public Finance Response: Evidence from a Panel of HIPC Countries. Working Paper, University of Antwerp, Institute of Development Policy and Management (IOB).

Cassimon, D. and Van Campenhout, B. (2007). Aid Effectiveness, Debt Relief and Public Finance Response: Evidence from a Panel of HIPC Countries, Review of World Economics, Vol.143, No.4, 742-763.

Cohen, D. (2000). The HIPC Initiative: True and False Promises. Working Paper n° 166, OECD Development Center.

Easterly, W. (2002). How Did Heavily Indebted Poor Countries Become Heavily Indebted? Reviewing Two Decades of Debt Relief. World Development Vol. 30, No 10, pp. 1677-1696, Elsevier Science.

Idlemouden, K and Raffinot, M. (2005). Le Fardeau Virtuel de la Dette Extérieure. Cahiers de Recherche EURISCO n°2005-03, Université Paris-Dauphine.

IMF, Heavily Indebted Poor Countries (HIPC) Initiative: Status of Implementation. International Monetary Fund and International Development Association.

Tsafack Temah, C. (2009). Does Debt Relief Increase Health Expenditures? Evidence from Sub Saharan HIPCs. Research Report – United Nations Economic Commission for Africa.

Notes:

[1]IFIs.

[2]En 1999, l’initiative PPTE a rehaussé les montants de dette multilatérale annulés, ce qui lui à value le nom d’initiative PPTE renforcée (Enhanced).

[3]Revenu par habitant inférieur à 380 USD, et Ratio Dette extérieure (Net Present Value) / Exportations supérieur à 250 %

[4]“Poverty Reduction Strategy Paper” (PRSP) et “The Poverty Reduction and Growth Facility” (PRGF).

[5] Le Club de Paris représente l’institution au sein de laquelle créanciers (bilatéraux et multilatéraux – publics) et débiteurs se retrouvent pour négocier les montants de dette annulés et rééchelonnés.

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