Le discours de Lambersart le 25 septembre avait présenté une philosophie politique de qualité, mais la référence faite à certaines réformes effectuées sous sa présidence montrait hélas qu'il existe un grand écart entre les mots utilisés pour définir les principales orientations du candidat Sarkozy et les réalités qu'elles recouvriraient vraisemblablement s'il revenait au pouvoir. Notamment, citer comme exemple de ce qu'il faut faire la soi-disant réforme des régimes spéciaux de 2007 – 2008, dont la Cour des comptes elle-même, après l'auteur de ces lignes, a démontré qu'il s'est agi de poudre aux yeux, incitait à penser que le candidat n'a pas renoncé à vouloir gouverner en apparence plutôt qu'en réalité.
L'interview parue dans le Figaro Magazine du 3 octobre transforme en certitude cette impression basée sur un petit nombre d'exemples fournis à Lambersart. Certes, comment ne pas souhaiter « que l'opposition reprenne l'initiative sur le plan des idées » ? Certes, le recours plus fréquent au référendum est un excellent engagement. Mais, déjà sur ce point, comment ne pas voir qu'il y loin de la coupe aux lèvres, puisque Nicolas Sarkozy donne la Constitution européenne comme exemple de question ne se prêtant pas à référendum ! Si la définition des objectifs, moyens, règles et limites de l'Union européenne n'est pas l'exemple même des questions importantes qui doivent être tranchées par le corps électoral, alors sur quel sujet les citoyens doivent-ils se prononcer en direct ? Bien entendu, il n'est pas possible à l'homme de la rue d'examiner un par un 448 articles, le candidat a raison de le souligner. Mais cela veut simplement dire qu'il ne s'agissait pas d'un texte à vocation constitutionnelle, qui doit par essence se limiter à des principes fondamentaux. Il aurait été bien préférable de dénoncer cette grave confusion des genres, acceptée par les chefs d'État européens, y compris celui de l'État français, et d'en profiter pour faire un « mea culpa » à propos de la réforme constitutionnelle française de 2008. Celle-ci fournit en effet un triste cas de confusion entre loi et constitution, confusion qui atteint son paroxysme avec l'article 65 de notre constitution qui résulte de cette réforme : en effet cet article précise désormais dans le moindre détail le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, consacrant près de 4 % de notre constitution à ce sujet technique qui relevait bien plutôt d'une loi organique.
En revanche, l'idée d'adjoindre un référendum au premier tour des élections législatives qui suivront l'élection présidentielle est excellente : c'est le bon moment pour soumettre aux citoyens des règles fondamentales, et de plus cela représente des économies en comparaison de deux consultations électorales distinctes.
Un tel référendum pourrait utilement transférer à la loi la plupart des dispositions relatives au fonctionnement du CSM, et insérer un article infiniment plus bref disposant que, la loi et le règlement ne pouvant entrer dans les moindres détails, les magistrats ont le devoir de ne pas faire de ces textes une application mécanique, mais de faire usage de leur capacité de discernement quand ils attribuent à un fait telle ou telle qualification juridique. Un tel article aurait certainement évité à la Cour de cassation, dans un arrêt récent, de requalifier en salaire une indemnité pour frais professionnels de deux euros par jour versée par une entreprise à des salariés embauchés sur des CDD de très courte durée pour effectuer des enquêtes par téléphone à partir de leur domicile, au motif qu'il s'agissait d'un versement forfaitaire sans présentation de justificatif. De telles offenses au sens commun, qui sont hélas légion, viennent de ce que le droit positif ne permet pas aux juges de faire usage de leur bon sens. Il fait verser nos tribunaux dans l'intégrisme juridique, triomphe de la lettre sur l'esprit qui a de lourdes conséquences tant sociétales qu'économiques. C'est le cas également lorsqu'un vice de forme insignifiant conduit à remettre des malfrats en liberté – un sujet très sensible pour la population comme pour la PJ, et que Nicolas Sarkozy est bien placé pour traiter.
Concernant le fonctionnement des services publics, on ne peut que regretter l'attachement du candidat à la formule « un départ sur deux à la retraite non remplacé ». S'il est indispensable d'augmenter la productivité de la fonction publique, ce n'est pas par des mesures simplistes et caporalistes de ce genre que l'on y parviendra ! Les progrès résulteront beaucoup plus sûrement d'une simplification des textes que doivent appliquer les agents de l'État et des collectivités territoriales, des institutions où ils travaillent, et d'une responsabilisation des chefs de service, des directeurs, et in fine des ministres, des maires et des responsables départementaux et régionaux. S'agissant de l'État, les ministres passent beaucoup trop de temps à se creuser la cervelle pour imaginer une loi (généralement inutile, et souvent néfaste) à laquelle leur nom pourrait être donné, et à participer à des réunions politiques sans intérêt, moyennant quoi ils négligent dramatiquement la marche des services placés sous leur responsabilité. Quelques exceptions, comme celle de Francis Mer quand il était à Bercy, montrent heureusement qu'il ne s'agit pas là d'une fatalité.
Nicolas Sarkozy propose d'introduire la possibilité d'embaucher des agents de l'État sous contrat de 5 ans. Un ersatz de cette latitude existe déjà : les fonctions publiques comportent des centaines de milliers d'agent sous contrat à durée déterminée, souvent de deux ans renouvelables ; il faudrait simplement assouplir les règles du CDD – et pas seulement pour les administrations ! La proposition est donc tout sauf novatrice. Il faudrait aller plus loin pour « dé-fonctionnariser » nos administrations, par exemple en introduisant comme règle générale, à quelques administrations près chargées de fonctions typiquement régaliennes, un recrutement sous statut de droit commun, comportant bien entendu le CDI comme contrat principal. Il faut aussi, c'est capital, ne pas en exclure les enseignants, ce que fait hélas le candidat dans son interview : sachant que le « mammouth » emploie à lui seul près de la moitié des serviteurs de l'État, et qu'il est particulièrement nécessaire de pouvoir donner aux chefs d'établissement une véritable liberté de gestion, allant jusqu'au licenciement, la restriction prônée par l'ancien Président est particulièrement mal venue.
Regrettable également, dans les circonstances actuelles, est la volonté d'avoir « moins de fonctionnaires, travaillant davantage et mieux rémunérés ». Notre économie serait dans une situation de surchauffe, avec seulement 200 000 ou 300 000 chômeurs, cette proposition serait logique. Mais dans l'état actuel des choses, on peut difficilement trouver mieux pour contribuer à l'augmentation du chômage. L'urgence est de faciliter la création d'emplois dans le secteur privé, pas d'accélérer la diminution du nombre des agents de l'État. Et à ce propos quel dommage que Nicolas Sarkozy n'ait pas développé davantage la question du « choc de simplification » dont dépendent pour une bonne part les créations d'emplois ! Il se limite à regretter que le Code du travail comporte 12 000 articles, et à proposer de « faire voter en juillet, au début du quinquennat » un « nouveau code du travail concentré sur les seuls droits fondamentaux des salariés : droit syndical, protection contre le licenciement, droit à la santé », tout le reste étant « renvoyé à la négociation ». L'intention, certes, est louable, et on comprendrait qu'un élève de collège en traduise ainsi la mise en œuvre. Mais venant d'un ancien parlementaire, ministre et président de la République, cette formulation simpliste fait froid dans le dos ! Le candidat imagine-t-il que l'on puisse en quelque mois effectuer le travail de préparation législatif et réglementaire nécessaire pour nettoyer l'écurie d'Augias qu'est devenue ce code ? Il s'agit d'un travail titanesque. S'il déclarait que dès son élection à la présidence de l'UMP il réunirait une équipe pour commencer cette préparation, on se dirait qu'il a un véritable projet. S'il précisait qu'il lancerait une large souscription pour mener à bien ce projet de salut public à l'aide une équipe étoffée de personnes compétentes travaillant à plein temps, on se dirait qu'il prend son projet au sérieux. Mais en l'état, hélas, il ne s'agit que de chimères.
Un mot enfin sur la question des retraites. Le journaliste la posa de façon particulièrement étriquée : « Faudra-t-il repousser l'âge de départ à la retraite ? ». Un homme connaissant la question ne serait pas tombé dans le piège consistant à présupposer que c'est aux pouvoirs publics de décider de cet âge, ce qui est une atteinte grave au principe de liberté qui est au cœur de notre éthique nationale ; comme il le faisait volontiers, Charles de Gaulle aurait probablement laissé de côté la question étriquée pour répondre à la bonne question, celle qui ne lui était pas explicitement adressée – en l'espèce, celle d'une vraie réforme des retraites. Mais Nicolas Sarkozy a enfourché le canasson dont on lui tendait les rênes. Il a simplement profité de l'occasion pour défendre le choix des 62 ans en 2018 plutôt que 63 en 2022 qu'il avait fait lors de la préparation de la loi du 9 novembre 2010. Cela comme s'il y avait incompatibilité entre deux dispositions dont la première est une étape en vue de la seconde ! Et de plus il prétend dans son interview que « cela rapportait davantage à la sécurité sociale », incroyable alchimie verbale transformant le plus en moins ! Surtout, la loi retraite 2010, ne lui en déplaise, constitue bien une simple « réformette » aux yeux de ceux qui connaissent la question, tout comme la loi Fillon de 2003 et la loi Touraine de janvier dernier. Une réforme digne de ce nom est structurelle ; une modification de la valeur de certains paramètres rendue indispensable par les évolutions démographiques et économiques ne devrait pas relever de la loi, mais d'une simple décision des gestionnaires du régime. La confusion entre législation et gestion est une des plus importantes parmi les funestes erreurs qui entraînent la décrépitude de l'Occident en général et de la France en particulier .
S'il avait regretté de ne pas avoir fait appliquer par anticipation l'article 16 de cette loi retraite 2010, de loin le plus intéressant, celui qui dispose la mise à l'étude, à compter du 1er trimestre 2013, d'un « régime universel par points », facilitant « le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d'activité », on aurait pu estimer que la réflexion de Nicolas Sarkozy sur le sujet a progressé depuis 2010 ; on aurait pu espérer qu'il ait enfin compris le message transmis par les parlementaires (à commencer par le sénateur Leclerc, fin connaisseur d'un sujet dont il a été des années durant le rapporteur attitré) au moyen de l'amendement devenu (atténué) l'article 16 de la loi susmentionnée. Las ! Celui qui se propose de revenir à la tête de l'État semble toujours ignorer superbement l'absolue nécessité d'une réforme systémique du système français de retraites par répartition. Là encore, la courbe d'apprentissage du candidat, que ce soit durant l'exercice de ses fonctions ministérielles puis présidentielles, ou durant sa traversée du désert, n'est guère encourageante.