Quand l’Amérique impose sa loi au monde entier

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Par Rédaction Modifié le 16 septembre 2019 à 22h34
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L'extraterritorialité du droit américain fait peser une épée de Damocles sur les entreprises européennes. Comme l'affaire liée à l'homme d'affaires ukrainien Dmytro Firtash le démontre, le concept sert également les objectifs politiques des États-Unis, et ce alors que l'Europe peine à riposter de manière unie et efficace.

« Le droit américain est une arme de répression et de dissuasion massives » : on ne saurait mieux condenser que sous la plume du journaliste du Monde Jean-Michel Bezat la force de frappe de l’extraterritorialité de la législation américaine. Sous ce vocable barbare se dissimule la capacité que s’arrogent les États-Unis d’édicter des normes imposables à des personnes, tant physiques que morales, non-américaines : il suffit pour qu’une entreprise tombe sous le joug du droit américain d’opérer une transaction en dollars, d’être cotée à Wall Street ou même d’envoyer de simples emails via un serveur Gmail hébergé dans un État américain.

Autant dire que tout le monde, ou presque, peut un jour avoir affaire au FBI, à la SEC (autorité des marchés financiers) ou à la justice américaine si ces derniers soupçonnent des faits de corruption, ou encore le viol d’embargos décrétés à l’encontre de pays comme Cuba ou l’Iran. « La définition de la compétence du droit américain (…) à l’étranger est donc extrêmement large, même si elle ne touche pas directement le territoire américain », estime dans les pages du Figaro Ali Laïdi, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à Sciences Po Paris. Et le tableau de chasse de cette « redoutable machine de guerre juridico-administrative », comme la qualifie Jean-Michel Bezat, est édifiant.

40 milliards de dollars versés par les entreprises européennes à la justice américaine

Qu’on en juge : BNP Paribas, contrainte de régler une douloureuse de 8,9 milliards d’euros pour avoir violé l’embargo américain contre la Havane ; Total, Thalès, Renault et PSA devant renoncer au marché iranien ; Veolia, inquiété pour des faits de corruption ; des électriciens allemands, menacés de sanctions pour collaborer avec le russe Gazprom ; etc. En tout et en seulement dix ans, les entreprises européennes se sont acquittées de quelque 40 milliards de dollars au profit des États-Unis : « un véritable prélèvement, sans contrepartie, sur les économies européennes et le niveau de vie de leurs citoyens », dénonçaient dans un rapport parlementaire paru en 2016 les députés Pierre Lellouche et Karine Berger.

Pire encore : l’extraterritorialité du droit américain est parfois mise à profit afin que les entreprises étasuniennes s’accaparent, en toute « légalité » et sans que personne ne puisse s’y opposer, certains de nos fleurons les plus stratégiques. C’est le cas, aussi tragique qu’éloquent, de la branche énergétique d’Alstom, passée en décembre 2014 dans l’escarcelle de General Electric (GE). En 2014, le Department of Justice (DoJ) américain menace le PDG d’Alstom de poursuites judiciaires, alors que l’un des cadres dirigeants de l’entreprise, le Français Frédéric Pierucci, croupit dans les geôles de l’Oncle Sam pour des faits de corruption reconnus par Alstom dans cinq pays – mais pas aux États-Unis. En dépit de l’opposition de l’État français, la branche énergie de l’entreprise, qui produit notamment les turbines équipant les centrales nucléaires, est finalement vendue à GE. Mettant, de fait, un terme à l’indépendance atomique française.

Quand l’extraterritorialité sert des objectifs politiques

La toute-puissance du droit américain, secondée dans l’ombre par des services de renseignement comme la CIA ou la NSA, sert aussi, dans certains cas, à obtenir des informations concernant ceux que les États-Unis considèrent comme des ennemis politiques. À l’image de l’homme d’affaires ukrainien Dmytro Firtash, un proche de l’ex-président Viktor Ianoukovytch. Assigné à résidence à Vienne depuis plusieurs années, l’oligarque est soupçonné par la justice américaine d’être impliqué dans le versement de pots-de-vin – en dollars, cela va de soi – à des intermédiaires indiens, afin d’obtenir des contrats d’exploitation de mines de titane pour une société basée à Chicago. Depuis 2014, Washington bataille pour obtenir son extradition ; pour l’heure en vain, et pour cause, la justice autrichienne estimant que l’accusation ne repose sur aucun élément probant – la seule « preuve » incriminant Firtash se révélant être une diapositive Powerpoint produite par McKinsey, un cabinet de conseil... américain. Deux témoins à charge auraient par ailleurs rétracté leurs témoignages, expliquant les avoir livrés sous la pression du FBI - l’un d’eux ayant même affirmé que le sien aurait été pré-rédigé par les autorités américaines.

L'intérêt de la justice étasunienne pour l'homme d'affaires ukrainien pourrait être motivé par des intérêts purement politiques. Ce dernier entretiendrait d'étroites relations avec les régimes de Kiev et Moscou, à propos desquels l'administration américaine pourrait exiger qu’il la renseigne si celle-ci venait à mettre la main sur lui. Firtash « sait beaucoup de choses sur les élites russes et ukrainiennes », confirme une source anonyme, qui ajoute qu'il serait « formidable (pour Washington) de faire parler » l'oligarque. Si la justice autrichienne vient d’approuver l’extradition de ce témoin hautement sensible, ce dernier a fait appel, et attend donc toujours en Autriche de connaitre son sort.

L’Europe aux abonnés absents

La résistance de l’Union européenne aux pressions américaines laisse à désirer. Les 27 ont bien envisagé la mise en place d'un montage financier (dit « SVP ») isolant tout lien avec le système étasunien, et l'Union européenne (UE) a modifié son règlement de blocage protégeant, en théorie, les entreprises du Vieux continent des foudres de Washington ; las, toutes les multinationales européennes ont préféré préserver leurs intérêts aux États-Unis plutôt que de risquer d'avoir affaire à la justice américaine. « Les Européens sont trop laxistes et n'ont pas la volonté commune de se doter d'une capacité de riposte à cet imperium juridique », estime Jean-Michel Bezat. Même son de cloche de la part d'Ali Laïdi, selon qui les 27 « ne bougent pas » et « sont tétanisés par rapport au pouvoir américain ». « Le concept de guerre économique est (…) complètement balayé à Bruxelles », conclut le chercheur, estimant que « la puissance est un gros mot à Bruxelles ».

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