La modulation des allocations familiales est présentée par la sous-ministre de la Famille Laurence Rossignol comme une mesure juste. L'occasion de décrypter ses propos:
Laurence Rossignol sur la modulation des... par FranceInfo
Juste car 13% seulement paieront
Le premier argument de « justice » de Laurence Rossignol consiste à expliquer que seules 13% des familles (les plus riches, bien sûr) paieront. On s'étonnera du « sous-jacent » de l'argument: est juste dans l'esprit de la sous-ministre ce qui ne touche qu'une minorité. Tous ceux qui ont été élevés dans l'idée selon laquelle ce qui est juste s'applique à tout le monde en auront pour leur grade. La justice selon l'ex-militante de la gauche socialiste consiste à ne faire payer qu'une minorité. Voilà qui en dit long sur la conception du droit en vigueur en France depuis le mois de mai 2012...
Au passage, on voit comment, à l'occasion d'une mesure de redistribution, le concept de justice est amené: le message véhiculé n'est pas de dire que les plus riches paient pour les plus pauvres, le message est: seule une minorité est concernée par la loi. Nous savons tous comment s'appellent les régimes qui pensent les lois sans référence à l'intérêt général.
Juste car étendant le plafonnement déjà existant sur d'autres allocations
Laurence Rossignol ajoute que bien d'autres prestations familiales sont déjà soumises à des plafonds de ressources. Donc, pourquoi pas les allocations jusqu'ici universelles?
Là aussi, on en reste pantois. Précisément, les allocations familiales n'ont jamais été proportionnées aux revenus parce que toutes les autres prestations familiales l'étaient. La logique du législateur était de préserver une prestation en dehors de tout critère de ressources...
Juste car les prestations ne sont pas supprimées mais simplement modulées
A l'accusation de manquement à l'universalité de la Sécurité Sociale, Laurence Rossignol répond que les allocations familiales restent universelles, puisque les plus riches continueront à les percevoir. Mais de façon 4 fois moins importantes que les autres.
Ici, la sous-ministre fait preuve d'une remarquable mauvaise foi, puisqu'elle fait mine de croire que l'universalité se limite au périmètre de versement, alors qu'en réalité, l'universalité a toujours voulu dire: universalité des droits contributifs – c'est-à-dire que chacun a droit à la même prestation en contrepartie des cotisations versées.
Plus on cotise, moins on a droit
Dans le raisonnement de la sous-ministre, il est juste de différencier les prestations selon les revenus des bénéficiaires. Selon elle, cette différenciation ne remet pas en cause l'universalité des prestations.
C'est évidemment faux.
Rappelons en effet que les familles les plus riches paient plus de cotisations que les plus pauvres! Les cotisations sont en effet prélevées selon une mécanique de taux universel sur les revenus, avec des exonérations sous 1,6 SMIC. La loi de financement de la sécurité sociale rectificative de juin 2014 a ainsi prévu une baisse de 1,8 point des cotisations familiales sous 1,6 SMIC.
Autrement dit, les revenus les plus faibles paient d'ores et déjà moins de cotisations familiales pour obtenir les mêmes prestations, ce qui constitue une importante modulation.
Le principe de Laurence Rossignol est d'imposer une double peine: non seulement les revenus les plus aisées paient plus de cotisations, mais ils ouvrent moins de droits. Autrement dit, Laurence Rossignol instaure une règle simple: plus on cotise, moins on a de droits
Un précédent qui signe la mort de la sécurité sociale
Admettre le raisonnement de Laurence Rossignol (au nom d'une gnagnasserie doucereuse sur le mode: allez, soyez sympa, il s'agit de 60 euros par mois), c'est admettre un précédent qui signe la mort de la sécurité sociale.
Transposé à l'assurance-maladie, le raisonnement de Laurence Rossignol consiste en effet à dire: les médicaments ou les visites médicales seront moins bien remboursés pour les plus riches. Dès lors que l'on module les allocations familiales selon le niveau de revenu, pourquoi ne pas le faire pour les autres prestations de sécurité sociale?
Transposé à la retraite, le raisonnement serait encore pire: plus on cotise beaucoup et longtemps, moins on ouvre de droits, et plus le taux de remplacement baisse.
Dans ces conditions, on se demande combien de temps les Français qui gagnent plus de 1,6 SMIC accepteront de se faire plumer.
Une logique inconstitutionnelle?
On rappellera ici que le Conseil Constitutionnel s'est fait le garant de l'universalité de la Sécurité Sociale. Par sa décision du 6 août 2014, il a notamment censuré le principe de la modulation des cotisations prévues par le gouvernement en affirmant:
13. Considérant que le législateur a, aux fins d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés dont la rémunération est modeste, institué une réduction dégressive des cotisations salariales de sécurité sociale des salariés dont la rémunération « équivalent temps plein » est comprise entre 1 et 1,3 salaire minimum de croissance ; que, dans le même temps, il a maintenu inchangés, pour tous les salariés, l'assiette de ces cotisations ainsi que les prestations et avantages auxquels ces cotisations ouvrent droit ; qu'ainsi un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ; que, dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l'objet des cotisations salariales de sécurité sociale (...).
Il sera intéressant de voir si, saisi de la modulation à l'autre bout du tunnel, c'est-à-dire de la modulation des prestations et non des cotisations, il suivra le même raisonnement.
Dans cette hypothèse, la déculottée pour le groupe socialiste à l'Assemblée Nationale sera magistrale et illustrera une fois de plus l'amateurisme des gens élus depuis deux ans et demi.
La prêtresse Rossignol, parangon de la tartufferie
Impossible de clore cette chronique en rappelant quelques éléments sur la biographie de Laurence Rossignol, qui nous donne de superbes leçons de morale à la façon des curés de l'Ancien Régime. Quand on l'écoute, on a envie de se mettre à genoux et de se signer en demandant pardon à Dieu pour toutes les jouissances indignes que nous tirons de notre pays vérolé par l'injustice et l'exploitation de l'homme par l'homme.
M'enfin, Laurence Rossignol appartient quand même à cette classe de petits profiteurs qui serpentent et qui rampent dans les allées du pouvoir depuis leur adolescence, qui n'ont jamais mis un pied dans la vraie vie, et qui n'ont jamais manqué de profiter des bienfaits d'un système qu'ils pourfendent au nom d'une morale rancie.
Ainsi, après un parcours de dix années en cabinet ministériel, commencé à l'âge de 26 ans, Laurence Rossignol fut un salariée de la MNEF pendant 18 ans, certains se demandant comment elle pouvait cumuler cet emploi avec ses nombreuses fonctions militantes. Elle avait bon dos, à l'époque, la justice et l'égalité dans la sécurité sociale! Quel plaisir de se faire payer un salaire en toute opacité par des cotisations étudiantes à une complémentaire santé, pour pouvoir aller grenouiller sous les lambris de la République, pendant que ceux qui cotisent vont faire la plonge ou des ménages pour payer leurs études...
Surtout que, pendant ce temps, Laurence Rossignol n'a pas hésité à cumuler: elle a même été membre du Conseil Economique et Social, aux grasses indemnités. Laurence Rossignol n'a finalement quitté la MNEF que pour devenir sénatrice. Elle n'a donc jamais été élue au suffrage universel, et sans ses grenouillages intensifs dans les couloirs de la rue de Solférino, on n'aurait même jamais entendu son nom.
Moi, je dis beurk!
Tribune initialement publiée sur le blog d'Eric Verhaeghe et reproduite ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.