C'est une Angela Merkel qui est sortie non seulement réélue lors des élections de dimanche dernier, mais surtout elle a enregistré son meilleur score ce qui, pour un troisième mandat, ressemble à s'y méprendre à un plébiscite populaire là où François Hollande, profondément impopulaire, a vite oublié qu'il devait son élection avant tout au rejet des excès de personnalité de Nicolas Sarkozy qu'à une adhésion populaire à son programme et ses idées.
Les résultats brillants d'Angela Merkel ne constituent pas une surprise. Ils constituent en revanche une sacrée défaite en particulier pour le gouvernement socialiste français et le président Hollande. Tous ont tenté depuis des mois de peser sur le scrutin en Allemagne. Tous espéraient, et c'était le pari de la classe dirigeante socialiste, un retour aux affaires du SPD allemand, c'est-à-dire des socialistes avec qui il aurait été beaucoup plus facile de s'entendre...
La défaite est cuisante. L'Allemagne sort beaucoup plus forte de ces élections, et la ligne relativement rigoriste défendue par la chancelière risque de perdurer encore quelques années. Les socialistes allemands ont été battus à plate couture. Disons-le, les Allemands ont choisi de poursuivre l'aventure européenne mais pas d'être les dindons financiers de la farce européenne. Pour autant, et jusqu'à maintenant, l'Allemagne a bel et bien payé. Il se pourrait que tout cela change dans les prochains mois et que l'austérité allemande s'applique avec beaucoup plus de férocité en Europe.
Le premier pays touché sera sans aucun doute la France puisque c'est notre pays qui connaît actuellement les dérives les plus graves de ses finances publiques, sans oublier que le destin de l'Europe est conditionné au fait que la France ne s'effondre pas. Qui pourrait sauver la France lorsque l'on voit les montants en jeu ?
Personne. Pas même le FMI. Pas même une troïka.
Angela Merkel en position de force face à ses partenaires à Bruxelles
Le journal Le Monde revient donc sur la réélection de Merkel avec un article lénifiant bourré des poncifs habituels.
Un bon article sur l'Europe et les relations franco-allemandes doit obligatoirement comporter les mentions suivantes. Vous les rayez une fois qu'elles ont bien été utilisées conformément à la procédure édictée par la sous-direction centrale de la centralisation de la communication du Parti.
- - Le couple franco-allemand ;
- - rapprochement entre la France et l'Allemagne ;
- - poursuivre leur étroite collaboration ;
- - travailler inlassablement au projet européen.
Du coup, cela donne le paragraphe suivant dans le journal Le Monde :
« François Hollande s'est empressé de féliciter Angela Merkel, lors d'un bref appel téléphonique, dimanche 22 septembre, en début de soirée. Tous deux ont exprimé leur « volonté de continuer à travailler inlassablement au rapprochement de la France et de l'Allemagne et de poursuivre leur coopération étroite pour relever les nouveaux défis de la construction européenne. »
Bon, je suis méchant car le reste de l'article pose quelques véritables sujets, c'était juste que l'auteur semblait devoir s'excuser avant de parler des vrais choses en prenant quelques précautions oratoires.
Des décisions qui attendaient le résultat des élections allemandes
« Sur la scène européenne, plusieurs décisions étaient suspendues depuis des mois au scrutin allemand. De la Grèce au Portugal, les pays sous assistance auront sans doute besoin d'une rallonge financière. La crise des dettes souveraines est apaisée, mais la refonte de l'union monétaire est loin d'être achevée. »
Ce n'est même pas moi, grand contrarien devant l'éternel, qui le dit mais bien le journal Le Monde. « La refonte de l'union monétaire est loin d'être achevée. » C'est joliment dit, ce n'est pas anxiogène, on est presque content qu'il y ait une refonte, mais cela ne change rien au sens profond de cette phrase qui pointe bien les dangers qui guettent la monnaie unique.
Désaccords persistants sur la mise en place de l'Union bancaire
« Angela Merkel pose par ailleurs ses conditions à la mise en place de l'Union bancaire. L'Allemagne conteste les propositions consistant à placer la Commission européenne au cœur du futur dispositif intégré de traitement des crises bancaires. Pour elle, pas question de transférer à une autorité européenne le pouvoir de démanteler, ou de recapitaliser, un établissement en difficulté tant que ce sont des fonds nationaux qui financent l'opération. Le ministre des finances du gouvernement sortant, Wolfgang Schäuble, exige un changement de traité pour poser les fondations de ce dispositif. »
Voilà qui va nous promettre quelques belles prises de bec au sein des institutions européennes. La réélection d'Angela Merkel va lui permettre de reprendre la main et d'imposer la vision germanique au sein de la Commission Européenne qui reste la principale institution de pouvoir.
Pour l'Allemagne, il n'est toujours pas question de mutualiser les dettes et de se rapprocher de près ou de loin du concept de l'union de transfert. Or sans union de transfert, l'euro ne pourra pas survivre en tout cas dans cette configuration.
Il reste aussi l'hypothèque des prochaines décisions de la cour constitutionnelle de Karlsruhe qui devait limiter, dans les semaines à venir, les marges de manœuvre de la BCE pour soutenir les pays sous pression. Si tel était le cas, alors l'Europe et l'euro repartiraient à nouveau dans un épisode de crise aiguë, et cela pourrait contribuer à accélérer la « refonte de l'union monétaire ».
Laissons la parole à Markus Kerber
C'est un article du Point qui est allé interviewer Markus Kerber, l'homme qui a porté plusieurs recours devant la Cour constitutionnelle allemande contre les mesures de sauvetage de l'euro. Pour l'heure, sans succès. Mais l'institution doit encore rendre son jugement sur le programme d'achat d'obligations publiques de la BCE.
Vous pourrez aller lire la totalité de cet article directement sur le site du Point. En attendant, je vous cite ici le passage que je trouve le plus important :
« Quelle serait donc la bonne solution, selon vous ?
Il faudrait reconnaître que l'euro n'est techniquement plus viable car les économies de la zone euro sont trop hétérogènes. La meilleure des solutions est ensuite d'opter pour une voie évolutive. L'euro n'est pas seulement la monnaie européenne mais une monnaie unique. On l'a imposée d'un jour à l'autre à des taux de parité éternels. On devrait réorganiser la zone euro en deux zones. La première garderait l'euro comme moyen de paiement unique en l'adaptant à la compétitivité et à la politique monétaire nécessaire dans ces pays, c'est-à-dire en le dévaluant. D'un autre côté, les pays en excédent commercial important – c'est-à-dire l'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche, les Pays Bas et la Finlande – pourraient avoir une deuxième monnaie comme moyen de paiement légal, que j'ai baptisée « guldenmark » dans mon livre (Mehr Wettbewerb wagen, Éd.Lucius & Lucius, Stuttgart, 2012). C'est la seule solution viable adaptée aux deux camps qui existaient en Europe sans « break up » total de la zone euro. »
Comme quoi, on peut affirmer ce soir que la réélection d'Angela Merkel va changer bien des choses dans les rapports de forces en Europe. Mais il est un sujet « glissant » rarement abordé. La réélection d'Angela Merkel pour ce troisième mandat montre clairement que l'Allemagne se sent forte et en position d'exercer le leadership en Europe alors que son principal contre-pouvoir est incarné par un Hollande aussi mou que faible et qu'impopulaire, ce qui ne représente pas une menace bien forte pour une Allemagne qui vient psychologiquement de refermer ses plaies intellectuelles suite à la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne a changé. L'Allemagne s'ouvre et ne souffre plus du complexe du profil bas exigé par les conséquences de l'aventure hitlérienne.
Alors oui, il finira bien par y avoir une « refonte de l'union monétaire », et elle risque de ressembler furieusement à un éclatement, mais aucune inquiétude à avoir. François voit la reprise au coin de la rue, avec un ralentissement de la pause fiscale...