Le retour de la question allemande

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Par Guillaume Duval Modifié le 2 mai 2013 à 12h08

Le débat est relancé sur les politiques d'austérité menées partout en Europe qui ont fait replonger la zone euro dans la récession. Malgré leur caractère manifestement contreproductif, y compris sur le plan du désendettement public, le gouvernement allemand – largement soutenu par son opinion publique sur ce sujet - n'en démord pas pour l'instant. Une situation à proprement parler tragique : cette attitude est parfaitement compréhensible d'un point de vue allemand mais suicidaire pour l'Europe. Et in fine pour l'Allemagne aussi...

L'effet Schröder : une erreur de diagnostic
L'Allemagne s'en sort aujourd'hui indéniablement moins mal que les autres. Les Allemands sont persuadés que c'est dû en premier lieu aux réformes menées par le chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000. Il s'agit cependant d'une erreur de diagnostic. En sept années, le chancelier social-démocrate avait surtout fait de notre voisin un pays qui compte désormais plus de pauvres et davantage d'inégalités que la France, fragilisant la cohésion sociale, point fort traditionnel de l'Allemagne.

Il a aussi dégradé les infrastructures collectives du pays du fait d'une pression excessive sur les dépenses publiques. Ce qui ne l'avait pas empêché d'ajouter 390 milliards d'euros à la dette publique à cause de la forte baisse des impôts sur les plus riches et les entreprises et de la stagnation de l'activité. Pas tout à fait autant que Nicolas Sarkozy en France, mais tous deux jouaient dans la même catégorie.

Le rebond allemand a d'autres causes
En réalité, c'est plutôt malgré Schröder que grâce à Schröder que l'Allemagne s'en sort moins mal que d'autres aujourd'hui. Le pays continue tout d'abord de bénéficier des avantages considérables de sa très longue histoire de décentralisation. Du fait que l'Allemagne n'a jamais eu de Paris, on trouve sur tout le territoire suffisamment de capital financier, mais aussi culturel, humain, social pour investir, innover, exporter...

Le « chancelier des patrons », comme on appelait Schröder outre Rhin, n'avait ensuite - heureusement- pas eu le temps de remettre en cause les pouvoirs très importants qu'ont les représentants des salariés dans les entreprises allemandes. Ils expliquent pour une bonne part que l'industrie allemande adopte des stratégies de long terme car leurs dirigeants sont moins soumis qu'ailleurs à la seule pression court-termiste des actionnaires.

La relative bonne santé actuelle de l'Allemagne est liée aussi –paradoxalement - à sa démographie déprimée qui a permis d'économiser beaucoup de dépenses publiques et privées du fait de ne pas voir d'enfants et de jeunes à loger, nourrir, soigner, éduquer... Cela a évité en particulier à nos voisins toute bulle immobilière, facilitant ainsi une évolution modérée des salaires.

L'intégration des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union a également beaucoup aidé l'Allemagne dans les années 2000 en la dotant d'un Hinterland à bas coût, améliorant ainsi sensiblement la compétitivité de son industrie. Celle-ci a bénéficié enfin de sa spécialisation traditionnelle – très antérieure à Gerhard Schröder – dans les biens d'équipements et les automobiles haut de gamme au moment où la demande des pays émergents pour ce type de produits a explosé.

Depuis 2009, l'économie allemande bénéficie en outre de taux d'intérêt exceptionnellement bas tandis que de la baisse sensible de l'euro face au dollar entraînée par la crise a beaucoup favorisé ses exportations hors zone euro.

Le Schröderisme généralisé est mortel pour l'Europe
Malheureusement les Allemands s'imaginent à tort que c'est grâce à Schröder qu'ils s'en sortent aujourd'hui. Et, logiquement, ils considèrent que les autres doivent à leur tour subir les saignées des Diafoirius de l'austérité généralisée s'ils veulent bénéficier de l'aide européenne. Une attitude compréhensible mais suicidaire : la politique de Gerhard Schröder n'avait pas eu de conséquence plus négative encore pour l'Allemagne et pour l'Europe, uniquement parce que nos voisins étaient seuls à la mener à l'époque.

Comme on le constate actuellement, le schröderisme généralisé aboutit nécessairement à la récession et à l'explosion du chômage et avec elles à l'exacerbation des tensions nationalistes et xénophobes. Avec à la clef un risque bien réel d'explosion de la zone euro et de mise en cause de l'ensemble de la construction européenne. Un processus qui affecterait au premier chef l'industrie allemande, très dépendante malgré tout du marché européen, ainsi que les épargnants allemands qui ont placé une part significative de leur bas de laine dans le reste de l'Europe (c'est la contrepartie inévitable des excédents extérieurs allemands).

Il y a urgence
C'est Joschka Fischer, l'ancien ministre vert des Affaires étrangères allemand, qui a le mieux décrit l'absurdité de ce qui se passe sous nos yeux. « Il serait à la fois tragique et ironique que l'Allemagne réunifiée provoque pour la troisième fois, par des moyens pacifiques cette fois et avec les meilleures intentions du monde, la ruine de l'ordre européen », écrivait-il en mai dernier [1].

Malheureusement, nul n'est prophète en son pays. Il est de la responsabilité de chacun(e) de ceux qui sont attachés au projet européen, de chacun(e) des ami(e)s véritables de l'Allemagne de tirer le signal d'alarme pour amener le peuple et les dirigeants allemands à ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard. Et il y a urgence...

(1) Joschka Fischer, « L'amnésie allemande, un grave danger pour l'Europe », Project syndicate, mai 2012

Par Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques et auteur de « Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes », aux éditions du Seuil.

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Rédacteur en chef d'Alternatives économiques et auteur de « Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes », aux éditions du Seuil. Crédit photo: Hermance Triay

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