En mars 2020, lorsque le confinement s'est généralisé à travers le monde en réponse à la pandémie, les consommateurs ont craint un effondrement des chaînes d'approvisionnement. Cela a notamment conduit à une ruée sur les denrées alimentaires comme la farine, les pâtes et les aliments en conserve. Certes, de nombreux pays voient rebondir leurs économies, mais nous ne devons pas oublier les dégâts secondaires terribles et disproportionnés occasionnés par le Covid-19 sur les populations les plus pauvres toujours aux prises avec la pandémie.
Dès les premiers jours de la pandémie, les restrictions aux frontières, les confinements et les mesures de distanciation sociale ont perturbé l'activité des exploitations agricoles et des usines, la production de matières premières et de produits finis. Certains gouvernements, y compris en Russie, le principal exportateur de blé de la planète, et au Vietnam, le quatrième plus grand exportateur de riz, ont imposé des quotas d'exportation qui ont été atteints en quelques semaines. Le 21 avril 2020, les ministres de l'agriculture du G20 ont averti que les mesures d'interdiction d'exporter, destinées à protéger la production domestique, pourraient créer des pénuries et une flambée des prix. Ces préoccupations sont particulièrement vives dans les pays moins avancés.
Les craintes liées aux chaînes d'approvisionnement sont compréhensibles. Dans les années 1980, l'économiste Paul Seabright a écrit qu'un politicien soviétique chargé de préparer la transition du communisme vers l'économie de marché avait demandé qui était responsable de l'approvisionnement en pain de la ville de Londres. De la même manière qu'il était difficile pour un dirigeant soviétique de croire que personne n'était en charge de gérer la chaîne du pain de la ferme à l'assiette du consommateur, au début de la pandémie, il était difficile de croire que la chaîne alimentaire était assez résiliente pour continuer à croître, à conditionner et à distribuer.
Pourtant, au niveau international, le réseau a continué à produire et à distribuer des aliments. Selon les prévisions, la production mondiale de céréales devrait atteindre un record de 2.790 millions de tonnes cette année, 3% de plus qu'en 2019, selon la FAO, et les quotas imposés par les gouvernements tendent à disparaître.
En 50 ans, la population mondiale a doublé, mais grâce à l'amélioration des techniques agricoles, la proportion de personnes souffrant de malnutrition a reculé d'un tiers à un dixième environ. Quelque quatre cinquièmes du régime alimentaire de la population planétaire dépend des importations, et les exportations ont été multipliées par six depuis 1990. Alors que les technologies ont transformé les pratiques agricoles, la digitalisation a transformé la logistique et les chaînes d'approvisionnement. Au moment où de nombreuses économies en Europe et en Asie émergent du confinement, la logistique ne s'est pas avérée le maillon faible de la chaîne alimentaire.
Transport et main d'œuvre
Ces succès sont à mettre au crédit de la technologie. Toutefois, ils masquent des défis à long terme. Il existe des disparités au sein des chaînes d'approvisionnement: la viande, les légumes ou les produits laitiers, par exemple, nécessitent une main d'œuvre importante et souffrent de pénurie de travailleurs et de capacités de stockage. En revanche, les denrées telles que les céréales ou le soja sont plus faciles à stocker.
Le transport maritime occupe une part importante des défis logistiques. Il concerne 80% du volume du commerce mondial et dépend de deux millions de membres d'équipage. De nombreux cargos ont navigué des mois durant et sont sur le point d'enfreindre la limite de 11 mois imposée par les lois internationales du travail parce qu'ils doivent se soumettre aux mesures de quarantaine dans les ports. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), estime que chaque mois quelque 300 000 marins et travailleurs offshore doivent rentrer chez eux depuis les ports du monde entier et a demandé que les équipages soient traités comme des « travailleurs essentiels » à l'instar du corps médical.
Deuxièmement, les travailleurs migrants nécessaires à la production et la transformation d'aliments ne peuvent plus voyager pour participer aux récoltes. Les ouvriers agricoles qui ne gagnent plus de salaires devront rogner sur leurs dépenses, tandis que les exploitants agricoles qui ne peuvent récolter leurs champs ne pourront convertir leur production en revenu, ni réinvestir en fertilisants et en semences pour la saison suivante, accélérant ainsi le cercle vicieux de la pauvreté.
Tous ces éléments se traduiront par une augmentation dramatique des personnes souffrant de malnutrition dans le monde.
La semaine dernière, le Programme alimentaire mondial (PAM) a déclaré qu'il prévoit de nourrir plus de personnes cette année que jamais durant son histoire. Le nombre de personnes souffrant de la faim et dépendant des distributions de vivres pourrait augmenter à 270 millions d'ici à fin 2020, a déclaré l'agence onusienne, contre un précédent record de 97 millions en 2019. « En attendant de disposer d'un vaccin, la nourriture est le meilleur vaccin contre le chaos », a dit David Beasley, directeur exécutif du PAM. La famine nourrit les troubles sociaux, la migration et les conflits entre populations « qui étaient autrefois à l'abri de la faim », a-t-il ajouté.
Dans les pays importateurs nets d'aliments, l'ONU estime que les populations sous-alimentées augmenteront de 70-120 millions à 900 millions suite à la pandémie de Covid-19. Cela aura des répercussions sur la santé des populations et leur résistance aux maladies.
L'essentiel des revenus des régions les plus affectées, comme l'Afrique et l'Amérique latine, dépendent des exportations de leurs matières premières. Du pétrole au café, en passant par le coton et les minéraux, les prix se sont effondrés. Avant qu'ils ne remontent, il est peu probable que l'on assiste à un retour aux niveaux d'activité économique pré-pandémique dans de nombreuses économies.
Même les pays à revenu moyen, comme le Pérou, le Chili et le Brésil, souffrent d'une hausse spectaculaire de la faim, a indiqué le chef économiste de la FAO, Máximo Torero Cullen lors d'une discussion en ligne organisée le mois dernier à Genève par l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). La décision prise mi-avril par les pays du G20 de suspendre le paiement de la dette de 76 pays à faible revenu jusqu'à fin 2020 ne suffira pas à empêcher que les populations des pays les plus touchés ne souffrent de la faim, a ajouté M. Torero Cullen.
Un soutien monétaire et fiscal adéquat est nécessaire pour de nombreuses nations qui ont besoin de solutions à long terme. Au niveau institutionnel, le Fonds monétaire international a par exemple accordé au Pérou une ligne de crédit de deux ans d'un montant de 11 milliards de dollars.
La finance de développement joue également un rôle dans ce processus de reprise. Dans le cadre de leur soutien aux 17 objectifs de développement durable de l'ONU (ODD), de nombreuses institutions financières ont créé des fonds en actions et de crédit conçus pour aider les petites entreprises et les individus des pays moins avancés à atteindre leurs objectifs sociaux et environnementaux. Les institutions de microfinance disposent de l'expérience requise pour gérer les crises en maintenant la liquidité, en restructurant la dette et en coordonnant leurs actions avec celles des autres acteurs de la finance. La microfinance soutient les plus vulnérables, le plus souvent les populations rurales des pays en développement et, grâce à un horizon à long terme, les fonds restent investis en période de crise. Alors que la récession mondiale se fait durement sentir, la continuité de l'accès aux services bancaires, et plus récemment à ceux de l'éducation et de la santé qu'offrent ces structures, est vitale pour les populations vulnérables.