Le feuilleton Aigle Azur n’en finit plus de s’étoffer. Après qu’Air France et le groupe Dubreuil ont décidé de retirer leur offre de reprise, Lionel Guérin et Philippe Micouleau, dans un revirement inopiné, sont revenus à la table des négociations. Avec une offre inattendue, aux contours empreints d’irrégularités.
On les pensait partis pour de bon. Lionel Guérin et Philippe Micouleau sont finalement revenus à la table des négociations, après avoir quitté la course à la reprise d’Aigle Azur récemment. Cette fois, en revanche, les deux anciens de Hop ! (une filiale d’Air France en charge des vols régionaux) ne sont pas venus les mains vides. Nantis de près de vingt millions d’euros en provenance d’une opaque société espagnole, DFO Oil Product, Lionel Guérin et son associé promettent déjà monts et merveilles à Hélène Bourbouloux, l’administratrice provisoire de la compagnie nommée à l’été : à savoir la reprise de l’essentiel de l’activité et le maintien dans leur poste de 787 salariés sur les 1150 que compte Aigle Azur.
Séduisante sur le papier, la mariée serait-elle toutefois trop belle ? Selon les éléments à notre disposition, il semblerait en effet que la proposition du couple Guérin – Micouleau soit entourée d’irrégularités.
Fi des conditions suspensives
De fait, l’offre du tandem n’est pas sans clauses suspensives puisqu’elle est conditionnée à l’obtention d’un prêt de « 15 millions d’euros » de la part de l’État. Une condition qui pourrait frapper d’irrecevabilité la proposition de Lionel Guérin et Philippe Micouleau, puisque l’administratrice judiciaire en charge de la procédure de remise des offres a exclu par principe toute condition suspensive.
Et même en cas d’acceptation par le Tribunal de commerce d’Evry, un tel prêt de l’État serait automatiquement illégal au regard du droit de l’Union européenne puisqu’il s’agirait d’une aide directe n’ayant fait l’objet d’aucune notification préalable à la Commission.
À cette illégalité s’ajouterait par ailleurs une violation du principe d’égalité entre les postulants. Pourquoi l’État accorderait-il un tel prêt au tandem Guérin-Micouleau sans le proposer à l’identique aux autres candidats ?
Cela interroge d’autant plus dans la mesure où les deux hommes ont les faveurs du secrétaire d'État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari. L’ex-pilote de ligne a fréquemment fait savoir que sa préférence allait aux deux dirigeants, anciens pilotes comme lui. « Lionel Guérin, l'ancien PDG de Hop !, par exemple, est accompagné d'une équipe reconnue dans le monde de l'aviation, avec un soutien financier crédible », expliquait-il récemment.
L’entreprise espagnole DFO Oil Products Trading SL, qui incarne « ce soutien financier crédible », est d’ailleurs bien mystérieuse. Sur InfoEmpresa, l’équivalent du site français Infogreffe, peu d’informations filtrent sur la société espagnole.
On apprend que son incorporation est récente (le 24 juin 2019) et que son propriétaire, un certain A.H. Alabader Yousef, est un illustre inconnu. En outre, le capital social de la société, qui s’élevait à 3000 euros en juin, alimente l’hypothèse d’une coquille vide, voire d’un véhicule financier qui cacherait les donneurs d’ordre finaux. Une vraie source d’inquiétude quand on sait que la société de droit espagnol détiendrait 70% du capital d’Aigle Azur en cas de reprise, selon les informations de La Tribune.
Zones d’ombres et remous
D’autres zones d’ombre entourent les relations entre Lionel Guérin et l’ex-président de la compagnie, Frantz Yvelin. Ainsi, le 11 septembre, les deux hommes se seraient rencontrés secrètement, en marge du comité d’entreprise, et sans en informer ni l’administratrice provisoire ni les employés. Alertée de cette rencontre par des salariés vigilants, Hélène Bourbouloux n’aurait pas, selon nos informations, pris de mesures sanctionnant l’écart. Cette « star des administrateurs judiciaires », reconnue par ses pairs pour son professionnalisme, sait pourtant que cette rencontre fait peser un risque de conflits d’intérêts sur la vente de la compagnie.
La perspective du rachat par Lionel Guérin inquiète également en interne, contrairement à ce qui avait été avancé auparavant par Martin Surzur, président du syndicat de pilotes SNPL d'Aigle Azur. Si celui-ci clame que le tandem Guérin-Micouleau est « le seul repreneur qui a pour ambition de maintenir Aigle Azur dans son intégrité », cette information ne fait plus sens à l’aune de la nouvelle offre qui s’approche sensiblement de celle de ses rivaux.
Autre point qui pourrait faire grincer des dents, l’offre des deux Français porte sur « la totalité du fonds de commerce », c’est-à-dire y compris la trésorerie réservée en Algérie qui s’élèverait à une dizaine de millions d’euros. Les conditions fixées par l’administratrice judiciaire indiquaient pourtant que cette manne ne devait pas être prise en compte dans le deal final. Le recours à la trésorerie algérienne est en effet un sujet explosif. D’abord parce qu’un tribunal français ne peut pas statuer sur des actifs situés à l’étranger. Toute décision du tribunal de commerce d’Evry sur le sujet serait donc perçue à raison par un acte d’ingérence manifeste par Alger.
Mais aussi parce qu’elle s’ajouterait aux tensions inhérentes au dossier depuis le début du processus de liquidation. « Les Algériens étaient très mécontents de la présence d’Air France à l’offre de reprise » nous confiait une source diplomatique, pour qui la présence de la compagnie porte-drapeau poserait question. Or, ce mécontentement pourrait s’étendre à Lionel Guérin, toujours très proche de la compagnie nationale. D’aucuns jugeraient que l’offre de l’ex dirigeant d’Hop ! serait un faux-nez d’Air France, qui s’est opportunément retiré du processus de reprise, juste avant le retour de Lionel Guérin à la table des négociations. Coïncidence troublante.