L’affaire Saal revient. Selon Le Point, le Président de la République a prononcé, par décret, une sanction d’exclusion de la fonction publique de 2 ans, dont 6 mois fermes, à l’encontre d’Agnès Saal, épinglée pour avoir consommé 40.000 euros de taxi aux frais du contribuable, dont une partie substantielle pour son fils. Cette ténébreuse affaire trouve ici un épilogue qui soulève quelques questions de fond, tant son traitement est exorbitant du droit commun.
Agnès Saal et la procédure pénale
L’anomalie la plus criante consiste à avoir décidé d’une sanction disciplinaire sans que la Justice n’ait fait son oeuvre. Une enquête préliminaire est en cours. La tradition statutaire dans la fonction publique veut que l’autorité administrative attende la fin de la procédure pénale avant de statuer.
Cette prudence s’explique par une raison simple: si Agnès Saal est reconnue innocente par le Parquet ou par les juges du siège, la sanction administrative se justifiera difficilement. Si elle est reconnue coupable, la décision d’exclusion pourra paraître faible au regard des motifs retenus par le juge ou de la qualification pénale qu’il choisira de donner. Dans tous les cas, l’ordre habituel, conforme à l’esprit démocratique, veut que le pouvoir exécutif ne se fasse pas justice lui-même sans que l’autorité judiciaire n’ait pu officier en toute liberté.
Les soutiens d’Agnès Saal ne devraient d’ailleurs pas manquer cette étrange manière faite par François Hollande à la séparation des pouvoirs…
Agnès Saal et l’abus de biens sociaux
Au-delà de ce point technique qui n’est pas sans importance, toute la question est bien entendu de savoir si la sanction prise par le Président de la République est proportionnée aux faits. Chacun est libre d’en juger, mais les chefs d’entreprise ou les mandataires sociaux qui connaissent bien les dispositions applicables aux abus de biens sociaux resteront un peu sceptiques.
Peu de cadres dirigeants dans nos entreprises peuvent se targuer d’être pris « la main dans le sac » sur une affaire de 40.000 euros en quelques mois sans s’exposer à des procédures un peu plus répressives que la sanction prise à l’encontre d’Agnès Saal. Pour moins que ça, certains ont fait l’objet de révocation ad nutum, « sur un signe de tête », de la part de leur conseil d’administration, sans préjuger des poursuites pénales qui pouvaient s’en suivre.
J’ai notamment à l’esprit le cas d’un directeur général de mutuelle qui avait eu le mauvais goût de faire financer son pot de remise de Légion d’Honneur par son entreprise et qui s’était acheté quelques costumes avec la carte de crédit de la maison. L’histoire s’était achevée de façon extrêmement brutale et beaucoup moins « sursitaire » que dans le cas d’Agnès Saal.
Cela ne signifie pas que la sanction prise à l’encontre d’Agnès Saal soit trop indulgente ou trop douce. Simplement, l’Etat gagnerait à reconquérir le terrain de sa crédibilité en adaptant son droit disciplinaire aux réalités comparables dans le secteur privé. S’agissant de faits ressemblant en tous points à l’abus de bien social de la part d’un dirigeant, cette comparaison mériterait d’être poussée jusqu’au bout.
Agnès Saal et l’exemplarité
Reste un problème de fond, celui sur lequel buteront désormais tous les membres des conseils de discipline de France. Le décret du Président de la République va faire précédent. On sait maintenant que le pouvoir exécutif considère qu’une juste sanction pour une prévarication à hauteur de 40.000 euros donne lieu à une sanction de 6 mois d’exclusion fermes.
Mesurons bien ce que cela signifie.
Le douanier qui chourave un ou deux paquets de cannabis tombés du cul de l’avion, pour une valeur de quelques milliers d’euros, négociera désormais sa sanction à la baisse. Plus question de le révoquer pour faute grave ! avec un peu de bon sens, il évoquera sa grand-mère malade, son enfance malheureuse, son divorce en cours pour justifier un moment d’égarement et demander l’indulgence du jury. « Vous comprenez, Monsieur, vous ne pouvez pas me demander ce que vous ne demandez pas à un énarque ». Et hop! sanction réduite à néant ou presque.
Et que dire de ces agents hospitaliers qui ont accès, parfois, à tous les biens des personnes dont ils s’occupent, qui gagnent le SMIC, qui ont des fins de mois difficiles, qui comptent le moindre sou à Noël pour offrir des cadeaux à leurs enfants, et dont l’esprit pourra désormais vagabonder en considérant que 40.000 euros dans la poche ne coûtent pas plus de six mois de suspension?
L’affaire Saal est embarrassante parce que personne ne peut souhaiter qu’une main lourde s’abatte sur son prochain. Mais il est clair que François Hollande vient de réviser sévèrement à la baisse l’échelle des sanctions dans le service public.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog