Les agences de notation extra financières entre démarches louables et opacité

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Par Michel Delapierre Modifié le 3 juillet 2019 à 14h20
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@shutter - © Economie Matin

Non, les entreprises ne sont plus seulement des machines à créer de la valeur à tout prix. Selon une étude publiée par UBS au mois de juin auprès de plus de 600 investisseurs, les gérants d’actifs seraient 65 % à prendre en compte les critères ESG (environnement, social et bonne gestion) dans leurs décisions d’investissement. Ces critères pourraient même, dans un avenir proche, être privilégiés par les investisseurs européens par rapport aux performances strictement financières.

L’exemple le plus frappant de cette nouvelle donne est sans doute celui du fond souverain norvégien qui, bien que nourri par les hydrocarbures nationaux, va désormais se détourner des producteurs de charbon, jugé trop polluant.

Suivant cette évolution, les agences de notation extra financières proposant d’évaluer les entreprises selon les critères ESG ont le vent en poupe et pèsent de plus en plus sur la santé financière globale des entreprises. Les agences anglo-saxonnes tiennent le haut du pavé, citons parmi les plus connues, MSCI, Sustainalytics, Oekom désormais ISS ESG. Mais les françaises ne sont pas en reste : EthiFinance, Vigeo Eiris. Le marché est mouvant, porteur et attire les acteurs de la notation financière comme le montre le récent rachat de Vigeo Eiris fondée par Nicole Notat par le géant américain Moody’s.

Toutefois, face au pouvoir grandissant de ces agences, de nombreuses voix s’élèvent pour mettre en question leurs procédures d’analyses, réputées moins « objectives » que des analyses strictement financières.

Opacité et subjectivité

Selon un gestionnaire d’actifs parisien en pointe sur ces questions, « tout le problème de cet univers est la subjectivité. Certaines agences sont très environnementales, d’autres sont plus sociales, d’autres encore privilégient la bonne gouvernance. Donc, les notations diffèrent d’une agence à l’autre et sont basées sur des critères subjectifs. »

En France, la mise en place par le ministère des Finances du label ISR (Investissement Socialement Responsable), censé valoriser les entreprises agissant pour « un monde plus responsable », a placé ces nouvelles agences en position de force. Et certaines savent en profiter: « Dans certains cas, le « rating sauvage », désormais régulé dans le monde du crédit, permet une forme de chantage, j’ai déjà reçu des appels du genre « votre communication ISR n’est pas bonne, vous êtes dans le dernier quartile de notre classement mais nous pouvons vous aider à l’améliorer ». Même si ces pratiques sont en recul, le secteur pâtirait donc de l’absence d’un code de bonne conduite pour le réguler.

Une question à laquelle l’autorité des marchés européenne, l’ESMA, tente de s’attaquer. Si elle n’envisage pas, pour l’instant, une régulation à proprement parler pour les agences ESG, elle a publié au mois de décembre 2018 un document de consultation à l’attention des agences de notation financières visant à améliorer la qualité des informations fournies à leurs utilisateurs. L’ESMA insiste également sur la nécessité d’une plus grande transparence quant à l’utilisation des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance, utilisés par les agences. Une préoccupation qui vise spécifiquement à soutenir le plan d'action de la Commission européenne en faveur d'un financement durable.

Dès lors, comment comprendre que certaines agences continuent à délivrer des labels ESG aux grands groupes pollueurs, producteurs de tabac et autres marques automobiles connues pour avoir dupé le marché pendant des années. Quels secteurs doivent conserver leur place dans ces classements ? Les producteurs d’armes ou d’alcool doivent-ils par principe être exclus ? Pour ce même gestionnaire, « le label ISR mis en place par l’État montre la bonne direction, mais laisser les agences de notation ESG sans un minimum de règles ou d’obligation de transparence gâche les efforts. »

Les entreprises globalement critiques

Une partie de ces critiques est reprise dans une étude publiée par le MEDEF, l’Afep, le Cliff et le C3D au mois de février dernier. Cette étude émane directement des entreprises adhérentes qui ont demandé à l’organisation patronale de réaliser une enquête pour comprendre quelles étaient les pratiques de ces agences et comment ces pratiques étaient vécues par les autres entreprises du SBF 120.

Pour les spécialistes de la question RSE au MEDEF, une partie de leurs adhérents se plaignent de l’opacité des procédures de notation et « du manque de visibilité sur l’utilisation des données par les investisseurs, car c’est un peu une boîte noire, avec peu d’échanges réels entre les entreprises et les analystes. » Pour le MEDEF, un des problèmes récurrents perçus par les entreprises est le manque de séparation entre les activités de notation et de conseils. En effet, certaines agences portent les deux casquettes – elles notent et conseillent aussi les entreprises sur la façon d’améliorer leur notation - au risque de brouiller la lisibilité de leurs objectifs. « Dans d’autres cas, l’activité de conseil n’est pas réalisée par l’agence elle-même, mais par des cabinets sous-traitants qui conseillent les entreprises sur la manière de bien remplir les questionnaires RSE. Tout cela reste un peu flou ». Un sujet qui s’explique parfois par un manque de communication entre les agences et les entreprises notées mais qui soulève tout de même de réelles interrogations éthiques. Dans cet univers encore peu régulé et largement opaque, le MEDEF souligne notamment la question de la nationalité des agences et leur objectivité concernant des entreprises étrangères. « Nous ne sommes qu’au début d’une démarche visant à aboutir à quelque chose de plus clair et précis. »

UN Global Compact

Pour Lila Karbassi, en charge pour l’ONU des programmes du Global Compact, une initiative qui vise à promouvoir auprès des entreprises un cadre d'engagement s’articulant autour de 10 principes relatifs au respect des Droits Humains, aux normes internationales du travail, à l'environnement et à la lutte contre la corruption, « les préoccupations financières sont différentes des nôtres. Notre seule préoccupation est de savoir si le travail des agences de notation ESG va aider à faire avancer le mouvement de la durabilité ou pas. Pour nous, les incidences de leur notation sur le marché sont secondaires. » Ainsi, selon le UN Global Compact, mis à part les entreprises dont les revenus proviennent de la production de mines anti personnelles, de bombes à sous-munition et de tabac, aucune entreprise ne doit par principe être exclue : « par exemple, nous souhaitons travailler avec les entreprises minières, car il y a beaucoup de difficultés avec ce secteur. Nous souhaitons donc que ces entreprises participent à nos groupes de travail, fassent un rapport public sur leurs progrès. »

Noter pour sévir ou pour encourager, les agences de notations ESG oscillent encore.

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