Affaire Playboy : la diffusion d’oeuvres à travers des liens hypertextes est répréhensible

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Par Antoine Chéron Publié le 21 septembre 2016 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
13,2 millionsEn 2013, 13,2 millions de Français ont consulté un site de téléchargement illégal.

Le 8 septembre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a fait un grand pas en avant dans l'extension de la notion de communication d'une œuvre au public.

Cette notion est fondamentale puisqu’elle permet de caractériser la violation d’un droit d’auteur. Depuis plusieurs décennies, la Cour de justice de l’Union européenne est confrontée à la diffusion des films, livres, photographies, musiques, etc. sur internet. C’est un support qui permet une diffusion massive, voire virale et qui est surtout aisée pour tout un chacun puisqu’il suffit simplement de partager un lien pour offrir un accès à l’œuvre.

En effet, les liens hypertextes permettent de renvoyer directement les internautes vers d’autres sites. Ils font écran entre celui qui le propose et le contenu vers lequel celui qui clique est dirigé, ce qui peut donner un sentiment d’impunité. C’est pourquoi on peut légitimement penser que le responsable de la diffusion est avant tout celui qui exploite le site sur lequel on peut avoir directement accès à l’œuvre protégée et non celui qui fournit un lien hypertexte.

Des photos Playboy à l’origine du revirement de jurisprudence

En l'espèce, le site internet hollandais GeenStijl a placé des liens hypertextes renvoyant à d'autres sites permettant de voir des photos réalisées pour le célèbre magazine Playboy avant que ce dernier ne les publie en exclusivité. Les photos étaient sur un site dédié au stockage des données, et avaient manifestement fait l’objet d’une fuite. Ce site a accepté de retirer les photos, mais GeenStijl a proposé aux internautes de nouveaux liens pour les trouver. Saisie de ce litige, la Cour suprême des Pays-Bas a demandé à la CJUE si le site internet avait violé les droits d'auteur du magazine en insérant ces liens hypertextes.

Autrement dit, est-ce que le simple fait de proposer aux internautes des liens vers des œuvres protégées sans l'autorisation du titulaire des droits d'auteur constitue une communication au public susceptible d'être sanctionnée en tant que telle ? Pour la première fois, la Cour de Luxembourg a explicitement répondu par l'affirmative. L’écran que constitue le lien hypertexte n’est donc que fumée.

Une solution aux lourdes conséquences pour les acteurs du Web

La solution s’inscrit dans une répression croissante des comportements sur internet par Cour et des autorités de l’Union européenne en général sur le fondement du droit de la propriété intellectuelle. L’arrêt du 8 septembre marque plus particulièrement la volonté du juge de responsabiliser les sites internet qui proposent en toute connaissance de cause des liens conduisant à un contenu piraté. Il est donc probable que de tels sites iront s’héberger hors Union pour échapper à cette jurisprudence.

Prise textuellement, la solution peut potentiellement s’appliquer aux particuliers qui trouvent ce contenu et le partagent publiquement, par exemple sur les réseaux sociaux. Mais il ne faut pas minimiser le fait que dans le cas Playboy, l'œuvre n'avait pas encore été publiée par le titulaire et ces liens avaient été placés à des fins lucratives. Ces deux éléments casuistiques justifient la rigidité d'une telle solution et il appartient à la Cour d'en définir les contours.

En conclusion, il semblerait que l’arrêt Playboy vise principalement à sanctionner ceux qui proposent à titre professionnel ou quasi-professionnel des liens menant à des contenus manifestement illégaux. Les sites de streaming et de téléchargement sont tout particulièrement dans le collimateur du juge européen à travers cette jurisprudence, puisqu’ils pourront dorénavant être directement condamnés pour contrefaçon de droit d’auteur.

Mais comme la Cour l’a elle même relevé, il convient de maintenir un juste équilibre entre le respect des intérêts des titulaires de droits de propriété intellectuelle et la liberté d’expression et d’information des usagers du web, à laquelle les liens hypertextes contribuent. Il appartiendra aux juges nationaux de prendre en compte ces impératifs lorsqu’ils devront résoudre des cas similaires à la lumière de cette décision, et ce en vertu du principe d'interprétation conforme auquel ils sont astreints.

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Antoine Chéron est avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC.

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