Affaire Leonarda : quand la NSA vient au secours de François Hollande

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 21 octobre 2013 à 19h34

Allons droit au but : la "découverte" lundi 21 octobre 2013, de l'espionnage de la France - ses entreprises et ses citoyens - par la National Security Agency américaine, est tout sauf due au hasard. Elle arrive bien au contraire fort à propos pour tenter de faire oublier la calamiteuse affaire Leonarda.

Comment un modeste journaliste, votre serviteur, peut-il affirmer de manière aussi péremptoire que l'affaire de la NSA espionnant la France arrive à point nommé pour tenter de faire oublier le désastre Leonarda ?

Le journal Le Monde ne peut rien refuser à l'Elysée

D'abord, la connaissance de mon métier : le lundi est dans toutes les rédactions de quotidiens un "jour à scoops", destinés à relancer les ventes après la pause du week-end. La nouvelle de la NSA espionnant la France tombait donc à point nommé pour le Monde. On peut raisonnablement penser que "l'info" était entre les mains du quotidien depuis quelques jours, et qu'il a été décidé de la sortir du marbre (le frigo des journalistes) ce lundi autant pour des raisons commerciales que pour des raisons politiques.

Ensuite, parce qu'il est de notoriété publique que les relations que le Château (l'Elysée) entretient avec le quotidien Le Monde (et ses actionnaires de référence, Mathieu Pigasse et Pierre Bergé) font que le quotidien du soir n'a pas grand chose à refuser au pouvoir en place, en particulier quand celui-ci est du même bord. Renforcer le scoop (qui n'en est pas un, comme démontré plus bas) en faisant un peu d'agitation (Fabius convoquant l'ambassadeur américain, Ayrault feignant l'indignation), tout cela fleure bon l'indignation d'opérette.

Espionnage par la NSA : une affaire vieille de... quinze ans

Enfin et surtout, parce que ce que l'on feint de découvrir depuis lundi midi en poussant des cris d'orfraie est tout simplement parfaitement connu depuis des années. Il suffit, pour s'en convaincre, de taper le seul mot "Echelon" dans Google. En quatrième position sort un article de Philippe Rivière, paru dans le Monde Diplomatique en ... 1999, et expliquant par le menu le fonctionnement du système d'écoute mis en place par les Etats-Unis en s'appuyant sur ses partenaires (dont la Grande Bretagne, l'Australie et.. L'Allemagne).

Que dit Rivière en 1999 ? Il cite Steve Wright, chercheur à la Fondation Omega, une organisation britannique de défense des droits humains, qui explique dans un rapport remis au Parlement Européen en... janvier 1998 "Echelon est principalement dirigé contre des cibles non militaires : gouvernements, organisations et entreprises dans virtuellement tous les pays. (...) Bien que beaucoup d’informations [NDLR : recueillies par le système] concernent de potentiels terroristes, il s’y produit beaucoup d’intelligence économique, notamment une surveillance intensive de tous les pays participant aux négociations du GATT [NDLR : l'ancêtre de l'OMC, l'organisation mondiale du commerce]".

Les Etats-Unis écoutent la France depuis des années sans en être réellement empêchés

On sait donc depuis quinze ans que les américains écoutent l'Europe dans les grandes largeurs, et en particulier la France. La différence avec d'autres pays, comme la Grande-Bretagne ou même l'Allemagne, c'est que ces deux pays participant peu ou prou au programme d'écoute Echelon et à ses successeurs, les centrales d'espionnage américaines dont la NSA partagent une partie des données avec eux. Y compris celles sur... la France, ses entreprises, ses négociations, ses contrats.

Aussi, le bluff de Laurent Fabius, convoquant sine die l'ambassadeur des Etats-Unis, de Jean-Marc Ayrault, en déplacement à l'étranger, estimant que de tels écoutes "d'un pays ami, d'un allié, sont inacceptables , en dit long sur le désarroi de l'exécutif face à la calamiteuse affaire Leonarda. Tous les moyens sont bons pour tenter d'allumer un contre-feu, y compris de se couvrir de ridicule aux yeux de ceux qui savent.

Les malheurs d'Alcatel Lucent ne sont pas étrangers à ces affaires d'espionnage

Mais la méthode est efficace : lundi soir, au JT de TF1 et de France 2, l'espionnage est bon premier sujet. Forcément, un épisode "inédit" de James Bond en ouverture du journal télévisé, sans en payer le prix, difficile de résister pour une rédaction correctement dirigée. Résultat, Leonarda, histoire qui est aussi en train de s'étouffer après plusieurs jours de rebondissements, a terminé en troisième titre.

Mais la ficelle est grosse. Normalement, dans les prochains jours, quotidiens et newsmagazines publieront des enquêtes expliquant que tout le monde savait, que le désarroi dans lequel Alcatel-Lucent est plongé depuis plusieurs années - il est des industriels plus dociles que d'autres - n'est pas étranger à tout cela, que les chinois ne sont pas en reste... Ou pas.

Une chose est sûre : le jour où un gouvernement s'attaquera au coeur de ce problème d'espionnage industriel et politique, on n'en entendra normalement pas parler. Si c'est le cas, c'est que la contre-offensive aura échoué.

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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