« 'Assez de comprendre le monde : il s'agit maintenant de le transformer'. Fort bien. […]. Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? On continue ? Ce qui veut dire qu'on accélère. Et qu'en définitive on comprend de moins en moins ». Cette phrase de Julien Gracq, tirée du recueil de fragments Noeuds de vie, pourrait s'appliquer de manière involontaire à la "dynamique" de transformation de la sphère publique engagée en France depuis le début des années 1990.De fait, la transformation de l'action publique n'apparaît plus aujourd'hui comme un moyen mais comme une fin dont les raisons profondes ne sont plus interrogées. "Il faut transformer", "il faut s'adapter", ces "nouveaux impératifs politiques" - dont la philosophe Barbara Stiegler a dévoilé la généalogie - constitue une antienne (LOLF, RGPP, RéATE, MAP…) dont les soubassements idéologiques, méthodologiques, pratiques sont des "angles morts" de la réforme de l'Etat en France. Ce mouvement de transformation, inspiré du monde de l'entreprise, a connu des effets mais aussi des méfaits qui se cristallisent au carrefour des récentes crises sociale (Gilets jaunes) et sanitaire (Covid-19), des « bifurcations » majeures de notre temps - nouveau régime écologique et défi numérique - et donnent corps à un décalage entre l'Etat et la société analysé en détail par Sebastien Soriano dans son essai, L'avenir du service public. Il s'agit donc de poser rapidement les bases d'un nouveau paradigme de l'action publique nécessitant le passage d'un « Etat stratège » (centralisé, accordant une place essentielle à la régulation budgétaire et attaché au contrôle) à un « Etat en réseau », qui accepte de ne plus agir seul et se fait animateur des forces vives de la nation (citoyens, entreprises, associations, ONG, …). Notre conviction : mettre l'intelligence collective au service de l'action publique - et de sa transformation - en actionnant les 8 leviers suivants : (1) Donner du sens, clarifier la raison d'êtreLe « pourquoi » doit primer sur le « quoi » et le « comment ». Il est essentiel de revenir aux sens des missions et des actions des services de l'Etat en central comme dans les services déconcentrés sur les territoires. La réaffirmation de l'intérêt général comme ciment de l'action en commun est essentielle, elle doit passer par l'édification d'un nouvel alphabet de la transformation / de l'action publique, fruit de l'analyse sémantique de la parole des agents. (2) Coupler conception et exécutionL'importance des « cas d'usage », des expérimentations est centrale pour confronter les idées au réel. Réconcilier la pensée stratégique et sa mise en œuvre, voilà l'objectif. Comme le montre Henri Bergeron à la lumière de la pandémie du COVID 19 , les élites politico-administratives « surinvestissent la stratégie et se désintéressent de la mise en œuvre ». L'intelligence collective nous aide à reconnecter deux notions qui vont de pair. A titre d'illustration concrète, nous travaillons actuellement avec une grande administration centrale sur son projet de transformation et nous efforçons de manière ouverte de concevoir des "offres de service" s'appuyant sur des objets concrets, sur le retour d'expérience de cas d'application précis sur des sujets aussi divers que les RH, la relation avec les territoires, la prospective ou encore la consultation / concertation des parties prenantes. (3) Passer de l'information à l'action du plus grand nombreLes méthodes et outils de l'intelligence collective, correctement déployés, poussent à l'action. Les agents sont embarqués comme acteurs de la transformation. Les notions de responsabilité et d'autonomie s'incarnent pour les agents encouragés à agir sans permission. Les dynamiques d'appels à participation autour de projets clairement identifiés entretiennent la mobilisation et permettent l'émergence de communautés dédiées à animer dans la durée. (4) S'appuyer sur des ambassadeurs de la transformationLa transformation propulsée par l'intelligence collective a besoin de relais. L'identification de relais en interne est une clé qui ouvre la porte du succès. Ces ambassadeurs sont identifiés par leurs pairs, on passe de la désignation hiérarchique à la « contagion heureuse ». (5) Instaurer des rituels et inclure par cercles concentriquesL'informel est à encourager dans l'administration. Des rituels courts et réguliers s'organisent sur le principe des cercles concentriques, comme dans cette administration centrale où des « cafés transfo » sont organisés, rendez-vous informels ouverts aux agents en visio tous les 15 jours. Les ambassadeurs y jouent un rôle important. Lors de ces rituels ouverts qui ont vocation à inclure au maximum, les échanges foisonnent et sont tracés. Ces cercles sont un moyen d'articuler le hiérarchique et le fonctionnel au sein de l'organisation. (6) Incarner la subsidiarité au sein de l'organisationIl s'agit concrètement de passer d'une dynamique descendante à une dynamique ascendante autour du triptyque: principe de compétence / principe de secours / principe de suppléance. "Subsidiarité" est le mot de passe d'une relation actualisée entre l'échelon central et les services déconcentrés / les opérateurs. Un essaimage de bonnes pratiques au niveau central et interministériel est également la conséquence d'une subsidiarité qui ne se limite pas à un concept. (7) S'ouvrir à l'externe et mettre en réseauLa conclusion d'un nouveau pacte entre l'administration et ses parties prenantes externes constitue un objectif central. De fait, repenser l'articulation avec les territoires (collectivités territoriales et associations d'élus) et construire un nouveau dialogue avec la société civile (entreprises, associations, ONG) nécessitent une mise en réseau de ces écosystèmes en prenant garde à la « fatigue de la gouvernance ». Des enceintes de discussion sont à ouvrir autour d'objets précis et concrets pouvant rapidement s'incarner aux yeux des agents mais aussi des citoyens. (8) Revenir à la logique d'une transformation comme moyen (et non comme fin)La transformation débute et prend fin. Il ne s'agit pas de nier le besoin de transformation à un instant T mais pour maintenir sous tension les parties prenantes, il faut un horizon clair de mise en œuvre d'un fonctionnement cible puis pérenne. Une transformation publique propulsée par l'intelligence collective refuse l'injonction à la transformation permanente. Sans en faire un remède miracle qui ne serait qu'une illusion, nous pensons que l'intelligence collective (massive) est un levier puissant pour bâtir un Etat augmenté par la mise en réseau avec la société, un Etat qui met en capacité d'agir ses parties prenantes au plus près du terrain et au service des citoyens. |
Et si l’intelligence collective était l’avenir de l’action publique ?
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Publié le 12 avril 2021 à 6h00