Accord transatlantique : une occasion unique pour repenser la mondialisation.

Par Bertrand de Kermel Modifié le 10 juin 2014 à 5h40

Pourquoi repenser la mondialisation ? Parce qu'elle n'a pas tenu ses promesses.

- selon l'Organisation Internationale du travail (rapport de janvier 2012), il va falloir créer 600 millions d'emplois dans les dix ans à venir. Le calcul est très simple. La planète compte 3 milliards d'emplois. Le nombre d'actifs va progresser de 400 millions en dix ans. Or, il y a aujourd'hui 200 millions de chômeurs. Il faudra donc créer 600 millions d'emplois. Le problème, c'est que personne ne sait où et comment seront créés tous ces postes de travail. C'est très préoccupant.

- selon Klaus Schwab, Président fondateur du Forum Economique Mondial de Davos, « le conflit au Moyen-Orient, celui qui menace dans la mer de Chine, l'attitude de la Fed quant au calendrier fixé pour la sortie progressive de sa politique monétaire accommodante ou encore la poudrière que représentent les 75 millions de jeunes sans emploi dans le monde, sont autant de risques de déflagration à court terme, sachant que ce type de menace ne fait que croître ». Pour lui, cette situation est le résultat d'un « échec collectif » face à la façon de gérer les conséquences de la mondialisation. « Un échec qui s'est construit pas à pas au cours des dizaines d'années qui viennent de s'écouler ». Klaus Schwab a le courage d'ajouter : « au fond, le message délivré par les militants antimondialisation au tournant du siècle dernier était juste »... C'est très grave.

Sur le principe, le développement des échanges à travers la planète est une bonne chose. En revanche, la façon dont ces échanges sont mis en œuvre se révèle effectivement « un échec collectif », auquel il faut d'urgence remédier. Il est donc clair que le cadre de la mondialisation avec son cortège d'abus, de dumpings et de corruption est à revoir fondamentalement.

C'est dans ce contexte qu'il faut désormais considérer l'accord de libre échange déjà négocié entre l'UE et le Canada, et l'accord transatlantique en cours de discussion avec les Etats Unis. Ils sont tous deux inacceptables en l'état, car ils sont conçus sur le modèle de la mondialisation des années 90 – 2000, c'est à dire sur un modèle qui a échoué. Ne soyons pas stupides. Corrigeons ce qui ne va pas, et repartons de l'avant.

L'accord transatlantique est un cas d'école emblématique pour deux raisons :
S'il est mené à bonne fin, il constituera la plus vaste zone de libre échange jamais négociée dans l'histoire de l'humanité.

Par ailleurs, l'ambition des Etats Unis et de l'Europe est de négocier un accord transposable à l'OMC, c'est à dire un accord engageant à terme pratiquement tous les pays du monde. « Ce que nous tentons de mettre en place n'est rien de moins qu'un modèle standard mondial qui pourra s'imposer aux autres pays, voire à l'Organisation mondiale du commerce » (OMC), indiquait un haut fonctionnaire américain à la presse, lors de la visite du président OBAMA à Bruxelles fin mars 2014.
Pour les responsables politiques, c'est donc le meilleur moment pour proposer les premiers aménagements au système économique mondial actuellement en vigueur, en les appliquant à cet accord transatlantique qui commence à intéresser l'opinion publique, et qui sera une pierre angulaire de la mondialisation de demain, compte tenu de sa taille.

Selon moi, ils devraient demander l'élargissement du champ de la négociation aux six aspects suivants :

1. Inscrire expressément dans l'introduction que cet accord s'inscrit dans une politique de développement durable, laquelle repose sur trois piliers interdépendants et complémentaires : économique, social et environnement. Il faut surtout préciser qu'en cas de difficultés, l'accord devra être interprété par le juge au vu de ce principe, sans donner la prééminence au droit des affaires sur tout le reste.

C'est indispensable pour l'avenir. Lorsqu'une négociation mondiale aura lieu pour revoir le cadre de l'économie planétaire, l'accord transatlantique sera dans toutes les têtes et cet aspect devra faire partie du jeu. L'économie mondiale doit avoir pour finalité ultime de diriger la planète vers le développement durable comme l'ont décidé les Chefs d'Etats à Johannesburg en 2002.

2. Prévoir un bilan régulier et public de l'accord, et accepter d'ores et déjà le principe d'une discussion et d'une renégociation partielle, pour corriger des anomalies (grandes ou petites) ou des inconvénients imprévus qui apparaitraient à l'expérience. C'est le minimum. En France et en Europe, lorsqu'une Loi est imparfaite, elle est corrigée. Il doit en être de même pour l'accord transatlantique qui aura force de Loi, et pour un futur accord sur l'économie mondiale.

3. Inscrire l'obligation de la réciprocité des échanges, et définir les mesures applicables en cas de déséquilibre sensible. Fixer le seuil au-delà duquel il y a déséquilibre sensible. (Voir économie matin du 9 mai 2014). C'est un point clé pour l'équilibre des échanges mondiaux.

La libéralisation des échanges par la suppression des droits de douane a pour effet de déplacer la fabrication de certains biens dans des lieux plus propices à sa production au meilleur rapport qualité-prix.

Selon le promoteur cette théorie, David Ricardo, cela ne peut être bénéfique que si les différents partenaires aux échanges se spécialisent dans les domaines où ils sont les meilleurs, et parviennent ainsi à un équilibre minimal entre importations et exportations.

En revanche, quand l'un des partenaires attire chez lui la majorité de la production, car il est extrêmement compétitif et inonde ses partenaires de ses exportations, le système, au lieu d'être « gagnant-gagnant » devient « gagnant–perdant ».

La Chine a exporté pour 290 milliards d'euros en Europe en 2012. Il est normal que l'Union européenne exporte à peu près autant vers la Chine, et non pas 140 milliards comme ce fut le cas en 2012.



Outre l'aspect « équilibre » des échanges, C'est aussi une des façons de lutter contre la corruption, et les pratiques déloyales de dumpings fiscal, social et environnemental. Grâce à cet équilibre, nous réduirons mécaniquement les conséquences de ces pratiques, car la triche ne sera plus aussi rentable que par le passé. En tous cas elle trouvera une limite mécanique.

Ce sujet a toujours été esquivé dans les accords commerciaux mondiaux. On ne peut plus attendre, d'autant plus que les solutions techniques existent.

4. Réformer le système monétaire. Il est totalement impensable de signer l'accord transatlantique en laissant aux Etats Unis la maitrise totale du dollar, c'est dire en leur donnant le droit de déséquilibrer l'accord à tout moment !

Les contours d'un nouveau système monétaire doivent donc être esquissés dans l'accord transatlantique, puisqu'il a vocation à devenir un accord OMC.

5. Instaurer la prise en compte des dimensions sociale et environnementale.

Actuellement dans toutes les démocraties, le droit du commerce, le droit social et le droit environnemental sont au même niveau. Par exemple, en France :

Les entreprises doivent respecter le droit commercial. En cas de défaillance, elles sont condamnées par les tribunaux de commerce
Elles doivent respecter le droit du travail. En cas de défaillance, elles sont condamnées par le Conseil des Prudhommes
Elles doivent respecter le droit de l'environnement. En cas de défaillance, elles sont condamnées par le tribunal de Grande Instance ou le Tribunal correctionnel

Rien de tel dans la mondialisation. Aucun pays membre de l'OMC ne peut s'opposer à l'importation d'un produit sur son territoire, dès lors que les règles du commerce sont respectées, même si le produit a été fabriqué dans des camps de travail forcé (en piétinant la charte de l'ONU et les textes de l'Organisation Internationale du travail) et au prix de dégâts environnementaux majeurs. Rappelons-nous l'incendie qui a coûté la vie à plus de 1.000 employés brûlés vifs au Bangladesh.

Dans la mondialisation, le droit du commerce est bel et bien supérieur aux autres droits. C'est totalement inacceptable au XXIème siècle.

Monsieur Ban ki moon, secrétaire général de l'ONU l'a rappelé publiquement, en déclarant à Beyrouth le 3 juin 2011 : « Nous ne pourrons construire un monde juste et équitable que lorsque nous accorderons un poids égal aux trois composantes du développement durable, à savoir les composantes sociale, économique et environnementale.
Pour cela il faut mettre le droit du commerce, le droit de l'environnement et le droit social sur un pied d'égalité, comme dans toutes les démocraties. Une des solutions consiste à utiliser la technique de la question préjudicielle. Elle repose sur l'idée que les institutions spécialisées puissent être sollicitées dans les litiges commerciaux. C'est une solution comparable à «l'exception de constitutionnalité » française, qui permet de faire saisir le Conseil Constitutionnel dans un litige. Je rappelle qu'il s'agit là de la position de la France exprimée sur la scène internationale par le Président de la République et jamais démentie depuis.
Il est en outre impensable que l'accord entre en vigueur sans que les deux continents et leurs Etats ou pays membres aient préalablement adhéré aux huit conventions fondamentales de l'Organisation Internationale du Travail. La France les a toutes signées.

Les Etats Unis (première puissance mondiale, et Continent le plus riche de la planète), refusent de ratifier six de ces conventions :

n° 29 (travail forcé, 1930),
87 (liberté syndicale et protection du droit syndical, 1948),
98 (droit d'organisation et de négociation collective, 1949),
100 (égalité de rémunération, 1951),
111 (discrimination (emploi et profession), 1958)
et 138 (âge minimum, 1973).

Elles ont toutes entre 40 et 60 ans ! Difficile de dire que les esprits ne sont pas encore mûrs pour les accepter ! Au-delà de la simple morale Républicaine, il y a là une source de dumping social radicalement incompatible avec le développement durable.

6. Organiser le règlement des différends sur le modèle du Tribunal de l'OMC. S'agissant de régler des différends lorsqu'il s'en produira, il faut s'inspirer du fonctionnement de l'ORD (Tribunal de l'OMC). Le système actuellement prévu dans l'accord transatlantique (système d'arbitrage pouvant être saisi uniquement par les investisseurs étrangers) présente de tels risques en terme de souveraineté des peuples et de corruption qu'il conduira nécessairement à un « clash » quand le peuples découvrira le système. C'est typiquement une « poudrière ».

En outre, ce système ne sera jamais accepté à l'OMC.

Puisque l'accord transatlantique a vocation à devenir un accord OMC, Il faut donc créer un «Organe de règlement des différends» calqué sur le modèle de celui de l'OMC. Comme c'est le cas à l'OMC, seuls, les Etats souverains, pourront le saisir. Il sera transparent. L'appel sera possible. Tout le monde aura accès aux décisions. Le moindre « dérapage » des juges sera sévèrement sanctionné. Le mécanisme de la question préjudicielle pourra s'appliquer normalement, entre Etats souverains membres de toutes ces organisations.

Pour cette raison, il faut refuser l'accord Canada/UE (non encore ratifié) ce qui conduira la Commission Européenne à reprendre les négociations sur les bases qui précèdent, notamment en ce qui concerne le règlement des différends. Les deux accords (Canada et USA) doivent être identiques.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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