Accord transatlantique : l’alternative au système d’arbitrage proposé

Par Bertrand de Kermel Publié le 12 février 2015 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
45 %En 2012, les Etats-Unis et l'Europe totalisaient pas moins de 45 % du PIB mondial.

Dans notre précédent article, consacré à l’accord transatlantique, nous avons mis en évidence tous les risques que faisaient peser sur les Etats et les populations le système d’arbitrage proposé par les négociateurs.

Il convient maintenant de proposer une alternative, car un accord ne peut pas être signé s’il n’envisage pas les litiges possibles et la façon de les régler.

Se protéger de toute discrimination

Pour cela, il faut commencer par définir soigneusement le ou les objectifs poursuivis par les négociateurs. La Commission Européenne s’est exprimée sur ce point, et souhaite accorder quatre garanties clés aux investisseurs étrangers. Ces quatre garanties clés sont les suivantes : La protection contre la discrimination ("traitement de la nation la plus favorisée" et "traitement national"), la protection contre l’expropriation à des fins autres que des objectifs de politiques publiques et sans compensation appropriée, la protection contre un traitement injuste et inéquitable – par exemple ne respectant pas les principes fondamentaux d’équité et la protection de la possibilité de transfert de capitaux.

Il ne nous appartient pas de juger de la pertinence de ces garanties. Nous devons seulement les prendre en compte pour construire notre alternative, sachant que ces garanties doivent être offertes tant aux multinationales qu’aux PME. La question à résoudre devient alors la suivante : quelle solution retenir, pour supprimer les risques décrits par le système actuel (voir notre dernier article sur ce point) tout en répondant aux objectifs recherchés par la commission ? La réponse consiste à calquer la procédure de règlement des différends sur le modèle qui a été mis au point à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1994, et qui fonctionne correctement.

Accord transatlantique : il faut un organe de règlement des différends

De façon très simplifiée, le règlement des différends est organisé de la façon suivante à l’OMC : Il existe un "Organe de Règlement des Différends" dénommé ORD. C’est un Tribunal d’arbitrage. L’ORD ne peut être saisi que par un des Etats souverains signataires des accords de l’OMC. Aucune entreprise ne peut le saisir directement. La mission de l’ORD est très strictement encadrée dans les accords de l’OMC. Les règles sont claires et sont connues. Lorsqu’un Etat décide de saisir formellement l’ORD, la procédure s’engage très rapidement et une décision est rendue en 15 mois, appel compris. Les principes de fonctionnement de l’ORD sont les suivants : équité, rapidité, efficacité et solution mutuellement acceptable.

Cette solution est fondamentalement différente de celle envisagée par les Etats Unis et l’Union Européenne. En effet, au lieu de mettre en présence et au même niveau, une multinationale étrangère et un Etat souverain, elle met en présence deux Etats souverains, donc deux peuples souverains, qui règlent un différent ensemble, par l’intermédiaire de leurs élus respectifs. L’aspect "perte de souveraineté" évoqué ne se pose plus. Par ailleurs, avant d’attaquer un autre pays, et de réclamer des dommages et intérêts délirants (comme on l’a vu dans le passé avec les 3.000 accords existants), un Etat souverain fera preuve de discernement, car il risquera toujours de se retrouver ultérieurement en situation "d’arroseur arrosé". Cela nous met à l’abri des abus. A l’OMC, les Etats réfléchissent longuement avant de saisir l’Organe de règlement des différends.

En outre, les quatre principes sur lesquels fonctionne l’ORD (équité, rapidité, efficacité et solution mutuellement acceptable) sont très précieux. En clair, la défense des investisseurs est parfaitement bien assurée, mais les investisseurs restent à leur place. Ils restent de simples investisseurs. Ils ne sont pas hissés au même niveau que les peuples souverains. C’est essentiel pour l’avenir. Les avantages d’une telle solution sont multiples. Les quatre garanties clés peuvent être accordées par ce système. La protection contre la discrimination ("traitement de la nation la plus favorisée" et "traitement national") La protection contre l’expropriation à des fins autres que des objectifs de politiques publiques et sans compensation appropriée La protection contre un traitement injuste et inéquitable – par exemple ne respectant pas les principes fondamentaux d’équité La protection de la possibilité de transfert de capitaux.

Si une Loi européenne ou américaine met en cause l’une de ces garanties, l’Organe de Règlement des Différends pourra être saisi. Il faut bien sûr que ces garanties clés soient clairement définies dans l’accord. Ce sera l’occasion de rappeler que la notion de traitement juste et équitable implique que nul ne puisse prétendre à des droits s’il ne s’acquitte pas de ses devoirs. Par exemple, toute entreprise américaine ou européenne installée sur l’autre continent a le devoir d’acquitter toutes les charges normalement dûes, sans pratiquer abusivement l’optimisation fiscale... Nous sommes là devant un pilier fondamental du principe d’équité visé dans la 3ème garantie clé.

Les difficultés d’ordre juridique évoquées par la Commission peuvent être réglées sans problème

Dans une fiche d’information, la Commission précise que : "Le principal intérêt du mécanisme RDIE (arbitrage) est lié au fait que, dans de nombreux pays, les accords d’investissements ne sont pas directement exécutoires devant les tribunaux nationaux. Par conséquent, un investisseur qui a été victime de discrimination ou d’une expropriation ne peut pas invoquer les règles sur la protection des investissements devant les tribunaux nationaux pour demander réparation. Le règlement des différends entre investisseurs et États permet aux investisseurs d’invoquer directement les règles qui ont été spécifiquement conçues pour protéger leurs investissements".

Avec la solution proposée, une Loi qui créerait une discrimination ou une expropriation inéquitable pourrait être contestée immédiatement par l’autre Continent, comme cela se pratique à l’OMC. L’Etat fautif devra supprimer la discrimination contestée, ou la possibilité de procéder à des expropriations inéquitables, à peine d’être condamné à de lourdes amendes. L’entreprise, pourra ensuite s’adresser aux tribunaux nationaux pour obtenir réparation, si aucune autre solution ne peut être trouvée. Tout ceci fonctionne correctement et très rapidement dans le cadre des accords OMC. Les investisseurs nationaux ne seront pas discriminés par rapport aux investisseurs étrangers. Ils auront les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Les sept grandes critiques adressées à l’arbitrage tel qu’il était initialement envisagé seront levées

L'abandon d’une partie de la souveraineté des peuples, d'un système ayant permis de très grands abus, suprématie du droit du commerce sur tout le reste, avantage déséquilibré conféré à l’investisseur étranger, une justice réservée aux riches et devenant progressivement un centre de profits, d'un business pour les avocats internationaux et les arbitres avec les conflits d’intérêts évidents mais difficiles à percevoir, etc.

Une grande part des critiques de la société civile tombera d’elle-même

Une plus grande sécurité juridique sera donnée aux Etats. Ils vivent actuellement avec 3.000 accords différents, tous mal rédigés selon le Commissaire De Guth, donc susceptibles de générer tous les abus. C’est pourquoi le Commissaire déclarait le 4 avril 2014 dans le bulletin du Commerce Extérieur de l’UE : "Je partage totalement les nombreuses critiques selon lesquelles les procédures de règlement des différends entre investisseurs et États n'ont débouché jusqu'à présent que sur des exemples très inquiétants de litiges contre les États".

Enfin et surtout, l’objectif principal recherché par les deux continents (l’UE et les Etats Unis) trouvera sa pleine application

L’accord transatlantique ayant pour objet de créer la plus zone vaste de libre échange jamais mise en place depuis le début de l’humanité, les Etats Unis et l’Union Européenne estiment que les normes qui seront fixées dans l’accord s’imposeront rapidement à l’ensemble de la planète. L’accord transatlantique a donc vocation à devenir un accord OMC. Si tel doit être le cas, il est clair que la création d’un mécanisme de règlement des différends calqué sur celui de l’OMC ne pourra que faciliter la réalisation de cette ambition, alors que le système d’arbitrage actuellement prévu sera un blocage impossible à remettre en cause. Cette proposition fait son chemin, comme le montre la résolution votée à l’unanimité par le Sénat le 3 février dernier sur le système d’arbitrage prévu dans l’accord transatlantique.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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