Accord transatlantique : le système d’arbitrage est-il bon ou dangereux ? 

Par Bertrand de Kermel Modifié le 11 février 2015 à 11h01
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@shutter - © Economie Matin
8 millions €Une affaire d'arbitrage en justice coûte en moyenne huit millions d'euros.

Avec ce troisième article, nous abordons l’un des points les plus controversés de l’accord transatlantique : le système d’arbitrage.

L’idée est de permettre à tout investisseur canadien ou américain de demander des dommages et intérêts à un pays européen dans lequel il aurait investi, si, par exemple ce pays adopte une loi à caractère sociétal ou environnemental, qui pourrait réduire son bénéfice potentiel. Il est prévu de créer un tribunal supra national sur le modèle de l’arbitrage Tapie. Seuls les investisseurs auront le droit de saisir ce Tribunal. Aucune obligation ne leur sera demandée en contrepartie, même pas d’être à jour de leurs impôts… L’ ’impartialité et la transparence de ce Tribunal ne sont même pas garantis !

Ce système pose de nombreux problèmes, auxquels on aimerait que la Commission, ainsi que les gouvernements, les avocats d’affaires et les parlementaires qui y sont favorables apportent des réponses. Nous n’évoquons ici que sept questions.

Un outil de premier ordre selon la Commission Européenne

Pour porter un jugement sur ce système d’arbitrage, la toute première chose à faire est de se rendre sur la "foire aux questions" de la Commission européenne, mise en ligne fin 2013, et de lire la réponse à la question : Pourquoi l’Union a-t-elle inclus le règlement des différends entre investisseurs et États dans le partenariat transatlantique? On y lit : "La Commission européenne, les États membres et le Parlement européen ont la conviction que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États constitue un outil de premier ordre pour protéger les investisseurs de l’Union à l’étranger". Outre qu’il s’agit d’une affirmation gratuite et dogmatique, car elle n’est accompagnée d’aucune démonstration rationnelle, on voudrait comprendre pourquoi le Commissaire De Guth a cru bon d’écrire le 4 avril 2014, dans le bulletin du Commerce Extérieur de l’UE : "Je partage totalement les nombreuses critiques selon lesquelles les procédures de règlement des différends entre investisseurs et États n'ont débouché jusqu'à présent que sur des exemples très inquiétants de litiges contre les États"…

Un système déséquilibré

Poursuivons notre lecture de ce chapitre de la "foire aux questions". On y lit : "Les mesures pour protéger les investisseurs n’empêcheront pas les gouvernements d’adopter des lois et ne les contraindront pas à en abroger". Parfait, mais… lisons la suite. "Elles peuvent tout au plus entraîner le paiement d’indemnisations". Oups ! Une phrase de neuf mots pour annoncer l’existence d’un système dont le coût se chiffrera probablement par centaines de millions d’euros chaque année.

Un centre supplémentaire de profit pour les plaideurs

Cette troisième critique est fondamentale. En France, le droit est un outil de civilisation, qui met sur un pied d’égalité le faible et le fort. Son rôle est de jouer un rôle d’apaisement. Les tribunaux ont mission d’appliquer cette philosophie. Dans le monde anglo-saxon, c’est tout le contraire. Chacun a pu constater que les Etats-Unis ont largement complété leur économie de création de richesse par une économie de prédation par la chicane. De fait, si l’ingénieur était le personnage clé de l’économie américaine au début du XXème siècle, ce rôle est aujourd’hui rempli par le lawyer, l'avocat. Le droit est devenu une arme de combat pour s’accaparer le fruit du travail productif de l'autre partie. La liberté est celle d'écraser l'autre, considéré comme un adversaire. Le procès est un outil supplémentaire pour faire du profit. Un exemple typique de cette différence de culture peut-être tiré de l’analyse des ventes de terrains. En France, une vente sur mille est contestée. Aux Etats Unis, trois cents ventes sur mille sont contestées. Voilà pourquoi la société civile est si réticente avec ce projet de système d’arbitrage. Le dossier Tapie est dans tous les esprits.

Une justice réservée aux riches

Il faut savoir que chaque affaire coûtant en moyenne 8 millions d’euros, aucune PME ne pourra avoir accès à ce système. Il est étrange que la foire aux questions ait omis de préciser ce point…Là encore, nous sommes devant un choc de culture. En France, la justice a été conçue pour être accessible à tous.

Un business pour les arbitres et les avocats internationaux

Dans l’esprit de ses promoteurs, ce système d’arbitrage et un excellent business pour les arbitres et les avocats internationaux. C’est par exemple ce que déclarait Monsieur Didier Reynders, Ministre belge, pour qui « le business de l'arbitrage pourrait être bénéfique à Bruxelles, qui cherche à se profiler sur ce créneau, précisant. "Il n'y a aucune raison qu'un arbitrage se fasse uniquement à Washington ou à New York". Voilà une belle dérive au regard de notre conception républicaine de la justice. Cela est d’autant plus inquiétant que les arbitres seront choisis parmi les avocats internationaux, si biens qu’ils seront tantôt arbitres et tantôt avocats. Comment empêcher que le dialogue suivant ait lieu : "Sur ce dossier, tu me rends service et je m’en souviendrai dans une autre affaire où je serai arbitre et toi avocat." On attend avec impatience la réponse de la Commission, pour voir si elle est convaincante.

Plus généralement, on aimerait que la Commission européenne nous explique pourquoi un tel mélange des genres est interdit aux magistrats des tribunaux nationaux et à ceux de la Cour de justice européenne, et qu’il semble parfait pour des arbitres internationaux, par définition quasiment insaisissables par un juge national. Le risque de corruption est censé être circonscrit grâce à un simple guide de bonnes pratiques. Qui peut y croire ? Venons en maintenant à deux autres points également fondamentaux.

Un transfert irrémédiable d’une part de notre souveraineté vers le secteur privé

Avec un tel outil de rétorsion, les investisseurs étrangers seront en mesure de faire "d'amicales pressions", assorties de menaces de procès, sur les États qui légiféreront sur l'environnement, la santé ou autre domaine sociétal, dès lors que ces initiatives pourraient faire baisser leur profit. Ce système d’arbitrage viendra graver leurs rentes dans le marbre ! C'est une prise de pouvoir sans précédent.

La consécration de la suprématie du droit des affaires sur les autres droits

Une fois l'accord signé, les citoyens seront structurellement placés au service de la logique financière des entreprises multinationales. Les populations en situation de pauvreté, en particulier, perdront les quelques chances qui leur restaient de sortir de leur condition. Le développement durable, qui repose sur trois piliers d’égale valeur (économie, social et environnement) sera impossible à mettre en œuvre, car le droit des affaires sera toujours le plus fort. On finit par se poser la question suivante, à laquelle on aimerait une réponse claire de la Commission européenne : Avec un tel outil a leur disposition, ajouté à leurs énormes moyens d’influence, et à leur capacité à payer les impôts là ou elles le décident et quand elles le décident, que manquera t-il aux plus puissantes entreprise mondiales pour exercer définitivement la réalité du pouvoir dans nos démocraties ?

Conclusion

Ceci dit, il faudra bien régler les litiges lorsqu’il s’en posera. Alors que faire ? Il y a des solutions. Ce sera l’objet d’un quatrième article à paraître prochainement, sous le titre : "Accord transatlantique : l’alternative au système d’arbitrage proposé". La proposition qui y sera décrite est portée par le Comité Pauvreté et Politique depuis un an, mais rencontre de fortes oppositions de la part des lobbies. Néanmoins, le 3 février dernier, le sénat a voté à l’unanimité une résolution mettant en cause le système d’arbitrage tel que nous venons de le présenter et de le critiquer. Pour la première fois, la solution que nous présenterons dans notre prochain article est évoquée par une assemblée parlementaire comme une alternative.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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